L'autorité politique peut-elle dériver d'une relation naturelle ?
Publié le 11/12/2009
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L’autorité est une relation de personne à personne ; en effet, un objet n’a pas, semble-t-il, d’autorité sur un autre objet ou sur une personne. Plus précisément, l’autorité hiérarchise, spatialise les individus en les distinguant les uns des autres. On parle en effet de l’autorité d’un père « sur « ses enfants, d’un maître « sur « ses disciples ou « sur « ses esclaves, ou encore de l’autorité d’un chef politique « sur « les citoyens ou sujets. Par cette relation, un ordre est instauré entre différents individus, les uns étant « placés sous « l’autorité des autres. Mais cette relation, le plus souvent, n’est pas à sens unique : certes, celui qui détient l’autorité a des droits sur les personnes placées sous son autorité ; mais il a souvent aussi des devoirs, des obligations ou charges (« avoir un enfant à charge « par exemple), et une responsabilité envers eux. La relation d’autorité est donc plus complexe que la simple soumission ou domination des uns par les autres.
Parmi les différents types d’autorité se trouve l’autorité politique, celle qui s’exerce dans la « polis « (mot grec qui désigne la « cité « et qui a donné le mot « politique «), ou plus largement dans la société. Cette autorité est pluridimensionnelle : elle est tout à la fois l’autorité de la loi, du gouvernement, et du juge. Finalement, l’autorité politique se manifeste essentiellement dans l’Etat, et dans ses différents pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. En schématisant et en simplifiant, on pourrait dire que l’autorité politique va de l’Etat à la société (même si là encore, cette relation n’est pas à sens unique).
La question est alors de déterminer d’où vient l’autorité politique. Il ne s’agit pas de savoir si l’autorité politique est une relation « naturelle «, comme on peut dire que l’autorité d’un père ou d’une mère sur ses enfants est « naturelle «, car le lien qui unit parents et enfants est lui-même naturel, biologique. La question est bien plus de savoir si l’on peut dériver l’autorité politique d’une relation naturelle : par exemple, celui qui est naturellement le plus fort peut-il détenir l’autorité politique ? Le « peut-il « est ici très important : car, bien sûr, dans les faits, le plus fort « peut « détenir l’autorité politique ; mais en droit ? Le plus fort détient-il légitimement cette autorité ? La question ici est donc bien plus celle de la légitimité de l’autorité politique que de sa possibilité. L’autorité politique est-elle légitime lorsqu’elle dérive d’une relation naturelle ? C’est ce qu’il nous faut déterminer ici. L’autorité politique peut-elle, dans les faits mais surtout en droit, être dérivée d’une relation naturelle, ou ne doit-elle pas plutôt être construite en rupture avec toute relation naturelle, et créer un ordre radicalement distinct de l’ordre naturel ?
«
Aristote, « dans la plupart des gouvernements libres, le citoyen est tour à tour gouvernant etgouverné (car on y tend à une égalité naturelle et à la suppression de toute distinction) »(Politique , I, 12).
Les inégalités politiques ne sont donc pas au fondement des relations d’autorité : elles discriminent ceux qui peuvent participer aux délibérations (c’est-à-dire à lapolitique) et ceux qui ne le peuvent pas.
Mais une fois au sein de l’espace politique, on netrouve plus que des hommes égaux entre eux (des personnes masculines non-esclaves) qui assument à tour de rôle la place de gouvernant et de gouvernés.
Ce qui reste de la naturedans la Cité c’est l’égalité, et non l’inégalité : l’autorité politique (à la différence des autresformes d’autorité) a une forme conventionnelle , légale, culturelle, bref, opposée à la nature. Même le roi, dont on a vu que son autorité ressemblait à celle du père sur ses enfants, tienten réalité son pouvoir des lois, puisque la royauté est décrite dans le livre III de la Politique comme une forme de politeia , c’est-à-dire de constitution : pour qu’il y ait un roi, il faut qu’il y ait une constitution légale.
En conclusion, même si l’autorité politique ressemble à des formes de gouvernements issues des inégalités naturelles, elle n’en est pas tirée , parce que l’ordre politique est fondé sur l’égalité naturelle et non l’inégalité naturelle. On peut faire à cette conception deux objections : peut-on réellement parler de différences et d’ inégalités naturelles ? S’il elles n’existent pas, ne peut-on soutenir que l’autorité politique cherche à reconstruire, dans l’état civil, un ordre naturel , au sens de légitime ? II. L’état civil légitime : un retour à l’état de nature ? L’idée qui paraît si évidente qu’il y a des différences naturelles ne serait-elle pas unpréjugé ? Prenons l’exemple des différences entre hommes et femmes : elles ont parunaturelles pendant des siècles, mais qui se sont avérées n’être que des différencespolitiques et culturelles.
L’erreur vient du fait que la plupart du temps on confond lesdifférences culturelles avec les différences naturelles : on oublie que les individus tels quenous les observons aujourd’hui sont le produit d’une histoire et d’une société biendéterminées, et que ce sont elles qui expliquent la plupart des différences.
C’est le problèmeque pose Rousseau dans la préface au Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes : « comment l’homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l’a formé la nature, à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire danssa constitution originelle ? » Il n’y qu’une seule chose de sûre, c’est que ce sont ceschangements qui sont la source des inégalités actuelles : « il est aisé de voir que c’est dansces changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la première originedes différences qui distinguent les hommes lesquels, d’un commun aveu, sont naturellementégaux entre eux.
» En effet, à l’état de nature, « état qui n’existe plus et n’a peut-être pointexisté, et dont il est pourtant nécessaire des notions justes pour bien juger de notre étatprésent » les hommes sont isolés les uns par rapport aux autres : ils ne se croisent querarement, et si jamais la supériorité de force ou d’intelligence permet à l’un d’asservir l’autre,il suffit qu’il s’endorme un moment pour que son esclave s’enfuit.
Bref, les différences entrehommes ne sont pas suffisantes pour créer des inégalités.
Il est donc impossible de vouloir « naturaliser » les relations d’autorité politique en lesfondant sur la nature.
Au chapitre II du livre I du Contrat social montre qu’il est vain de croire que les sociétés actuelles sont fondées sur la famille.
En effet, « les enfants nerestent-ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver.
Sitôtque ce besoin cesse, le lien naturel se dissout.
» Il est donc vain de vouloir fonder le pouvoirdes rois sur celui des parents, car ses sujets étant dotés de raison et pouvant se conserverpar leur propre force, ils n’auraient plus aucune obligation envers le roi.
« S’ils continuent derester unis, ce n’est plus naturellement mais volontairement ; et la famille elle-même ne semaintient que par convention.
» C’est donc bien une convention qui est, même dans ce quiapparaît comme le plus naturel des pouvoirs et sociétés, la famille, au fondement del’autorité.
L’état civil se fonde donc sur une première convention : il n’y a rien de naturel dans l’ordrepolitique, il est purement conventionnel apparemment.
Pourtant l’état civil légitime, qui nefait pas que perpétuer l’état de guerre de tous contre tous en ne servant que les intérêts dequelques-uns mais en faisant participer tous les citoyens au corps social et à l’expression dela volonté générale, cet état civil légitime restaure bien les deux conditions fondamentalesde l’état de nature : l’égalité et la liberté.
Comme l’écrit Rousseau au début du Contrat.
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