La vraie liberté est-elle de pouvoir toutes choses sur soi (Montaigne) ?
Publié le 22/03/2004
Extrait du document
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3° Si nous avons abandonné l'espoir de voir la liberté s'inscrire dans l'ordre des faits et de l'expérience, nous devonsdésormais interroger notre conscience.
Mieux encore, nous ne reparlerons plus ni d'actes libres, ni d'êtres libres,nous ne pourrons plus nous servir que d'une expression : « Je suis libre ».
Encore dois-je me demander si j'ai le droitde la prononcer.C'est un fait qu'il m'arrive de me sentir libre d'agir d'une certaine façon avec la certitude que j'aurais pu agir d'uneautre.
En ce cas les mots action, actes, agir ne désignent plus un changement dans le monde, mais une décision,une volonté.
Or il y a des cas où, agissant volontairement, dans des circonstances où rien extérieurement ne mecontraignait ni ne m'empêchait, j'ai eu le sentiment que quelque chose en moi m'a entraîné ou détourné malgré moi.C'est ce qui se produit lorsque je dis que « je n'ai pas pu m'en empêcher » ou que « c'a été plus fort que moi ».
Enréalité j'ai conscience que je n'ai pas résisté, parce que j'ai manqué d'énergie, mais que c'est de moi qu'il dépendaitde céder ou de résister.
C'est en ce sens qu'on peut dire que nous avons le sentiment d'être libres.
Et ce sentiment,nous ne l'avons pas seulement quand nous résistons, quand nous agissons librement, nous l'avons tout autantquand nous cédons, quand nous sommes l'esclave de nos passions, ou le jouet des tentations.
Il est bien vrai quesi, comme le dit MONTAIGNE, j'ai tout pouvoir sur moi, j'ai encore ce pouvoir alors même que je n'en fais pas usage.
4° Il faut aller plus loin : je puis encore me demander pourquoi je m'efforce de résister aux tentations, ou du moinspourquoi je crois devoir le faire; n'est-ce pas parce qu'une autre force me pousse, si bien qu'au fond je suis lethéâtre d'un conflit de forces dont l'une triomphe? Il y aurait donc les cas où je ne suis pas libre d'agir selon mavolonté parce que j'ai peur de souffrir, de subir un dommage, parce que je n'ai pas le courage d'affronter un danger,par timidité, par lâcheté en un mot ; et ceux où je ne puis me résoudre à sacrifier mon honneur, à m'avilir à mespropres yeux, à faire le mal.Cette argumentation est sophistique; ces deux cas sont nettement distincts, au point que nous savons toujours, enconscience, si nous agissons par courage ou par lâcheté, si nous résistons à une tentation ou si nous lui cédons.Ainsi quand nous cédons à la peur, à la paresse, à l'égoïsme, à la colère, on peut raisonnablement dire que nous nesommes pas libres.Faudra-t-il le dire aussi quand nous agissons par devoir, par respect de notre dignité, par dévouement, par charité ?Faudra-t-il le dire quand nous agissons parce qu'il est raisonnable d'agir ainsi ? Un être raisonnable est libre lorsqu'ilest raisonnable, c'est-à-dire lorsqu'il pense et agit raisonnablement.
Sans doute la raison consiste-t-elle à saisir cequi est universel et nécessaire, autrement dit ce qui est tel que nous ne pourrions le penser autrement.
Mais il n'enrésulte pas que l'esprit est accablé, enchaîné par une proposition nécessaire comme le corps peut être enchaînématériellement.
Cette nécessité que la raison aperçoit n'est pas pour elle une contrainte.Au contraire, si l'on ne pouvait parler de nécessité, on ne pourrait parler de raison.Avouons qu'on a peine à concevoir une volonté humaine qui, en toutes circonstances, triompherait des tentations,si fortes soient-elles, qu'on a peine aussi à concevoir un homme aussi détaché de tous les biens matériels que lesage stoïcien.
Faut-il alors conclure que la liberté, comme la perfection, tout en étant définissable, est horsd'atteinte ? Notre embarras vient de ce que nous ne pouvons pas nous empêcher de concevoir la liberté comme unétat; cette définition vaut dans le cas du prisonnier qui sort de prison; il n'y a plus pour lui de murs, de chaînes etde verrous, il a une autre vie.
Mais si l'on conçoit la liberté comme le fait de « pouvoir toutes choses sur soi », cetteliberté n'est pas un genre de vie, un état que l'on prend ou que l'on quitte, une situation que l'on acquiert ou quel'on perd.On ne peut parler de liberté que dans l'action même, c'est-à-dire dans le geste ou la décision d'un instant.
Uneexistence humaine n'est pas une continuité d'actions et de pensées libres; mais il m'est possible, à chaque instant,en chaque circonstance, de me montrer courageux, résolu, désintéressé, juste, sage.
C'est dans l'instant même oùma volonté est bonne qu'elle est libre; il n'y a pas de liberté acquise et dont on jouirait comme d'un bien.
L'hommeest libre absolument, imprescriptiblement, parce qu'il a le pouvoir d'agir librement, et il serait libre, en ce sens, alorsmême qu'il n'aurait jamais pu réaliser d'acte parfaitement libre..
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