L'art est-il la manifestation de la liberté ?

A travers l'art, se manifeste une relation qui n'est plus simplement pragmatique avec le monde extérieur. Celui-ci n'est plus sollicité pour fournir des biens matériels utilisables. Dans l'½uvre, le matériau n'est plus consommé ou détruit, mais il est montré, exposé, écarté du circuit de l'usage. Les ½uvres d'art sont même , à l'inverse des objets courants dont la destination finale est d'être jetés. Y compris dans les arts éphémères, comme la musique ou la danse, les sons et les corps humains ne sont pas utilisés à des fins particulières, mais présentés pour eux-mêmes. Comme le jeu, l'art satisfait en l'homme un plaisir gratuit, par lequel il manifeste sa capacité à échapper au régime contraignant de la nécessité. Une forme spécifique de liberté s'exprime ainsi dans cette activité, puisque l'homme témoigne par là d'un pouvoir de s'abstraire, ne serait-ce que momentanément, des exigences de la vie quotidienne. En ceci, l'art est proprement humain, il témoigne du pouvoir créateur de l'espèce, ce qui peut expliquer son universalité. En effet, il n'est guère de peuples qui ne possèdent sa forme d'art, y compris ceux que l'on a jugé longtemps « primitifs » et donc incapables de produire des ½uvres d'art. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien, et qu'il s'agit d'un préjugé culturel. Le besoin de créer semble donc inséparable en l'homme de la conscience de son être, de sa faculté d'agir sur la réalité qui l'entoure, au lieu de la subir passivement. On comprend mieux alors que l'art puisse être vécu par ceux qui s'y consacrent comme une activité essentielle, et non comme un exercice superflu, puisque c'est l'un des moments privilégiés où l'homme n'est plus seulement un être soumis au besoin matériel, mais au contraire les dépasse. On peut dire qu'avec l'art l'homme réalise l'une des formes majeures du passage de la nature à la culture. Il affirme sa capacité à créer un monde qui lui soit propre.