L'autorité sociale suffit-elle à fonder l'obligation morale ?
Publié le 22/03/2004
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«
Ses velléités de paresse ne dureraient d'ailleurs que quelques instants, le temps que brillerait l'éclair d'intelligence.Au dernier de ces instants, alors que l'instinct, reprenant le dessus, la ramènerait de vive force à sa tâche,l'intelligence que va résorber l'instinct dirait en guise d'adieu : il faut parce qu'il faut.
Cet « il faut parce qu'il faut »ne serait que la conscience momentanément prise d'une traction subie, - de la traction qu'exercerait en seretendant le fil momentanément détendu.
»
BERGSON , « Les deux sources de la morale et de la religion ».
A l'arrière-plan de cette critique bergsonienne, ne peut-on déceler celle des sociologues ? A leurs yeux, l'impératifcatégorique se réduit à l'autorité de la société, laquelle nous commande parce qu'elle est extérieure et supérieure ànous, comme le dit Durkheim , un des fondateurs de la sociologie.
Cette explication sociologique conduit à nier la spécificité du devoir.
Grandeur du devoir kantien.
Toutefois, ne faut-il pas, avec Hegel lui-même, réhabiliter la philosophie kantienne du devoir, en tant qu'elle trouve sa racine dans la volonté [iv] , comme l'a bien montré Kant ? « La connaissance de la volonté n'a acquis qu'avec la philosophie kantienne son fondement solide » (« Principes de la philosophie du droit »).
La philosophie kantienne a fondé réellement le devoir et l'on ne saurait juger la théorie de Kant radicalement exsangue et inutilisable, dans la mesure où l'action serait toujours singulière [v] , par opposition à une législation universelle.
Ne serait-ce pas caricatural ? Loi morale, devoir et liberté sont en liaison intime, comme l'a montré fermement etjudicieusement Kant .
« Puisque, par le concept de liberté, on ne peut rien expliquer dans le mondedes phénomènes, mais qu'ici le mécanisme de la nature doit toujours servir deguide, et qu'en outre, lorsque la raison pure veut s'élever à l'inconditionnédans la série des causes, elle tombe dans une antinomie où, d'un côté commede l'autre, elle se perd dans l'incompréhensible, tandis que le mécanisme estau moins utile dans l'explication des phénomènes, personne ne se seraitjamais avisé d'introduire la liberté dans la science, si la loi morale, et avec ellela raison pratique, n'étaient intervenues et ne nous avait imposé ce concept.L'expérience confirme aussi cet ordre de nos concepts.
Supposons quequelqu'un prétende ne pouvoir résister à son penchant au plaisir, lorsquel'objet aimé et l'occasion se présentent ; est-ce que, si l'on avait dressé ungibet devant la maison où il trouve cette occasion, pour l'y attacherimmédiatement après qu'il aurait satisfait son désir, il lui serait encoreimpossible d'y résister ? Il n'est pas difficile de deviner ce qu'il répondrait.Mais si son prince lui ordonnait, sous peine de mort, de porter un fauxtémoignage contre un honnête homme qu'il voudrait perdre au moyen d'unprétexte plausible, il tiendrait comme possible de vaincre en pareil cas sonamour de la vie, si grand qu'il puisse être.
S'il le ferait ou non, c'est ce qu'iln'osera peut-être pas décider, mais que cela lui soit possible, c'est ce dont ilconviendra sans hésiter.
Il juge donc qu'il peut faire quelque chose, parcequ'il a conscience qu'il doit la faire, et il reconnaît ainsi en lui-même la libertéqui, sans la loi morale, lui serait toujours demeurée inconnue.
»
KANT , « Critique de la raison pratique », « Analytique de la raison pure pratique ».
[i] Habitude : comportement acquis par la répétition et exerçant une pression sur notre volonté.
[ii] Société : milieu humain organisé où sont intégrés les hommes.
[iii] Société close : celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes.
[iv] Volonté : chez Kant , faculté de se déterminer soi-même à agir conformément à la représentation de certaines lois.
[v] Singulier : qui s'applique à un sujet unique ou à un individu..
»
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