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L’ART DE PENSER DE PASCAL: La raison et le coeur

Publié le 27/11/2018

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L’ART DE PENSER

La raison et le cœur

 

A la méthode d’analyse de Descartes (ars inveniendi), qui formule les règles servant à trouver des « vérités », Pascal oppose une méthode synthétique (ars démons-trandi) servant à prouver des « vérités », c’est-à-dire à vérifier des propositions ou affirmations et à les faire accepter par autrui. Comme la méthode cartésienne, la méthode proposée par Pascal est d’application universelle et remplace les règles de l’ancienne logique scolastique par celles que pratiquent les mathématiciens ou « géomètres ».

De l'esprit géométrique {fragment rédigé en 1655 ou 1657). — La méthode de démonstration idéale consisterait à n'employer que des termes clairement définis et à n'avancer que des propositions démontrées par des vérités déjà connues ou admises. Bref, il s'agirait de tout définir ou de tout prouver. Cependant, c'est une méthode impossible puisque toute définition s'appuie nécessairement sur des termes déjà définis. Et, en remontant cette chaîne, on arrive à des mots indéfinissables : temps, espace, nombre ou homme, être, etc. Il serait vain de vouloir les définir, car ils désignent des choses qui ont un nombre infini de qualités. Or il n'est pas nécessaire de les définir car ils s'entendent de soi. Tout homme, par « lumière naturelle », sait ce qu'ils désignent, bien que les idées que chacun se forme de la nature de la chose désignée soient fort différentes.

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« Tout raisonnement -et même le plus parfait.

celui des mathématiciens ou "géomètres» -s'appuie nécessair e­ ment sur ces« mots primitifs »qui lui échappent.

(*) Il s'agit ici uniquement de ce que la logique scolasti­ que appelle des définitions de mots ou défi nition s "nomi­ nales».

Les défin it io n s de choses ou définitions "réelles " seraient.

dans ce contexte.

des pro pos it ions ou jugements.

donc des «vérités» sujettes à l'é pr eu v e de la démons­ tration.

S'appuyant sur une conception originale de la langue, l'exposé de la méthode pascalienne implique aussi une critique de la raison.

Comme il est impossible de définir tous les termes, il n'existe aucun discours, même pas celui des géomètres, qui soit pleinement rationnel.

Tout raisonnement s'appuie, en dernier lieu, sur des données à la fois intuitives et transsubjectives : sur des « certitu­ des du cœur et de l'instinct >> (1 1 0), que Pascal appelle indifféremment « mots primitifs » ou « [premiers] prin­ cipes».

De la nature du clair-obscur, ces certitudes a priori ont trop d'évidence pour qu'on puisse nier, comme les « pyrrhonit�ns », toute possibilité de connaissance.

Mais elles empêchent aussi la certitude dont se vantent les « dogmatiques » : « Nous avons une impuissance de prouver invincible à tout le dogmatisme.

Nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme » ( 406).

A la lumière de cette critique de la raison, on com­ prend pourquoJ le fragment De 1 'esprit géométrique est suivi de l'ébauche d'un Art de persuader.

Pour que «les hommes consentent à ce qu'on leur propose », il ne suffit pas d'une démonstration rationnelle.

Il faut faire appel non seulement à leur entendement, mais aussi à leur « cœur », et cela doublement.

Car le cœur est, d'une part, le siège de « ces vérités naturelles et connues à tout le monde » sur lesquelles la raison fonde « tout son dis­ cours » (110).

D'autre part, il est le siège de la volonté, qui, dans l'acception pascalienne, se compose d'un élé­ ment conscient, qu'on pourrait appeler «intention», et d'un élément inconscient, appelé «désir» ou >, du mathématicien donc et du physicien.

Cependant, les «vérités», lois ou règles -et c'est ici que Pascal s'éloigne de Descartes -que le géomètre découvre ne s'appuient sur aucune certitude métaphysi­ que.

Résumées dans des propositions vérifiables par une démonstration méthodique, elles sont, en quelque sorte, matériellement vraies parce qu'elles sont le fruit des expériences.

En outre, ces « vérités >> sont toujours relati­ ves, car elles concernent uniquement le domaine que le géomètre «considère particulièrement >>, les nombres donc, 1' espace ou un autre de ces champs circonscrits par un «mot primitif».

Enfin, il y a très peu de «propriétés communes à toutes choses >>, dont « la principale com­ prend les deux infinités [ ...

]: l'une de grandeur, l'autre de petitesse>> .

Cela signifie que, dans chacun de ces domaines, Je géomètre a une « infinité de propositions à exposer>> ( 199).

Il n'arrivera donc jamais à « la>> vérité concernant son objet, puisque le nombre de ses >, toutes particulières, dépasse la capacité de syn­ thèse de l'espnt humain.

Or, cette situation du géomètre face à la nature est exemplaire pour 1' art de penser en général.

En effet, toute réalité que l'esprit humain considère se (dés)orga­ nise aussitôt en domaines ou «choses >> qualitativement différents.

Ainsi, à côté des vérités « naturelles » ou géo­ métriques, il y a Je nombre, également infini, de celles qui concernent le domaine de l'esprit, et de celEes, enfin, qui sont « di vines » ou « surnaturelles >> : une infinité de vérités donc, appartenant à des ordres entre lesquels il y a solution totale de continuité : De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pe nsé e ; cela est impossible et d'un autre ordre.

De tous les corps et esprit on n'en saurait tirer un mouve­ ment de vraie charité; cela est impossible, et d'un autre ordre surnaturel (308).

Ce morcellement ne saurait satisfaire un penseur qui, cherchant l'unité, tend vers des vérités universelles, même substantielles.

Un esprit purement géométrique serait tenté d'y arriver en généralisant naïvement à la fois sa méthode et ses : «en exposant d'ordre les causes de l'amour>> (298) pour prouver « qu'on doit être aimé », ou en parlant « des choses corporelles spiri­ tuellement et des spirituelles corporellement» (199), comme les physiciens de l'École, qui attribuèrent à la nature inanimée un horror vacui, une aversion i.n vincible du vide.

A l'opposé de ces confusions grossières causées par l'esprit de géométrie, il y a l'erreur par« omission » (512) qui guette l'esprit fin.

Doué d'un, celui-ci sait instinctivement qu'à chaque ordre cor­ respondent d'autres vérités.

Il est donc capable de géné­ raliser sans mêler arbitrairement ce qui par nature est inconciliable.

Mais, accoutumé à juger «d'un seul regard et non pas par progrès et raisonnement >>, il risque de négliger un des innombrables principes qui entrent en ligne de compte.

Pour arriver à des vues à la fois générales et exactes, il faudrait donc une intelligence qui allie la souplesse de l'esprit de finesse avec la droiture de l'esprit de géomé­ trie.

Or, cette rare alliance se réalise dans la pensée figurative, dont voici J'axiome fondamental : «La dis­ tance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité ..

.

>> (308).

Concevant donc entre les ordres discontinus wn rapport de nature analogique, la figuration s'offre en même temps comme un mode de pensée permettant de faire communiquer ces ordres.

Par exemple, la « grandeur>> d'un objet matériel n'a aucune commune mesure avec celle, toute spirituelle, d'un génie.

Et pourtant, pour dési­ gner celle-ci, on peut se servir du même mot, auquel on donne un second sens, figuré.

On fait de même en parlant d'un saint, tout en sachant que sa est encore d'un autre ordre.

Loi fondamentale de la langue et seule cause aussi, selon Pascal, de cette polysémie que le géomètre doit abolir s'il veut procéder à une démonstration méthodi­ que, la figuration permet donc de parler des « choses corporelles spirituellement», et vice versa, à condition toutefois qu'on Je fasse avec >.

Pour recevoir un statut de ) (ou d'« erreur >> ), elle doit être soumise à J'épreuve de l'expérience et au mécanisme de la démonstration, qui devra nécessaire­ ment tenir compte des principes correspondant au nouvel ordre.

Grâce à ces précautions, Je penseur peut passer d'un ordre à l'autre et obtenir des vues de plus en plus. »

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