L'abus de pouvoir est-il inévitable ?
Publié le 17/01/2022
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III.
Idéalisme ou pragmatisme.
Selon qu'on situe la cause de l'abus de pouvoir dans la nature humaine ou dans la structure même du pouvoir, la réponse passera parune éducation morale ou se situera au niveau politique.
Une réforme de l'humanité ?Doit-on penser que la réponse aux abus de pouvoir passe par une éducation morale des hommes, ou par la suppression des conditionsqui font que l'un peut obtenir plus que l'autre? L'abus de pouvoir disparaîtrait dans une société d'hommes totalement désintéressés, oudans une société où aucun avantage personnel ne pourrait être dérivé du pouvoir.
Mais la première est soit une utopie, soit le pire destotalitarismes, où les hommes seraient réduits à un instinct social et à une fonction déterminée.
La seconde suppose que les besoinssoient comblés indépendamment de l'exercice d'une responsabilité et risque fort de priver l'exercice du pouvoir de tout enjeu, de toutmotivation, et donc de toute efficacité.
Les contre-feux.
Peut-être faut-il adopter une attitude plus pragmatique et se demander quelle mesure pratique pourrait rendre impossible la réalisationd'une tendance toujours prête à s'exprimer.
Rousseau, dans le Contrat social, suggère que, les hommes étant ce qu'ils sont, le plus sageest sans doute la multiplication des instances capables d'exercer un contrôle mutuel.
Sachant que tout pouvoir a tendance à devenirabusif, les limitations institutionnelles prennent une importance considérable.
On peut penser par exemple à la limitation dans le tempsdes mandats électifs.
La plus grande tentation d'abus concerne sans doute les pouvoirs détenus sans limite dans le temps et sans remiseen jeu régulière par le vote.
La vigilance civique.
Le vote n'est en fait qu'une des manifestations de la vigilance des citoyens: l'abus de pouvoir ne réussit que lorsque ceux qui sontconcernés par ce pouvoir adoptent une attitude de soumission et non plus d'obéissance, ou lorsqu'ils deviennent indifférents aufonctionnement du pouvoir.
Autant de formes du renoncement à la liberté.
Voter, ce n'est pas précisément un des droits de l'homme ; on vivrait très bien sans voter, si l'on avait la sûreté, l'égalité, la liberté.
Levote n'est qu'un moyen de conserver tous ces biens.
L'expérience a fait voir cent fois qu'une élite gouvernante, qu'elle gouverne d'aprèsl'hérédité, ou par la science acquise, arrive très vite à priver les citoyens de toute liberté, si le peuple n'exerce pas un pouvoir de contrôle,de blâme et enfin de renvoi.Quand je vote, je n'exerce pas un droit, je défends tous mes droits.
Il ne s'agit donc pas de savoir si mon vote est perdu ou non, maisbien de savoir si le résultat cherché est atteint, c'est-à-dire si les pouvoirs sont contrôlés, blâmés et enfin détrônés dès qu'ilsméconnaissent les droits des citoyens.On conçoit très bien un système politique, par exemple le plébiscite (1), où chaque citoyen votera une fois librement, sans que ses droitssoient pour cela bien gardés.
Aussi je ne tiens pas tant à choisir effectivement, et pour ma part, tel ou tel maître, qu'à être assuré que lemaître n'est pas le maître, mais seulement le serviteur du peuple.
C'est dire que je ne changerai pas mes droits réels pour un droit fictif.ALAIN
(1) Vote par lequel un peuple abandonne le pouvoir à un homme.
La sûreté à laquelle Alain fait allusion au début du texte désigne bien sûr la sécurité dont la révolution française a fait l'un des droits ducitoyen, opposable à l'arbitraire policier.
La notion de contrôle est quant à elle capitale dans la doctrine politique d'Alain : Pour l'intellectuel du parti radical, l'intervention du citoyendans la vie politique consiste essentiellement à accorder ou refuser son quitus aux députés sortants.
La définition proposée en note du plébiscite fait problème.
Il s'agit en fait d'un référendum sur le maintien au pouvoir du chef de l'Etat,éventuellement au travers d'un vote pour ou contre un projet de loi ou de traité.
Rien ne permet de décréter a priori qu'on pourrait opposer la pratique référendaire à la souveraineté populaire, comme semblent suggérerceux qui ont annoté ce texte d'Alain.
Il s'agit d'évaluer le rôle et la portée du suffrage universel dans une démocratie.
Or pour Alain, le droit de vote a surtout une utiliténégative : il permet au citoyen, sinon d'orienter la politique gouvernementale, tout au moins de ne pas reconduire une majorité sortante.Ce qui devrait suffire, selon Alain, à garantir le peuple contre d'éventuels abus de pouvoir de l'exécutif.
Dans un premier temps (qui couvre les deux premières phrases), Alain affirme que le droit de vote n'est pas l'un des droits fondamentauxde l'homme, mais le moyen pour le citoyen de s'assurer la sauvegarde de ces droits.
Un second moment du texte (jusqu'à la fin du premier paragraphe) expose de manière plus détaillée le rôle du vote : contrôler, blâmer etéventuellement chasser la majorité sortante, rien de plus.
Les trois dernières phrases soulignent que l'essentiel pour le citoyen est moins de pouvoir choisir le maître qui lui semble le meilleur, quede disposer du moyen légal de se débarrasser d'un mauvais maître.
Le contrôle régulier du parlement par le peuple étant à préférer à unplébiscite qui confierait une fois pour toutes le pouvoir à un seul.
Conclusion.
Dire que l'abus de pouvoir est inévitable constitue donc, sous l'apparence d'un diagnostic objectif sur la nature humaine ou l'organisationde la société, une réponse cynique ou fataliste.
Mais prétendre qu'on pourrait l'abolir et en supprimer même la tentation relève del'utopie.
Mieux vaut sans doute le considérer comme une tendance toujours possible afin de mieux pouvoir mettre en place et maintenirles structures permettant de le prévenir ou de le sanctionner..
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