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L'art sert-il à quelque chose ?

Publié le 11/02/2004

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Telle est la pensée de Nietzsche : l'art est l'esthétisation de la vie. Ce n'est pas la création d'une oeuvre d'art unique qui importe, c'est de faire de sa vie tout entière une oeuvre d'art. L'art, c'est la vie. Il nous apprend à tolérer, à communiquer, à dire un « oui » tonitruant à la vie et à écarter les forces réactives du ressentiment.* Freud, d'une autre façon, affirme la même chose. L'art est sublimation, c'est-à-dire esthétisation des pulsions. Créer permet de se débarrasser du refoulé, de toutes les tendances inconscientes qui n'arrivent pas à s'exprimer et qui font souffrir. L'art emprunte sa force aux pulsions fondamentales pour les dériver vers un but de substitution socialement valorisé. Mais Freud dit aussi que, si on peut expliquer par l'analyse psychanalytique les conditions d'apparition d'une oeuvre, on ne peut rien dire quant au « don » artistique qui échappe ainsi à toute interprétation. La sublimation : le cas de Léonard de Vinci La sublimation est une des notions qui ont le plus retenu l'attention en dehors même de la psychanalyse parce qu'elle semble susceptible d'éclairer les activités dites « supérieures », intellectuelles ou artistiques.

Que l'oeuvre d'art n'ait pas de fonction assignable ne signifie pas que l'art ne sert à rien : Hegel, dans son Esthétique, lui assigne même la tâche la plus haute. Une œuvre n'a pas pour but de reproduire la nature avec les faibles moyens dont l'artiste dispose, mais de la recréer. Dans le tableau, ce n'est donc pas la nature que je contemple, mais l'esprit humain : l'art est le moyen par lequel la conscience devient conscience de soi, c'est-à-dire la façon par laquelle l'esprit s'approprie la nature et l'humanise. C'est donc parce que nous nous y contemplons nous-mêmes que l'art nous intéresse.

 

 

 

« La sublimation : le cas de Léonard de Vinci La sublimation est une des notions qui ont le plus retenu l'attention en dehorsmême de la psychanalyse parce qu'elle semble susceptible d'éclairer lesactivités dites « supérieures », intellectuelles ou artistiques.

Pour cette raisonmême, sa définition est incertaine, chez Freud lui-même, parce qu'elle faitappel à des valeurs extérieures à la théorie métapsychologique.

Le mot mêmeévoque bien entendu la grande catégorie morale et esthétique du sublime,mais aussi la transformation chimique d'un corps quand il passe de l'état solideà l'état gazeux.

Peut-être pouvons-nous en tirer l'idée d'élévation depuis lesbas-fonds (sexuels ?) de l'âme jusqu'à ses expressions les plus élevées.

Lapsychanalyse ferait alors le mouvement inverse de celui que lui assignaitFreud quand il choisissait comme épigraphe à L'interprétation des rêves, levers de Virgile dans l'Énéide : « Flectere si nequeo superos, Acherontamovebo » (« Si je ne peux fléchir les dieux d'en haut, j'ébranlerai ceux del'enfer »).

Freud va jusqu'à utiliser l'expression paradoxale de « libidodésexualisée », éloignée des buts et objets sexuels.

Notons cependant quece n'est pas « l'instinct sexuel » unifié qui est ainsi sublimé.

La sublimation estessentiellement le destin des pulsions partielles, c'est-à-dire celles dontl'issue aurait pu être la perversion ou la névrose.

Freud n'a guère précisé ledomaine de la sublimation en dehors des activités scientifiques ou artistiques.Dans le Malaise dans la civilisation il semble lui rattacher les activités professionnelles quand elles sont librement choisies.

D'autre part, il considère comme une forme de sublimation lesformations réactionnelles c'est-à-dire ces barrières élevées contre les pulsions, consolidées pendant la période delatence par l'éducation, mais qui tirent leurs forces de la libido elle-même.

Ainsi se forment les traits de caractère :« Ainsi l'entêtement, l'économie, le goût de l'ordre découlent-ils de l'utilisation de l'érotisme anal.

L'orgueil estdéterminé par une forte disposition à l'érotisme urinaire » (Trois essais, p.

190).

Le processus de la sublimation nenous propose pas seulement une esquisse de caractérologie, mais plus généralement encore de la vie éthique : «C'est ainsi que la prédisposition perverse générale d e l'enfance peut être considérée comme la source d'un certain'nombre de nos vertus dans la mesure où, par formation réactionnelle, elle donne le branle à leur élaboration »(ibid.,p.

190).Cependant le texte principal sur la sublimation reste Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci (1910).

Le souvenirest le suivant : « Je semble avoir été destiné à m'occuper tout spécialement du vautour, écrit Léonard, car un despremiers souvenir d'enfance est qu'étant au berceau, un vautour vint à moi, m'ouvrit la bouche avec sa queue etplusieurs fois me frappa avec sa queue entre les lèvres ».

Bien entendu ce récit peut n'avoir aucune objectivité etêtre une reconstruction.

Or Freud ne dispose que d'un matériel fort réduit pour interpréter cet unique souvenird'enfance : quelques éléments biographiques peu sûrs, des textes et des dessins des fameux Carnets et enfinsurtout l'oeuvre artistique.

En fait Freud s'appuie sur la symbolique dégagée par l'expérience psychanalytique et surla symbolique des légendes et des mythes (en particulier de l'Égypte ancienne concernant le vautour).

D'emblée ilcompare le souvenir au moins en partie reconstruit, avec la préhistoire fabuleuse que s'attribuent les peuples.

Ilretrouve dans le souvenir d'enfance de Léonard, la théorie sexuelle infantile de la mère phallique que l'expériencepsychanalytique met en rapport avec une relation érotique intense à la mère et avec un type d'homosexualitévraisemblable chez le peintre, même si elle n'est restée que platonique.

Freud cite alors le fameux sourireénigmatique des figures féminines ou masculines dans les tableaux de Léonard, et même il reprend à son compte la «découverte » de son disciple O.

Pfister qui voyait le contour d'un vautour, symbole de la maternité, dansl'enroulement compliqué du manteau de Marie penchée sur l'enfant Jésus, telle qu'elle est représentée dansl'admirable sainte Anne du Louvre.Toute cette partie de l'interprétation freudienne a été vivement contestée : la documentation historique estincomplète et surtout l'oiseau du souvenir n'est pas un vautour (Freud a été trompé par la traduction) mais un milan; dès lors le rapprochement avec le symbolisme égyptien du vautour n'est plus tenable et il ne peut plus êtrequestion d'en retrouver l'image dans la sainte Anne du Louvre.

Plutôt que de s'attarder sur la discussion d'un casindividuel, dans des conditions telles que l'interprétation ne peut qu'être hautement hypothétique, il est plusimportant de suivre le processus de la sublimation, quelle que soit la valeur historique de l'exemple.

Ce que Freudcherche à expliquer par l'analyse du fantasme d'enfance de l'oiseau (milan ou vautour) est la conjonctionexceptionnelle chez Léonard du refoulement et des inhibitions sexuelles d'une part et d'autre part d'uneextraordinaire capacité de sublimation.

Dès la première enfance, les pulsions de voir, de savoir se manifestent avecforce dans l'investigation sexuelle.

Une autre personne que Léonard n'aurait sans doute pas réussi à soustraire laplus grande partie de ses pulsions sexuelles au refoulement par la sublimation en soif de savoir.

Il aurait pu enrésulter soit un dépérissement du travail intellectuel soit une névrose de type obsessionnel dont quelques traits seretrouvent d'ailleurs dans la biographie de Léonard.

Il semble que, dans son cas, la curiosité sexuelle infantileprédominante se sublima en productions scientifiques et artistiques, cependant qu'une faible part de la libido resteorientée vers un but sexuel, et encore, par suite de la fixation à la mère, sous une forme homosexuelle.Freud reconnaît les limites d'une telle biographie psychanalytique.

Il se défend de vouloir expliquer le génie par lapsychopathologie.

Au XIXe siècle une certaine exaltation romantique conduisit à expliquer la supériorité du grandhomme par le trouble mental et des psychiatres en ont fait la théorie.

Mais penser que tous les génies sont fousn'est pas même rassurant pour la médiocrité de l'homme ordinaire, car la réciproque n'est sûrement pas vraie !Récemment encore des tonnes de papier ont été consacrées aux aspects les plus pathétiques de la vie de VincentVan Gogh, sans rien nous apprendre sur son art.

Selon une formule rapide mais juste, Van Gogh n'a pas peint deschefs d'oeuvre parce qu'il était fou mais contre sa folie.

Depuis Freud, de nombreuses biographies d'écrivains,. »

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