l'art imite t il la réalité ?
Publié le 11/03/2024
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L’ART ET LE REEL
Depuis le paléolithique supérieur, l’histoire de l’Humanité est indissociable à la
création d’œuvres artistiques.
L’art regroupe un ensemble d’activités spécifiquement
humaines, nécessitant la connaissance d’une certaine technique, sans utilité pratique et
découlant d’une intention.
S’il est difficile d’en établir une définition précise, il semble
toujours être symbolique et s’inspirer du réel, de ce qui existe, ce qui nous amène à
interroger sa nature et le statut même de sa représentation.
Ainsi, peut-on soutenir que
l’art, qui apparaît comme le lieu même de l’expression créative, imite la réalité ? Dans un
premier temps, nous explorerons les caractéristiques et la fonction de l’imitation
artistique, puis nous examinerons la notion de la réalité et sa relation avec l’art.
Enfin,
nous questionnerons les propriétés de l’objet d’art.
Suivant les siècles, de nombreuses conceptions de l’art et de sa fonction se sont
succédées : en Grèce Antique était prônée une approche fonctionnaliste de celui-ci, étant
considéré comme moyen d’éduquer l’âme.
Selon cette perspective, l’artiste ne diffère
guère de l’artisan, l’art n’est pas libre mais défini par des critères extérieurs et soumis à
des règles en vue d’un but déterminé ; comme la médecine a pour finalité la
connaissance de la santé, l’art a pour finalité celle du vrai, synonyme de bien et de beau.
C’est conformément à cette interprétation de l’art que Platon, dans le Livre III de la
République, critique la mimésis artistique : il accuse les peintres et poètes illusionnistes
de n’être que des charlatans qui imitent les apparences sensibles en la faisant passer
pour la réalité ; leurs productions sont mensongères, et donc laides d’un point de vue
moral.
Car pour Platon, la réalité se situe dans le monde des Idées, modèle de tout ce
qui est perceptible.
Ainsi, le rôle de l’art est de se rapprocher de la représentation de
cette réalité idéelle, afin de dévoiler aux hommes la vérité et d’accroître leur vertu, tandis
que les imitations du concret ne sont que l’ombre d’une ombre.
Telle est le statut de la
tragédie qui s’attache aux émotions puériles et inutiles de la vie humaine, signe de
l’ignorance.
Cependant, comme le souligne Bergson dans son écrit, réduire l’art à n’être qu’une
copie passive des apparences semble erroné ; de nettes divergences différencient le
théâtre de l’existence.
D’emblée, l’imitation apparaît non comme une représentation
fidèle, mais comme une reconstruction de la réalité.
L’artiste ne choisit pas de l’exprimer
telle qu’elle est, c’est-à-dire confuse et désordonnée, mais plutôt telle qu’elle devrait
être, et « ne dit que ce qu’il faut dire » pour reprendre la formule de Bergson.
De cette
manière, il procède à une sélection parmi les éléments de la réalité : il a donc une marge
d’interprétation.
On peut établir un parallèle entre la pensée de Bergson et celle
d’Aristote : dans la Poétique, il affirme que toute imitation artistique est schématisation
du quotidien, épurée des actions secondaires et superflues du tangible.
Cela favorise
l’émergence de l’ordre et finalement de la beauté, car agencée selon une logique interne,
elle-même orientée en vue d’un dénouement cohérent.
L’art est donc reconstruction
idéale de la réalité, en ce sens il la surpasse : il sublime le réel.
Conformément à cette
théorie, le peindre Zeuxis cherche à atteindre une image idéalisée d’Hélène en s’inspirant
des plus beaux traits de cinq jeunes femmes différentes.
Ainsi, l’imitation est invention,
et l’artiste est créateur : il ne copie pas la réalité mais représente un idéal, soit un
schéma mental.
En art, l’imitation n’est donc rarement qu’une simple imitation : elle ne vise pas la
reproduction élémentaire des apparences mais en organisant logiquement la réalité
cherche à en faire ressortir le sens, en opposition à la nature désordonnée de la vie
humaine.
Par la mise en forme du concret, l’imitation présente un caractère didactique :
elle permet de dévoiler le réel.
Exposant des vérités profondes et intelligibles, l’art
s’adresse à l’esprit et s’étend au-delà de la surface de la réalité.
Selon ce point de vue et
dans la continuité d’Aristote, les peintres de l’Académie Royale ont au XVII e siècle
défendu une conception intelligible de l’art en y associant une mission spéculative.
Le
peintre est savant et non simple copiste des apparences : il se doit de révéler l’essence
des choses, étroitement liée à la beauté et à la parole de Dieu.
Ainsi le tableau de
Léonard de Vinci intitulé l’Homme de Vitruve ne se limite pas à la représentation sensible
d’un homme : dans la quête de ses proportions parfaites y est exprimée l’harmonie
divine.
L’art, qui est spéculatif, aurait donc la faculté de communiquer des réalités abstraites et
d’engendrer des réflexions d’ordre métaphysique.
L’apparence de l’œuvre cache souvent
un double-sens en exprimant plus qu’elle ne montre ; elle ne s’adresse pas seulement
aux sens mais à la pensée.
Derrière l’imitation, certains artistes ont ainsi cherché à
rendre compte de la dimension spirituelle de la réalité.
En effet, dans son ouvrage
l’Esthétique, Hegel soutient que toute réalité est esprit et affirme que l’art doit dévoiler
l’intelligibilité des choses.
Selon lui, les peintures du Siècle d’Or Néerlandais du XVII e
siècle, bien que réputées « réalistes », ne sont pas réductibles à l’imitation.
En
représentant l’ordinaire du quotidien, elles mettent en lumière la signification de la vie de
l’homme, où chaque action est associée à des valeurs.
De cette manière, dans ses
tableaux de nature morte, Peter Claes ne représente pas le fruit mais nous renvoie à sa
symbolique.
Finalement, l’imitation artistique n’est jamais simple imitation : elle suppose une
reconstruction créative de la réalité et permet d’en faire ressortir le sens au-delà de
l’apparence.
Cependant, si l’art semble toujours entretenir une relation avec le réel, la
définition de ce réel semble différer d’un auteur à un autre, pouvant revêtir une
connotation tantôt idéelle, divine ou spirituelle.
Se pose alors la question de la nature de la réalité et de sa perception.
Saisie de
diverses manières selon les époques et les cultures, il semble en effet que la réalité ne
soit jamais appréhendée objectivement.
Non perçue telle quelle mais interprétée et
élaborée
mentalement,
elle
apparaît
comme
reconstruction
de
nos
perceptions
subjectives, qui n’est qu’une manière parmi d’autres de découper la réalité.
Dans L’Art et
l’Illusion, Gombrich affirme que « l’artiste a tendance à voir ce qu’il peint plutôt qu’à
peindre ce qu’il voit », démontrant que nous abordons la réalité avec un œil toujours
vieux, conditionné par nos habitudes et nos croyances.
Pour faire émerger du sens, nous
plaquons sur les objets un schéma propre à chacun : percevoir revient donc à déformer
la réalité.
Par conséquent, lorsque l’illustrateur Ludwig Richter demande à ses élèves de
représenter objectivement le site de Tivoli, aucun tableau ne se ressemble : l’individualité
domine et l’idée qu’imiter équivaut à inventer persiste.
Toute imitation étant basée sur la perception subjective de son modèle, elle est
d’emblée
« stylisée »
car
reflétant
une
interprétation
artistique.
Elle
n’est
pas
directement représentative de la réalité mais plutôt de l’idée que l’on s’en fait.
Ainsi nous
apprécions une imitation non pas parce qu’elle serait plus ou moins fidèle à la réalité,
mais parce qu’elle répond à nos attentes, modelées par notre éducation.
Le « réalisme »
d’une œuvre est relatif, déterminé par une vision particulière du réel et des critères de
ressemblance qui varient selon les époques.
Soutenir que l’art imite la réalité apparaît
alors comme dépourvu de sens : ce serait favorisé une conception de la réalité par
rapport à une autre, lorsque l’art est reproduction d’une représentation parmi diverses
possibilités.
Par exemple, l’idéal de perspective de la Renaissance est nettement distinct
de l’approche égyptienne de l’imitation, où la représentation du réel ne s’articule non pas
en fonction des proportions réelles mais selon l’importance symbolique des éléments
figurés.
Cependant, si....
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