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L'adolescence des machines

Publié le 22/02/2012

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La machine à vapeur est devenue pour nous un appareil grossier, tributaire d'une mécanique assez fruste. Son fonctionnement dérive d'un phénomène vaste et simple dont le premier aspect ressortit au domaine de la connaissance vulgaire : c'est l'ébullition de l'eau soulevant le couvercle du vase où on l'enferme. Comment s'est-il fait qu'elle a paru si tard au cours de l'évolution scientifique et technique du monde occidental ? Cette question est de rhétorique et non de sens. Ceux des modernes qui la posent devraient s'aviser qu'aucun des témoins du développement de la machine à vapeur ne l'a formulée : l'émerveillement de certains d'entre eux suggérerait plutôt la proposition inverse. Pour tâcher de comprendre ce qui s'est passé il faudrait pouvoir reconstituer sans erreur l'atmosphère qui régnait de 1650 à 1750 dans les ateliers où quelques artisans isolés construisaient les instruments destinés aux "Cabinets de Physique" de l'époque. Cet événement qui va transformer le monde, la domestication par l'homme de la puissance motrice du feu, n'appartient pas à l'ordre scientifique proprement dit : c'est un progrès technique et technologique. Comme tel, il fut gouverné par des paramètres sociaux, économiques et de métier bien plus que par le développement de la physique. A une fugitive exception près, qu'on nommera tout à l'heure, ce ne sont pas des savants du premier rang qu'on y voit travailler, mais des amateurs ou des manuels plus ou moins frottés de science, parfois autodidactes. Les physiciens sont venus bien plus tard. Certes James Watt a connu à Glasgow Joseph Black, et Joseph Black s'est trouvé là à point nommé pour lui expliquer ce qu'était une chaleur latente de vaporisation ; mais, au moment où se place cette scène, Watt avait déjà constaté expérimentalement tout l'essentiel (c'est parce qu'il avait constaté que la condensation, à température constante, d'une livre de vapeur peut à elle seule élever la température de six livres d'eau liquide jusqu'à ébullition que Watt demanda à Black s'il pouvait expliquer la chose.) et le principe de la conservation de l'énergie n'était soupçonné par personne...

« les forces que la vapeur est capable de fournir sont faibles ou plutôt on ne conçoit pas qu'une question se pose àce propos.

L'attitude intellectuelle est la même au sujet de la poudre à canon : chacun admet l'extrême puissanceet l'extrême rapidité de son action ; personne ne se demande si une telle action peut être tempérée. De temps à autre pourtant paraissent des idées ou des expériences isolées.

C'est en 1605 que Florence Rivault faitexploser par simple échauffement une bouteille de fer dans laquelle il a enfermé de l'eau.

C'est en 1615, dans sonlivre De la Raison des Forces Mouvantes, que Salomon de Caus, qui parait avoir été le premier à comprendre cequ'est un travail, propose un moyen "pour élever de l'eau plus haut que son niveau", moyen qui, malgré le pieuxenthousiasme d'Arago, n'est guère qu'une variante d'un artifice décrit par Héron (le dispositif pour ouvrir la ported'un temple) : l'idée d'une application est pourtant là, et pour la première fois.

Cette même idée fera sans doutesurvivre le nom de Salisbury, Marquis de Worcester, qui dans un fameux opuscule publié en 1663 affirmera avoirréalisé "un admirable et très puissant moyen de faire monter l'eau par le feu" ; c'est bien douteux, mais le désird'application est présent ; présente aussi la conviction que la chose est possible. Dix-huit cents ans après Héron, donc, le "changement d'échelle", maintenant conçu, n'est pas accompli.

Quelle enest la raison ? Elle apparaît dès qu'on constate qu'aucune mesure n'a encore été faite de la pression de la vapeurproduite par l'eau en ébullition : l'homme s'est trouvé devant une force variable qu'il ne savait pas bien stabiliser.Une révolution se produit dès qu'à cette force capricieuse il en pourra substituer une qui demeure constante dans letemps : la pression atmosphérique.

En 1663 encore, Otto von Guericke a réalisé la première pompe à vide et montréquelles forces énormes on peut libérer en faisant le vide dans un corps de pompe.

La conséquence se fait peuattendre : en 1666, Huyghens propose à Colbert et en 1673 réalise une machine grossière dans laquelle lacombustion de poudre à canon, suivie d'échappement et de refroidissement, permet à la pression atmosphérique detravailler en appuyant sur un piston qui retombe.

L'assistant, le garçon de laboratoire de Christian Huyghens à cetteépoque, c'est Denis Papin : le branle est donné.

Toute sa vie, Papin s'acharnera autour de la "machineatmosphérique", cette idée vite abandonnée par son premier maître ; 3° La troisième condition est qu'il se soit trouvé à point nommé un besoin, facile à satisfaire à l'aide d'une machine àfeu primitive ; la quatrième, que l'état du progrès technologique ait permis les réalisations des inventeurs.

L'échecindustriel de Papin et de Cugnot, la réussite du trio Savery-Newcomen-Watt sont inscrits dans ces deux conditions.Au moment où Papin s'acharne à construire des machines à cylindre et à piston les machines qui devaient réussir unjour les procédés de la fonderie de fer sont encore des plus frustes et on sait très mal aléser des cylindres : ils'épuise et se ruine.

Savery, qui ne se propose que de pomper les grandes quantités d'eau qui gênaient l'exploitationdes mines anglaises, peut se borner à réaliser une machine "atmosphérique" sans aucun engin mobile.

Il ne rencontreaucune difficulté technique et il réussit.

Les machines à piston de Newcomen ont fonctionné en 1712. Vers cette date, la compétition reprend.

En France, Cugnot se propose la réalisation d'un fardier à vapeur : cetteidée du véhicule automoteur arrive trop tôt ; en 1770 ce sera l'échec.

Watt, à Glasgow, puis à Manchester, sepropose des buts plus modestes : perfectionner la machine fixe, économiser le combustible d'abord (c'est l'abandonde la machine atmosphérique) ; produire un mouvement de rotation, ensuite : dès lors la machine, jusqu'ici réservéeau pompage à cause de son action alternative, devient universelle ; les usines peuvent naître ; rationaliser etsimplifier les méthodes de construction, enfin.

Il est bien vrai que toutes ces étapes devaient être franchies avantque la construction d'une machine mobile, la plus difficile de toutes, put être abordée. Toute sa vie, Watt se refuse à construire un véhicule automoteur ; il dissuade ses collaborateurs de le tenter.Obstination ? Jalousie ? Non : clairvoyance.

Watt est le premier des inventeurs industriels : il a classé les problèmesà résoudre par ordre de difficultés techniques et il a résolu dans l'ordre industriellement valable tous ceux dont il aaperçu les solutions.

Ces solutions, l'artisan James Watt les a recherchées avec une logique et une rigueur dontc'est la première apparition dans les arts mécaniques : il est le premier de toute cette lignée à faire des mesures.L'apprenti réparateur de sextants sut devenir le premier ingénieur véritable : voilà pourquoi Watt est le père de lamachine à vapeur. Tenter en 1770, avant l'invention des rails, sans moyens d'usinage suffisants, de faire circuler sur les affreuxchemins du temps une lourde machine automotrice était une magnifique idée de précurseur, c'est-à-dire, enpratique, une folie : la réalité industrielle est impitoyable à qui ne sait pas s'incliner devant elle.

Animer un bateau àl'aide de la vapeur était un peu plus facile puisque les conditions de masse, d'encombrement, de solidité sont moinssévères : Jouffroy d'Abbans le tentera et, en 1773, réussira presque : à lui aussi, les moyens techniques aurontmanqué.

Ce n'est qu'en 1807 que l'Américain Fulton, profitant de tout le progrès industriel réalisé alors, fera enfincirculer un bateau à aubes.

A cette époque, combien d'inventeurs obscurs tentent de réaliser un chariot à feu ? Ilest trop tôt encore : la puissance des machines fixes de Watt devra augmenter, rendre possible le laminage desgrosses barres d'acier et l'on devra inventer et substituer aux guides de bois les rails de fer.

Les contemporains nes'y sont pas trompés : partout où la locomotion à vapeur s'installe, c'est le même mot qui la désigne : Railways,Chemins de fer, Eisenbahn, Ferrocarriles...

: ce n'est pas diminuer Stephenson, constructeur de la premièrelocomotive "d'exploitation", ni Marc Seguin, père de la chaudière tabulaire que de rappeler ces choses. En 1830, tout est dit.

Le machinisme industriel commence son premier grand essor mondial.

Le succès de la vapeurdétournera quelque temps les inventeurs des recherches originales ; une décade encore devra passer avant queNiepce de Saint-Victor, reprenant l'idée de Huyghens, construise le premier moteur à combustion interne... Puissent ces quelques lignes de bonne foi apaiser le souvenir de controverses souvent élevées au siècle dernier : la. »

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