L'art s'adresse-t-il principalement aux sens ?
Publié le 14/03/2004
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De toute évidence, que je fréquente un musée, que j'assiste à un concert, ou même que je m'engouffre dans l'obscurité d'une salle de cinéma, il semble bien qu'il ne soit toujours question que d'une histoire de sens et rien d'autre. Quelque soit le sens convoqués, ou même les sens convoqués, c'est bien à leur témoignage que je m'en remets. Cependant, il s'agirait de s'interroger sur la possibilité d'une utilisation différente de ses sens au sein de la contemplation esthétique. En effet, mes sens ont-ils la même fonction en art que dans les autres activités, ou trouvent-ils ici une application particulière? Parallèlement, il est possible de s'interroger sur la possibilité qu'il puisse exister un usage pour ainsi dire propice des sens: si mes papilles gustatives me servent à goûter, elles ne seront de toute évidence pas mobilisées de la même manière selon que je mange un hamburger dans un fast food, ou un plat délicatement préparé dans un restaurant gastronomique. En ce sens, l'oeuvre d'art pourrait constituer une mobilisation optimale de mes surfaces sensibles, une mobilisation intégrale qui en exploiterait toute les ressources. En d'autres termes, y a-t-il une utilisation entéléchique des sens, une utilisation parfaitement achevée des sens? On remarquera dans le sujet la présence du terme « adresser «: l'art s'adresse-t-il aux sens comme quelqu'un adresse une lettre à un destinataire? Lorsque j'adresse une lettre à quelqu'un, la cause finale de cette action demeure dans la délivrance d'un message que je tiens à partager avec lui, que je tiens à lui communiquer. Contrairement à la bouteille jetée en pleine mer, l'adresse suppose que le message ne doit pas être livré à un anonyme, que le choix de ce destinataire n'est pas arbitraire, aléatoire: il faut que ce soit lui, et cela n'aura le sens escompté que si la bonne personne endosse ce rôle. En recevant la lettre, le destinataire choisi rentre pour ainsi dire dans les intentions premières de celui qui a envoyé la missive, son plan fonctionne selon ses intentions. Ainsi, l'utilisation du terme « principalement « au sein du sujet d'origine, ne fait que redoubler le sens premier de l'adresse qui est précisément adresse pour quelqu'un de déterminé. D'ailleurs, le fait qu'on élargisse le groupe de réception d'y change rien: qu'on s'adresse à une foule, un peuple, ou même aux habitants de la planète terre, on cible toujours par l'adresse quelque chose de déterminé. Cependant, on sera tout de même sensible à l'idée de principe (αρχη) au moins pour deux raisons: premièrement, la notion renvoie à ce qui cause, à ce qui est la source de l'action (ici donc, l'art serait pour les sens, ce serait dans leur réception qu'elle trouverait son sens en tant que pratique); deuxièmement, l'idée de principe est aussi synonyme de point de départ, de commencement (l'art viserait les sens comme point de départ, sans forcément laisser supposer qu'elle se réduit à cette adresse). Il faut être attentif au fait que nous nous retrouvons ici face à un paradoxe évident: l'art ne s'adresse-t-il qu'au sens (premier sens du mot principe), ou trouve-t-il en eux son point de départ avant de se diffuser dans un au-delà des sens?
«
traitement, et méritent même d'être sauvées voire encouragées.
Pourquoi? L'artiste qui doit être condamné, c'estcelui qui utilise les stratagèmes du sensible pour faire vrai , celui qui use de la fausse perspective, du trompe-l'œil, qui ne respecte pas les véritable proportion afin de créer l'effet souhaitable.
A contrario , l'artiste qui respecte quant à lui les proportions, qui recrée en respectant la structure du sensible, qui produit en somme une analogie (αναλογια , similarité de structure) est quant à lui à sauver.
En effet, il existe certains rapports mathématiques ausein de la réalité, des rapports ordonnés qui persistent malgré l'éphémère du monde, des rapports que le secondartiste respecte et reproduit.
Mais cet forme artistique ne s'adresse déjà plus précisément au sens mais bien àl'Intellect (νους) capable de saisir dans la réalité les ordres à l'oeuvre.
En ce sens déjà une porte s'ouvre au-delàdes sens; quelque chose nous est proposé qui ne se réduit plus à l'accueil sensoriel: nous allons vers le principecomme point de départ, un point de départ qui se prépare à être dépassé.
Schopenhauer: l'oeuvre d'art, incarnation de l'Idée II.
L'erreur serait de rester « bloqué » si l'on peut dire à une conception de l'art comme mimesis (μιμεσις , imitation) du réel sensible.
Avec l'idée de l'oeuvre comme analogie, nous approchons déjà l'idée que l'oeuvre ne s'adresse pas auxseuls sens, anticipant par là sa constitution comme support de connaissance.
Comme Schopenhauer le précise dansLe Monde comme volonté et comme représentation , « comment l'artiste reconnaîtra-t-il dans la nature le chef d'oeuvre, le modèle à imiter, comment le distinguera-t-il dans la foule des êtres manqués, s'il n'a une conceptionde la nature antérieure à l'expérience? ».
Cette phrase est lourde de sens, aussi mérite-t-elle qu'on s'y attarde. Rappelons tout d'abord que pour Schopenhauer il existe une force, une texture même commune à l'ensemble dumonde qu'est la Volonté .
Cette dernière tente de s'exprimer au sein de l'espace et du temps, se muant ainsi en représentation , soit la représentation que nous avons de cette volonté.
Or, cette manifestation nous ne la voyons que de manière éparse, multiple, là où elle est en vérité l' un-primordial , le magma unique qui bouillon sous la matière comme sous les formes de vie les plus évoluées.
Ainsi, que ce soit le paysage face à nous, ou même nous-mêmes,nous sommes tous constitués de cette même Volonté qu'est l'essence du monde.
Or l'artiste va précisément être celui qui rentre en contact avec ce principe unique et créateur qu'est la volonté, c'est celui sont la vue perce àtravers le monde simplement phénoménal pour s'enfoncer dans les profondeurs du monde.
Il s'agit donc pour le génieartistique de saisir, par-delà la représentation, soit la morphologie sensible que prend la Volonté , cette Volonté précisément à l'oeuvre.
Ainsi, Schopenhauer rajoute-t-il un peu plus loin: « à ce pressentiment, le génie, digne de ce nom, joint une incomparable profondeur de réflexion; à peine a-t-il entrevu l'Idée dans les choses particulières,aussitôt il comprend la nature comme à demi-mot; il exprime sur le champ d'une manière définitive ce qu'ellen'avait fait que balbutier ».
En somme, ce que la Volonté tente parfois en vain d'exprimer à travers les manifestations naturelles, l'art le saisit, le comprend, comprend l'Idée que la Volonté tente d'exprimer, et la fixe à travers l'oeuvre.
L'artiste est celui qui dit « Tiens, voilà ce que tu voulais exprimer » à la nature.
Là où cette dernière tentait l'expression de l'Idée, l'artiste la double en faisant émerger la manifestation parfaite de cette Idée.
Il faut donc ici prendre en compte deuxmouvements simultanés.
D'abord, l'artiste voit et donne à voir, c'est évident.
Cependant, il n'est pas question des'arrêter aux simples témoignage sensitif, il faut aller plus en avant et saisir ce qui s'exprimer derrière ce queSchopenhauer appelle le voile de Maya , derrière l'illusion que constitue encore une fois le monde sensible.
Il s'agit en dernière instance de saisir par une intuition parfaite et surtout géniale, l'expression de cette volonté qui tente degénérer l'Idée au sein de la sphère de la représentation.
La nature sentie est donc un point de départ que l'artistedoit dépasser pour aboutir au principe même du monde, à la Volonté comme expression créatrice et entêtée.
Le travail de l'artiste est donc toujours un travail de re-connaissance , il opère toujours à partir de cet a priori qu'il connaît (parce son être lui-même en est le fruit) qu'est la Volonté qu'il saisie à l'oeuvre en-deçà du monde.
L'artiste dépasse donc la nature parce qu'il dépasse le champ simplement sensitif.
La nature telle qu'elle est perçuepermet l'acte de reconnaissance de ce que l'artiste connaît déjà, de ce qu'il porte déjà au fond de lui, à savoirl'Idée.
En ce sens, nous dit Schopenhauer, « c'est l'Idée, l'Idée qui, pour une moitié du moins, se dégage a priori et qui, en cette qualité, rejoint et complète les données a posteriori de la nature; c'est à cette condition qu'elle passedans le domaine de l'art ».
L'expérience sensitive, que ce soit pour l'artiste comme pour le spectateur débute par l'opération sensible bien que cette dernière ne soit qu'une occasion où l'esprit s'éprouve.
Si l'artiste et mêmel'observateur de l'oeuvre « sont capables a priori, l'un de pressentir et l'autre de reconnaître le beau, cela tient à ce que l'un et l'autre sont identiques à la substances de la nature, de la volonté qui s'objective ».
L'artiste, tout comme le spectateur, devancent donc le monde sensible, exprime et saisissent même parfois ce que cette dernièrene fait que murmurer.
On comprend ici que les sens ne sont qu'un point dans le processus.
En un sens, ce pointn'est pas point de départ puisque le véritable point de départ demeure l' a priori de la Volonté et son pressentiment . Mais en un autre, il ouvre la sphère de l'expérience sensible où l'artiste est en quête des formes inachevées, desbeautés que la nature n'a pas plus atteindre.
En ce sens, l'oeuvre d'art ne sera que le témoignage de cette quête,de ce qui a été découvert par contemplation.
Dans tous les cas, que l'on se place selon la perspective de l'artisteou du spectateur, on comprend que les sens ne sont que le marche-pieds à un en-deçà plus vaste qu'est celui de laVolonté .
Neurologie et entéléchie des sens? III.
Il nous faut ici partir du philosophe de l'esprit qu'est Dennett et de quelques précisions neurologiques.
Dans « Are we explaining the consciousness yet », l'auteur tente une définition de la conscience.
Dans un premier temps, il nous.
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