L'art est une forme de la fête de G. BATAILLE
Publié le 05/01/2020
Extrait du document
C'est en insistant sur la dimension de contrainte qui intervient dans le travail que l'écrivain Georges Bataille théorise ici la fonction de l'art : lié à la fête et au jeu, l'art serait l'une des conditions d’existence de la société.
Les formes de l’art n’ont d’autre origine que la fête de tous les temps, et la fête, qui est religieuse, se lie au déploiement de toutes les ressources de l’art. Nous ne pouvons imaginer un art indépendant du mouvement qui engendre la fête. Le jeu est en un point la transgression de la loi du travail : l’art, le jeu et la transgression ne se rencontrent que liés, dans un mouvement unique de négation des principes présidant à la régularité du travail. Ce fut apparemment un souci majeur des origines - comme il l’est encore dans les sociétés archaïques - d’accorder le travail et le jeu, l’interdit et la transgression, le temps profane et les déchaînements de la fête en une sorte d’équilibre léger, où sans cesse les contraintes se composent, où le jeu lui-même prend l’apparence du travail, et où la transgression contribue à l’affirmation de l’interdit. Nous avançons avec une sorte d’assurance qu’au sens fort, la transgression n’existe qu’à partir du moment où l’art lui-même se manifeste et qu’à peu près, la naissance de l’art coïncide, à l’Age du renne, avec un tumulte de jeux et de fête, qu’annoncent au fond des cavernes ces figures où éclatent la vie, qui toujours se dépasse et qui s’accomplit dans le jeu de la mort et de la naissance.
La fête, de toute façon, pour la raison qu’elle met en œuvre toutes les ressources des hommes et que ces ressources y prennent la forme de l’art, doit en principe laisser des traces. En effet, nous avons ces traces à l’Age du renne, alors qu’à l’âge antérieur, nous n’en trouvons pas. Elles sont, comme je l’ai dit, fragmentaires, mais si nous les interprétons dans le même sens que les préhistoriens (ils admettent l’existence de la fête à l’époque des peintures des cavernes), elles donnent à l’hypothèse que nous formons un caractère si accentué de vraisemblance que nous pouvons nous appuyer sur elle. Et même à supposer que la réalité différa de la reconstitution que nous tentons, elle n’en put différer qu’assez peu et si, un jour, quelque vérité nouvelle apparaissait, je gage qu’avec peu de variantes je pourrais redire ce que j’ai dit.
La réalité de la transgression est indépendante des données précises. Si nous nous efforçons de donner d’une œuvre une explication particulière, nous pouvons avancer par exemple - on l’a fait -qu’une bête fauve gravée dans une caverne l’avait été dans l’intention d’éloigner les esprits. Chaque fait relève toujours d’une intention pratique particulière, s’ajoutant à cette intention générale que j’ai voulu saisir en décrivant les conditions fondamentales du passage de l’animal à l’homme que sont l’interdit et la transgression par laquelle l’interdit est dépassé.
Georges Bataille, Lascaux ou la Naissance de l’art, © 1955 et © 1980 by Éditions d’Art Albert Skira SA, Genève, p. 38.
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ces figures où éclatent la vie, qui toujours se dépasse et qui s'accom plit dans le jeu de la mort et de la naissance.
La fête, de toute façon, pour la raison qu'elle met en œuvre toutes les ressources des hommes et que ces ressources y prennent la forme de l'art, doit en principe laisser des traces.
En effet, nous
avons ces traces à l' Âge du renne, alors qu'à l'âge antérieur, nous
n'en trouvons pas.
Elles sont, comme je l'ai dit, fragmentaires, mais si nous les interprétons dans le même sens que les préhisto
riens (ils admettent l'existence de la fête à l'époque des peintures
des cavernes), elles donnent à l'hypothèse que nous formons un
caractère si accentué de vraisemblance que nous pouvons nous
appuyer sur elle.
Et même à supposer que la réalité différa de la
reconstitution que nous tentons, elle n'en put différer qu'assez peu et si, un jour, quelque vérité nouvelle apparaissait, je gage qu'avec
peu de variantes je pourrais redire ce que j'ai dit.
La réalité de la transgression est indépendante des données pré cises.
Si nous nous efforçons de donner d'une œuvre une explica
tion particulière, nous pouvons avancer par exemple on l'a fait
qu'une bête fauve gravée dans une caverne l'avait été dans l'inten tion d'éloigner les esprits.
Chaque fait relève toujours d'une inten tion pratique particulière, s'ajoutant à cette intention générale que
j'ai voulu saisir en décrivant les conditions fondamentales du pas sage de l'animal à l'homme que sont l'interdit et la transgression par laquelle l'interdit est dépassé.
Georges BATAILLE, Lascaux ou la Naissance de /'art, © 1955 et© 1980 by Éditions d' Art Albert Skira SA, Genève, p.
38.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
Georges Bataille se livre ici à une réflexion anthropolo
gique: l'art s'y trouve impliqué dans la définition même de
l'humanité.
Lié à la fête et au jeu, il n'est qu'en apparence
superflu; ces activités permettent à la société humaine de
durer en dépit des contraintes et des renoncements qu'elle
impose aux individus.
La fête est la notion générale à laquelle
sont rapportées les deux autres; il ne faut pas la considérer
comme un moment de réjouissance et de distraction appor
tant simplement un repos.
Son fondement est la transgres
sion, par quoi l'humanité se distingue de l'animalité..
»
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