Langage et pensée
Publié le 10/01/2020
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grâce auxquelles les hommes peuvent rappeler, lier, dissocier... leurs représentations de la réalité (Hobbes). Mais ces représentations sont premières. Récemment encore, le psychologue Jean Piaget s’inscrivait dans cette tradition ; au cours du développement de l'enfant, écrit-il, « la pensée précède le langage (...) celui-ci se borne à la transformer profondément ».
De fait, nous n'avons pas grand chose à dire sur les sujets auxquels nous n'avons pas du tout réfléchi, et bien avant de savoir parler, les bébés « pensent » et nous le font savoir. Conforme aux apparences, la thèse de l'antériorité de la pensée sur le langage n'en est pas moins discutable. Il ne s'agit pas de la renverser, et d'affirmer que le langage précède la pensée. Mais à y regarder de plus près, ce qui semble impossible, c'est de se représenter une pensée sans langage. « L’ineffable », écrivait déjà Hegel, « c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation. » Elle « ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot ». Pour s'organiser, l'ordre des idées doit entrer en contact avec celui de la langue* (cf. texte 7).
Si l'on a longtemps voulu croire que la pensée précédait le langage, c'est sans doute que l’affirmation de cette antériorité apparaissait comme le seul moyen de sauver deux autres croyances : celle en la supériorité absolue de la raison sur toutes les autres facultés, et celle selon laquelle l'impuissance du langage à exprimer parfaitement la pensée était bien le signe de son caractère second et au mieux instrumental.

«
Yves Coppens associe la fabrication d'outils et l'aptitude
à en diversifier les formes (cf.
texte 3).
De fait, tailler une
pierre pour obtenir une extrémité tranchante, ce n'est pas
la même chose que travailler un morceau de bois pour en
faire une flèche pointue.
La destination des deux outils n'est
pas la même, leur forme doit se prêter au mieux à l'usage
requis.
Une part essentielle de l'activité technique a donc lieu
avant le moment de la fabrication : avant de modifier sa
matière première, l'artisan s'est formé une représentation
mentale de l'objet fabriqué auquel il souhaite aboutir.
C'est
cette représentation qui guide ensuite sa main.
La pensée
anticipe le geste et l'accompagne.
L'aptitude à produire des sons articulés et pourvus de
sens* a la même origine: la parole humaine est la forme
sonore que nous donnons aux représentations mentales que
nous avons besoin d'exprimer pour les communiquer à autrui.
Il faut donc penser pour parler.
Au cœur de la philoso
phie classique, cette certitude permet à Descartes par exem
ple (cf.
texte 4) de concilier les progrès de la physique et de
la physiologie avec les exigences de la métaphysique.
L'expli
cation mécaniste a rendu inutile le recours à des principes
immatériels pour rendre compte des phénomènes naturels.
Un corps est comme une machine ; donc pour respirer, digé
rer, marcher.
..
, même les hommes n'ont nul besoin de pen
sée.
La nature de leur langage et leurs façons de s'en servir,
en revanche, attestent l'existence d' «une âme qui a des pen
sées » ; les hommes ne sont donc pas tout à fait des machi
nes comme les autres.
Il faut parler
pour penser et connaÎtre
Nul ne peut contester au langage humain sa qualité de
signe majeur de la pensée.
Mais sur la nature exacte des liens
entre les deux facultés, deux analyses au moins peuvent être
développées.
Longtemps dominante, celle de Descartes tire
de la spécificité des signes dont se servent les hommes pour
parler (ils sont «à propos», leur usage est intentionnel et
pourvu de sens) la conclusion qu'il est un instrument au ser
vice de la pensée.
Ces signes sont comme les « marques ».
»
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