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Le bonheur est-il un droit ?

Publié le 22/09/2011

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 Le «bon heur«, en ancien français, désigne le bon hasard, le sort favorable. L'étymologie suggère donc que le bonheur serait caractérisé par sa contingence, par sa dépendance à l'égard de la fortune. Les philosophes grecs, en revanche, le faisaient reposer sur le savoir et la vertu. Pour être heureux, selon eux, il faut posséder la sagesse. S'il dépend de mon effort d'être heureux, alors je suis responsable de mon propre bonheur, et ne puis m'en prendre qu'à moi-même si j'échoue à le trouver. Je ne peux pas le réclamer comme s'il s'agissait d'un droit, c'est-à-dire d'un dû. Mais si le bonheur dépend du hasard des circonstances, je ne suis pas davantage fondé à l'exiger. S'il dépend du hasard, il ne peut être qu'un fait, tandis que le droit suppose une rectitude, un ordre et une volonté, une fin consciente. Or le hasard est aveugle, je ne peux rien en exiger. Quel que soit le cas, le bonheur ne serait donc pas un droit. A qui pourrais-je bien le réclamer? C'est peut-être seulement si le monde est gouverné, non par la fortune aux yeux bandés, mais par une divinité bonne et intelligente, que le bonheur peut être espéré à titre de récompense. C'est donc seulement, semble-t-il, dans une perspective religieuse que le bonheur pourrait être exigé.   

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« Les dieux n'ont pas créé le monde pour notre bien pour une bonne raison, c'est qu'ils n'ont pas créé le monde et que se soucier del'espèce humaine contredirait à leur bonheur.

En outre, ce n'est pas pour notre bien que nous avons vu le jour, car le fait de n'être pasné ne serait pas un mal.

Nous ne pouvons pas concevoir notre naissance comme une amélioration de notre état, ou de notre bonheur.Avant de naître, nous ne pouvions pas souffrir ou regretter de n'être pas nés, puisque précisément nous n'étions pas nés.

L'existencen'est un bien que pour celui qui en jouit.

Pour celui qui n'est pas, elle ne peut être vue ni comme un mal, ni comme un bien.

Nous nenous sentons pas mieux d'avoir été créés, puisque auparavant nous ne nous sentions pas mal.

Cette idée permet de réfuter lesopinions citées au début: nous n'avons pas à être reconnaissants envers les dieux.

Critiquer l'ordre des choses, cela n'est en riensacrilège, car ce monde n'est pas l'œuvre des dieux.

Enfin, rien ne permet de croire que ce monde ou les espèces qui l'habitent soientéternels. 2.

Religion et superstition Loin d'être athée ou impie, Lucrèce dénonce une fausse conception des dieux.

Si l'on admet que les dieux sont bienheureux, on nepeut pas admettre en même temps qu'ils se sont imposé la lourde tâche de créer le monde et de veiller sur la turbulente humanité.Lucrèce n'est pas impie: il reconnaît l'existence des dieux.

C'est au contraire celui qui croit que les dieux sont à notre service quicommet un sacrilège.

Croire Dieu à mon service, c'est scandaleux.

Dieu ne saurait exister pour moi, pour me servir, pour répondre àmes attentes.

Une telle croyance fait de Dieu mon serviteur.

Croire que Dieu pourrait accéder à mes prières et assurer mon bonheur,c'est s'imaginer qu'il pourrait, pour moi, modifier l'ordre de sa création.

Cela relève de la superstition plutôt que de la religion.

Lasuperstition, c'est une croyance intéressée, qui repose sur l'espoir et la crainte: je crois afin d'en obtenir un avantage.

Une tellecroyance est sacrilège.

Elle suppose que Dieu pourrait changer ses plans, donc changer d'avis, s'être trompé, par conséquent êtreimparfait (Lire St Exupéry, Citadelle, p.

235). Puisque la considération de ce qu'est Dieu m'interdit de croire qu'il puisse se soumettre à mes désirs (« Que Ta volonté soit faite »), jepourrais peut-être cependant espérer obtenir le bonheur, non dans cette vie, mais après, comme récompense de ma vertu et de mesactions ici-bas.

Les religions comme le christianisme ou l'Islam semblent en effet permettre d'attendre le bonheur comme récompensedans l'au-delà.

Si j'ai bien agi, si j'ai été juste, alors, semble-t-il, je suis en droit d'attendre le bonheur éternel.

Je le mérite.

Mais unetelle attente dévalorise la valeur de mon action.

En effet, si j'ai agi non par pure bonté, mais dans l'espoir d'une récompense, alorscette action était intéressée, non purement morale.

Le christianisme exige la pureté de l'intention, la pureté du cœur, et pas seulementune action extérieurement juste.

C'est ce que Kant reprendra à son compte en distinguant la simple légalité de la moralité.

La légalitédésigne la conformité de l'action à la loi morale.

La moralité consiste non seulement à agir conformément à la loi morale, mais encoreà agir de façon désintéressée, par pur devoir, par pur respect pour la loi morale, et non sous l'effet d'un quelconque mobile.

Parexemple, un commerçant n'est véritablement juste que s'il est honnête par devoir, et non dans le but de se faire apprécier de sesclients.

Par conséquent, si j'agis en vue d'assurer mon Salut, afin de gagner la vie éternelle, mon action n'est pas tout à fait juste (etmême pas du tout, parce qu'il n'y a pas de degrés dans la moralité).

Mon action ne peut être morale si je peux attendre le bonheuravec certitude comme récompense.

Il faut donc que cette récompense soit incertaine.

Si je suis sûr d'y avoir droit, il m'est impossibled'être absolument juste.

D'où l'on peut répondre à certaines objections contre la religion: pourquoi Dieu ne se montre-t-il pas? S'ilexiste, pourquoi ne nous en fournit-il pas la preuve? Pourquoi le Christ répugne-t-il à accomplir des miracles? Il faut que l'existence deDieu, pour le croyant lui-même, soit incertaine.

Le silence de Dieu rend possible la morale.

C'est ce que Lévinas appelle une religiond'adultes: «Un Dieu d'adultes se manifeste précisément par le vide du Ciel enfantin».

Le Dieu des enfants distribue punitions etrécompenses.

Une foi adulte fait le deuil de ce dieu-là.

Il n'est pas sûr que ma vertu me garantisse le bonheur.

Heureusement, car sije pouvais tenir le bonheur éternel comme un droit, comme une récompense que je peux être sûr de mériter, alors mon action, mêmejuste, serait impure, car guidée par l'espoir.

En revanche, si la foi est une croyance qui inclut une incertitude quant à l'existence deDieu, et un doute quant à la possibilité du Salut, cela me laisse libre de choisir ou pas la vertu.

Si j'ai conscience que le bonheur aprèsla mort est, non un droit, mais une sorte de supplément qui peut venir s'ajouter ou pas à ma vertu, cela me laisse la possibilité d'agirbien par choix, et non parce que je m'y sens contraint par une puissance supérieure.

La vertu ne me donne pas droit au bonheur: elleme rend seulement digne du bonheur.

Je ne peux pas être sûr d'obtenir le bonheur.

Je peux seulement l'espérer.

Je ne dois donc pasagir en vue du bonheur, ou j'agis par simple intérêt, mais faire le bien pour le bien, en espérant que le bonheur viendra peut-être enplus.

C'est la conclusion du Concile de Trente, réuni à l'époque de la Réforme. I.

Ne compter que sur soi-même? Je ne peux qu'espérer le bonheur, après ma mort, mais pas l'exiger comme un droit, avec la certitude qu'il est un dû.

En ce quiconcerne ma vie sur terre, attendre de Dieu qu'il fasse mon bonheur relève de la pure superstition.

Par conséquent, dira-t-on, c'est surmon seul effort que je peux compter.

S'il est possible d'être heureux, c'est donc moi seul qui suis responsable de mon bonheur.

Je nepeux pas l'attendre de quelqu'un d'autre que moi.

Si c'est bien le cas, on pourra conclure qu'il n'est pas un droit mais une possibilitéofferte à ma volonté. 1.

Celui qui se plaint est un sot C'est le point de vue des philosophes grecs, et notamment des épicuriens, comme Lucrèce et Epicure lui-même.

Le bonheur dépend demon propre effort.

Plus précisément, il dépend de mon savoir ou de ma sagesse.

C'est par l'effort philosophique que l'on peut espéreratteindre le bonheur.

Etre heureux suppose non pas que l'on donne libre cours à tous ses désirs, comme le croit un hédonismevulgaire encore d'actualité après vingt-trois siècles de réfutation épicurienne, mais à choisir, parmi les désirs, ceux qu'il est bon desatisfaire.

Tout désir n'est pas bon.

Certains risquent d'engendrer une douleur.

Par exemple, les désirs qui ne sont ni naturels ninécessaires engendrent immanquablement cette forme de malheur qu'est l'insatisfaction, l'insatiété.

Ces désirs se reproduisent eux-mêmes à mesure qu'on leur donne satisfaction.

Céder, par exemple, au désir de richesse, c'est se condamner à éprouver sans cessede nouveaux désirs de plus en plus coûteux, de plus en plus difficiles à satisfaire.

C'est donc se condamner à une insatisfactionpermanente et à une accoutumance qui rend de plus en plus insensible aux plaisirs simples.

Par conséquent, le bonheur suppose quel'on ait réfléchi à la nature des désirs et que l'on soit capable de reconnaître les bons des mauvais.

Le bonheur repose sur un exercicede la raison, sur un choix raisonné des plaisirs.

De même, une source possible de tourment repose sur la superstition.

La superstitionrésulte d'une représentation fausse de la nature des dieux.

On imagine que les dieux se soucient de nos actions, et qu'ils peuvent êtresoit offensés, soit flattés par notre conduite.

Dès lors, on se condamne soi-même à vivre dans l'anxiété d'avoir bien agi et dans lacrainte d'un châtiment.

En revanche, si l'on réfléchit à la nature des dieux, comme le fait Lucrèce (De natura, V), on conclura qu'ilssont forcément indifférents à nos actions.

Leur perfection implique le bonheur.

Or, le bonheur exclut le souci que susciterait la prise encompte des affaires humaines.

On le voit, c'est encore par un effort de lucidité que l'on peut se guérir de craintes inutiles.

Il dépenddonc de moi que je sois heureux ou pas.

Si j'ai raté ma vie, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

Le bonheur n'est pas un droitque je pourrais réclamer de quelqu'un d'autre.

Il est de ma seule responsabilité.

C'est pourquoi Lucrèce qualifie de sot ou d'insensé --par opposition au sage -- celui qui se tourmente.

Le malheureux est un sot ou un ignorant.

S'il souffre, c'est de sa faute, c'est qu'il n'apas su comprendre la nature du bonheur. 2.

Le bon-heur dépend des circonstances On pourra cependant trouver que le jugement épicurien est sévère, et que sa morale est orgueilleuse.

Epicure semble se faire de laliberté humaine une idée qui dépasse peut-être la réalité.

Est-ce qu'il suffit de vouloir pour faire taire un mauvais désir? Est-ce que desarguments rationnels, comme ceux d'Epicure, peuvent quelque chose contre des préjugés fortement enracinés et à forte valeur. »

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