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L'artiste doit-il écouter son instinct ?

Publié le 27/02/2008

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.. ». Dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Proust analyse la trajectoire du peintre Elstir, figure emblématique de l'artiste : il montre comment le génie exprime une vision du monde personnelle, qu'il ne cesse de parfaire jusqu'à ce qu'il parvienne à maîtriser son approche personnelle du réel. Une fois qu'il aura atteint la perfection dans sa conception logique de son propre style, il ne fera que se répéter. Ici, le mot « instinct » renvoie à l'instinct de l'individu, à sa tendance propre à s'orienter vers telle ou telle réalité. « Ceux qui produisent des ?uvres géniales ne sont pas ceux qui vivent dans le milieu le plus délicat, qui ont la conversation la plus brillante, la culture la plus étendue, mais ceux qui ont eu le pouvoir, cessant brusquement de vivre pour eux-mêmes, de rendre leur personnalité pareille à un miroir, de telle sorte que leur vie, si médiocre d'ailleurs qu'elle pouvait être mondainement et même, dans un certain sens, intellectuellement parlant, s'y reflète, le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété. » (A l'ombre des jeunes filles en fleurs) En ce sens, l'instinct s'oppose à l'intellectualisme, à la technique qui ne serait que pur mécanisme ou à la culture. 2. Nuance : instinct incompatible avec style Cette dernière analyse nous engage à introduire une nuance dans notre interprétation des propos de Proust : l'instinct ne doit pas se réduire à n'être que purement répétitif, comme le suggérerait sa définition, en toute orthodoxie. L'art résulte d'un processus complexe dont Balzac dit qu'il renvoie à un mécanisme encore incompris, quoique compréhensible en soi. En fait, les propos de Proust sont nettement polémiques et s'inscrivent en faux contre l'idéologie de son époque, contre l'obédience conventionnelle à la démarche prônée par Sainte-Beuve.

« qui permettra de donner une forme à l'impulsion première: II.

Examen critique : importance de la technique Proust suggère que la plus grande manifestation du génie consiste à humilier son intelligence : il faut «écouter» soninstinct, donc accomplir un acte conscient, qui permet de s'abstraire du conformisme ambiant.

Mais l'artiste doitcommencer par se former, lui, puis il va donner une forme cohérente à son œuvre afin de parvenir à exprimer demanière complète et complexe ce que lui inspirent son intuition, son inconscient. 1.

L'apprentissage de la techniqueL'artiste ne peut faire l'économie de l'apprentissage technique : l'intuition elle-même, constitutive du mécanismecréatif, résulte de l'assimilation de données antérieures à la création.

L'art est une morale du renoncement à soi : ilne s'agit pas de traduire purement et simplement son expérience.

Il faut la sublimer, la représenter au prix d'un longet pénible apprentissage des méthodes, qu'il convient, certes, de dépasser mais qu'il faut d'abord assimiler.

Entémoignent les recherches de Balzac qui a commencé par écrire des romans à la mode pour assimiler les techniquesformelles avant de traduire sa vision 4es choses.

Ses personnages sont des érudits qui connaissent parfaitement lesrègles de leur art.

Ils cherchent à traduire dans la matière leur inspiration première.

De même, l'artiste proustien estd'abord un forçat du travail, un individu qui s'isole du monde pour parfaire sa maîtrise technique.

Ainsi, Elstir demeurecomme étranger à la frivolité des touristes en villégiature : il demeure dans une maison très laide mais il s'isole faceà son œuvre.

A l'inverse, Swann incarne la figure de l'esthète qui ne parvient pas à formaliser son intuition, quidemeure un raté, irrémédiablement, 2.

La nécessité de composerL'art s'impose comme une mise en forme de la réalité, plus authentique que celle qui nous apparaît.

Ainsi, l'ensemblede la Recherche fait sens : la composition implique une vision du monde.

Proust parle de cathédrale, de symphonie.Elstir cherche à capter le principe de l'inversion, de la fusion des différents espaces l'un dans l'autre : il participed'une vision impressionniste du réel.

On aboutit à l'idée que la forme signifie : il ne saurait être question de revenirau dualisme manichéen qui consiste à opposer la forme et le fond.

Chez Proust, les objets font des signes aunarrateur: ils voudraient s'exprimer — comme, plus tard, les choses dans l'œuvre de Ponge, poète contemporain.

Unjour, le narrateur de Proust reçoit une sorte d'avertissement venus d'arbres qui, à Hudimesnil, disent la nécessité dese déprendre d'une conception intellectuelle du réel.

La création exige une initiation orphique aux mystères de lanature. 3.

La critique de l'absolu, de l'idéalismeL'art ne fournit pas tant des réponses qu'il ne vise un absolu, en soi impossible à atteindre : la recherche est unmouvement constitutif de l'art lui-même.

Il faut que l'art cherche l'unité du monde, établisse une synthèse possible,mais transitoire, entre l'intuition et l'intellect, ou, plus précisément, l'intuition de la transcendance.

La perfection estimpossible à atteindre : l'art a pour fonction de formuler des questions, de suggérer le mystère.

Rien d'absolu nesaurait donc être atteint.

L'art ne doit pas devenir à lui-même sa propre référence, se constituer comme modèle deperception du réel.

Il fait alors écran à la perception naïve de la réalité.

On aboutit à l'idée que l'art peut pervertircette perception naïve du réel qui le conditionne.Donc, il faut que l'artiste nourrisse l'œuvre de sa propre substance, de son instinct : «Je m'apercevais que ce livreessentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n 'a pas, dans le sens courant, à l'inventer, puisqu'il existe en chacunde nous, mais n le traduire.

Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un traducteur.

» (Proust, Le Tempsretrouvé)En fait, l'art rencontre l'essence du monde alors même que l'artiste est capable de s'abstraire des catégoriesconventionnelles du réel : il faut que l'œuvre établisse une symbiose entre l'idée et l'extérieur, le réel et la forme.Voilà ce que signifie la phrase de Proust, que nous trouvons déjà chez Balzac, pour qui la forme parfaite entre ensymbiose avec l'univers mental de l'artiste et le réel en soi.

Lieu de l'unité, l'art permet de réaliser l'union entre le moiet le monde.

C'est ce dont le narrateur proustien prend conscience en heurtant le pavé de la cour des Guermantes :il a la révélation de sa connaissance intuitive, semblable à celle de Dieu, d'une vision du monde qui lui est propre. Conclusion Les propos de Proust s'inscrivent dans un contexte polémique dont il faut préciser la teneur avant de procéder àune assimilation simpliste de l'instinct avec le mécanisme de la création en soi.

Il s'agit, pour lui, de revenir à unevision authentique de la réalité, qui exige de se déprendre de l'illusion humaine consistant à se fier à l'omnipotencede la raison.

L'art confronte l'homme à la nostalgie de l'infini qui l'habite et ne saurait être assimilé à un processuspurement formel.

Il recèle une part d'irrationnel, de fantastique dirait Balzac, qui témoigne de la puissance de lapassion, des forces obscures, dans le processus de la création, quelque maîtrisé qu'il soit.. »

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