Le bonheur est dû a l'illusion ou au savoir ?
Publié le 26/10/2005
Extrait du document
«
que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ?Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autantplus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bienque charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire.
Veut-il unelongue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de foisl'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc.
!
Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendraitvéritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience.
(...) Il suit de là que les impératifs de laprudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'unemanière objective comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) quepour des commandements (proecepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d'une façon sûre etgénérale quelle action peut favoriser le bonheur d'un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; iln'y a donc pas à cet égard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rendheureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur desprincipes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle seraitatteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie...
»
III.
Le combat contre les illusions et le savoir comme condition de la conception du bonheur réel
Il faut alors chercher une solution à cette indétermination du concept de bonheur, et une des solutions peutconsister en un effort de connaissance adéquate du réel comme servant de base à la recherche de la vieheureuse, même dans ses aspects les plus sombres.
Le bonheur est alors solidement conçu en parfaiteadéquation avec le monde, tout risque de désillusion est supprimé.
Il s'agit de modifier son rapport au mondeplutôt que la construction mentale de celui-ci, de manière à être à la fois dans un rapport de vérité avec lui, etdans un rapport de construction pleinement consciente avec le bonheur.
Marc Aurèle, Pensées
« Ils se cherchent des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes : toi aussi, tu te livresd'habitude à un vif désir de pareils biens.
Or, c'est là le fait d'un homme ignorant et inhabile, puisqu'il t'estpermis, à l'heure que tu veux, de te retirer dans toi-même.
Nulle part l'homme n'a de retraite plus tranquille,moins troublée par les affaires, que celle qu'il trouve dans son âme, particulièrement si l'on a en soi-même deces choses dont la contemplation suffit pour nous faire jouir à l'instant du calme parfait, lequel n'est pas autre,à mon sens, qu'une parfaite ordonnance de notre âme.
Donne-toi donc sans cesse cette retraite, et, là,redeviens toi-même.
Trouve-toi de ces maximes courtes, fondamentales, qui, au premier abord, suffiront àrendre la sérénité à ton âme et à te renvoyer en état de supporter avec résignation tout ce monde où tu ferasretour.
Car enfin, qu'est-ce qui te fait peine ? La méchanceté des hommes ? Mais porte ta méditation sur ce principeque les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres ; que se supporter mutuellement est une portion dela justice, et que c'est malgré nous que nous faisons le mal ; enfin, qu'il n'a en rien servi à tant de gens d'avoirvécu dans les inimitiés, les soupçons, les haines, les querelles : ils sont morts, ils ne sont plus que cendre.Cesse donc enfin de te tourmenter.Mais peut-être ce qui cause ta peine, c'est le lot d'événements que t'a départi l'ordre universel du monde ?Remets-toi en mémoire cette alternative : ou il y a une providence, ou il n'y a que des atomes ; ou bienrappelle-toi la démonstration que le monde est comme une cité.Mais les choses corporelles, même après cela, te feront encore sentir leur importunité ? Songe que notreentendement ne prend aucune part aux émotions douces ou rudes qui tourmentent nos esprits animaux, sitôtqu'il s'est recueilli en lui-même et qu'il a bien reconnu son pouvoir propre, et toutes les autres leçons que tu asentendu faire sur la douleur et la volupté, et aux-quelles tu as acquiescé sans résistance.
Serait-ce donc la vanité de la gloire qui viendrait t'agiter dans tous les sens ? Regarde alors avec quellerapidité l'oubli enveloppe toutes choses, quel abîme infini de durée tu as devant toi comme derrière toi,combien c'est vaine chose qu'un bruit qui retentit, combien changeants, dénués de jugement, sont ceux quisemblent t'applaudir, enfin la petitesse du cercle qui circonscrit ta renommée.
Car la terre tout entière n'estqu'un point ; et ce que nous en habitons, quelle étroite partie n'en est-ce pas encore ? Et, dans ce coin,combien y a-t-il d'hommes, et quels hommes ! Qui célébreront tes louanges ?
Il reste donc que tu te souviennes de te retirer dans ce petit domaine qui est toi-même.
Et, avant tout, ne telaisse point emporter çà et là.
Point d'opiniâtreté ; mais sois libre, et regarde toutes choses d'un oeil intrépide,en homme, en citoyen, en être destiné à la mort.Puis, entre les vérités les plus usuelles, objets de ton attention, place les deux qui suivent : l'une, que leschoses extérieures ne sont point en contact avec notre âme, mais immobiles en dehors d'elle, et que le troublenaît en nous de la seule opinion que nous nous en sommes formés intérieurement ; l'autre, que tout ce que tuvois va changer dans un moment et ne sera plus.
Remets-toi sans cesse en mémoire combien de changementsse sont déjà accomplis sous tes yeux.
Le monde, c'est transformation ; la vie, c'est opinion.
»
Aristote, Ethique à Nicomaque.
»
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