L'art nous fait-il percevoir le réel autrement ?
Publié le 22/01/2020
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animales qui y sont dispersées. Ainsi mon rapport quotidien avec le réel est-il très incomplet, et l’œuvre d’art vient précisément m’en révéler des aspects que je ne soupçonnais pas. Si l’art peut attirer l’attention sur ce qui n’était pas encore perçu, on comprend que l’« inutilité » de l’œuvre n’est qu’une autre façon de désigner le fait que l’artiste d’abord, et le « consommateur » ensuite, doit en effet mettre entre parenthèses, dès qu’il est question d’art, l’intérêt pratique immédiat. Bergson a insisté sur cet aspect, pour faire de l’artiste un « voyant » qui nous autorise à mieux voir le réel à notre tour.
[IL L’art, expérience sensible]
Ainsi, le goudron n’est pas seulement un revêtement pour chaussées, il est aussi un matériau de peintre, si ce dernier s’appelle Dubuffet ; et dès lors il nous révèle des
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LA PRATIQUE ET LES FINS
[I.
L'art comme illusion positive]
Si les philosophes s'obstinent à réfléchir sur l'art et à tenter d'en cerner
la nature, c'est peut-être parce qu'ils y devinent des pratiques susceptibles
de rivaliser avec la philosophie elle-même, dans la manière qu'elles ont de
nous informer sur ce que nous nommons banalement la réalité.
Concur
rence de surcroît déloyale, puisque les œuvres d'art s'adressent très direc
tement au public, sans avoir recours à un lourd appareillage de concepts
abstraits : en visant la sensibilité, l'art aurait sur tout discours l'avantage
de l'immédiateté.
Il est normal que Platon, qui mésestime tout ce qui participe de la sen
sibilité, soit méfiant à l'égard de l'art, et n'y trouve qu'une collection de
techniques visant à nous tromper.
La poésie nous ravit sans doute par ses
belles formules, mais les poètes, inspirés par les divinités, sont incapables
de justifier leurs propos, et il leur arrive de temps à autre de dire n'im
porte quoi.
Ils seront donc exclus de la cité juste.
Quant aux peintres, 'ils
reproduisent un univers matériel qui n'est lui-même que la version dégra
dée de l'univers intellectuel.
Les arts plastiques ne sont ainsi que de la
copie de copie ! Si la « réalité » la plus haute est bien celle des Idées, réa
lité que, par définition, la sensibilité ne peut atteindre, on voit mal
comment l'art - qui est obligé d'emprunter des voies sensibles - poÙr
rait avoir quelque rapport avec elle.
L'art n'est ainsi qu'un monde d'illu
sions, qui nous éloignent simultanément de la vérité et de la réalité.
Toute illusion; réplique Nietzsche, n'est pas négative ou inutile.
L'esprit
se croit-il assez résistant pour supporter la cruauté de la réalité telle
qu'elle est en elle-même? L'illusion lui est bien nécessaire, qui rend sup
portable la dureté de la vie.
La grandeur irremplaçable de la tragédie
grecque a précisément consisté à nous montrer à quel point l'esprit apolli
nien et l'esprit dionysiaque sont liés, combien la conscience individuelle
doit aussi s'évanouir périodiquement dans l'ivresse ou la mort : dure
vérité, qui correspond sans doute au« cœur »même du réel et à ce qu'il a
de plus profond, mais que seul l'art peut mettre à notre portée, en la voi
lant quelque peu.
Ainsi, c'est en se détournant en apparence de la réalité
et du quotidien (car le temps de la représentation tragique n'est pas celui
des occupations ordinaires) que l'œuvre nous entretient à sa façon de ce
qui les fonde.
Notre rapport au réel peut en effet varier : ordinairement, nous ne nous
intéressons qu'à_ce qui peut nous être utile.
Nous avons sur le« réel» une
visée fonctionnelle, qui n'en conserve que certains aspects ou certaines
qualités, et en néglige bien d'autres.
Si je ne considère un champ que pour
le parcourir le plus vite possible, il y a peu de chances pour que je sois
attentif à ses couleurs, à la malléabilité variable de la terre, aux traces.
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