« LA VRAIE JUSTICE EST LA FORCE » de Thrasymaque - Platon - La République Livre I (344A-344C)
Publié le 19/08/2012
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Thrasymaque achève sa démonstration avec une phrase conclusive : « Ainsi donc, Socrate, l'injustice, quand elle se développe suffisamment, est plus forte, plus libre, plus souveraine que la justice, et comme je le disais au point de départ, le juste est en réalité ce qui est l'intérêt du plus fort, et l'injuste constitue pour soi-même avantage et profit «. Ainsi, l'orateur assemble ici les idées directrices de sa théorie, à savoir que l'injustice est toujours infiniment plus grande que la justice, dans la mesure où le tyran pourra toujours commettre une injustice plus grande (jusqu'à l'« ultime injustice « qui réduit en esclavage autrui) pour servir ses intérêts propres (il ne dépend ainsi que de lui-même), alors que le juste demeure limité à la recherche du bien de l'autre (et est donc foncièrement subordonné à celui-ci). Par ailleurs, l'injuste surpasse le juste, qu'il domine et soumet afin de l'exploiter pleinement : c'est en cela que l'injustice est plus forte et plus libre que la justice, car elle n'est soumise à aucune autre « entité «, mais ne place bel et bien au sommet de la hiérarchie sociale.
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davantage, afin de servir les intérêts de l'autre, contrairement à l'homme injuste : « le juste, dans une situation d'égalité de fortune, va devoir contribuer davantage,l'autre moins »), de même que pour les rétributions (« l'un ne reçoit rien, l'autre récolte beaucoup »).
Par ailleurs, Thrasymaque poursuit en prenant l'exemple de la« chose publique » : un homme juste exerçant une fonction publique ne saurait être égoïste et en tirer profit, parce qu'il est un être moral, et se destine donc davantageà la sauvegarde du bien-être de ses concitoyens.
De ce fait, il négligerait sa situation personnelle et se nuirait à lui-même (« ce sera le lot de l'homme juste, quandbien même il ne subi pas d'autres dommages, que de voir sa situation personnelle se détériorer du fait qu'il la néglige, et de ne tirer aucunement profit de la chosepublique, parce qu'il est juste »), contrairement à l'homme injuste qui saurait exploiter sa situation de fonctionnaire publique, afin d'y trouver des avantages pourservir ses intérêts.De même, en famille, le juste qui préfère la justice à ses proches, encourt la haine : « il se trouve par ailleurs en butte à l'hostilité de ses parents et de ses proches,parce qu'il ne consent pas à leur rendre service au détriment de la justice ».Thrasymaque conclut alors : « dans le cas des particuliers, l'injustice est plus profitable que la justice ».
Dans ce second mouvement, Thrasymaque dissocie explicitement les notions de justice et d'injustice : si l'une est foncièrement altruiste, l'autre est foncièrementégoïste.
On pourrait alors s'attendre à une série de blâme adressés à cette injustice qui engendre une hiérarchie sociale (avec la domination des plus forts) et soumetles faibles jusqu'à les réduire au statut de source de profit.
Or, c'est l'inverse qui se produit, puisque l'orateur en vient à louer les « qualités de stratèges » de l'injuste,qui sait parfaitement où sont ses intérêts, et quel comportement adopter afin de créer son bonheur et d'être maître de sa personne.Néanmoins être simplement injuste ne suffit pas : l'individu pourra toujours être réprimandé par ses concitoyens s'il commet une injustice à peine dissimulée(Thrasymaque donne les exemples de trafiquants d'esclaves, de brigands ou encore de voleurs).
Ainsi, s'il veut exercer une pleine et entière emprise sur les faibles, etse hisser pleinement au sommet de la hiérarchie sociale (achevant ainsi de mettre au monde cette « société des plus forts »), il faut qu'il spolie et aliène totalement sesconcitoyens : maître d'autrui et de sa personne, il est donc libre de constituer son propre bonheur, en contraignant les autres à y participer.
Thrasymaque se propose donc de considérer l'homme injuste, en opposition à l'homme juste dont il a précédemment dépeint les comportements.
Il établit ainsi unrapport de causalité, très explicitement évoqué, entre l'injustice et le bonheur : « l'injustice la plus totale, celle qui rend l'homme qui la commet tout à fait heureux ».De ce fait, le bonheur individuel serait clairement analogue à l'injustice commise : une très grande injustice engendrera un très grand bonheur.A l'inverse, le malheur des justes va lui aussi être analogue à cette injustice (« et qui, au contraire, fait des victimes de l'injustice et de ceux qui refusent de lacommettre des gens tout à fait malheureux »).
Il y a donc effectivement une forme de hiérarchie sociale, avec à sa tête les hommes injustes, qui exercent une fortepression sur les êtres faibles (justes) afin de les forcer à contribuer au bonheur de cette classe dominante.
Mieux vaut ainsi être injuste et se hisser au sommet de lahiérarchie, afin de ne pas subir la contrainte de quiconque et d'être libre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts propres (au détriment même de la morale, queThrasymaque rejette avec une certaine véhémence).L'orateur désigne alors explicitement cette souveraineté de la force : « il s'agit du pouvoir tyrannique, qui n'y va pas petit à petit pour s'emparer du bien d'autrui, maisle fait avec violence d'un seul coup, qu'il s'agisse de biens sacrés et profanes, de biens privés et publics ».
Le pouvoir en place est donc bel et bien un pouvoir denature tyrannique.
Thrasymaque le décrit comme un régime très violent, qui spolie sauvagement l'altérité, sans un regard pour la valeur (effective ou affective)contenue par les objets qu'il s'approprie.
Il s'agit d'un pouvoir que l'on pourrait qualifier d' « individualiste », qui ne se soucie guère du bien-être de la plèbe et desclasses inférieures en tout genre : seuls comptent le bonheur et les intérêts des plus forts, qui exercent une forme de pression sur les faibles, afin de les exploiterpleinement (puisqu'ils « s'emparent du bien d'autrui »).
Or, si ce pouvoir parvient à commettre « la plus grande injustice » et ainsi réduire les faibles en esclavage (quine semble pas désigner directement et totalement la réalité que nous connaissons, mais davantage une domination outrancière de l'autre dont on tire profit), il pourraservir pleinement ses intérêts.Thrasymaque donne une illustration assez osée de son propos, en affirmant qu'un homme qui commet un méfait sera puni par ses concitoyens si l'injustice commiseest moindre, et qu'il est le stricte égal d'autrui (« Prenons le cas de quelqu'un qui a commis pareille injustice, dans l'un ou l'autre de ces domaines, et qui n'a pu lecacher : on le punira et il encourra les blâmes les plus sévères »)Au contraire, si un homme (qui exerce une forme domination sur autrui et le spolie entièrement, s'appropriant même sa personne) commet un méfait, il ne sera pasuniquement amnistié, mais il sera aussi félicité et admiré (« Prenons, au contraire, le cas de quelqu'un qui, outre les biens des citoyens, s'est emparé de leur personneet les a réduit en esclavage, au lieu de ces injures ignominieuses, les gens de ce genre seront appelés heureux et fortunés […] de la part de tous ceux qui prennentconnaissance de ce que celui-là a commis l'injustice la plus complète »)De ce fait, pour servir ses propres intérêts, l'homme injuste ne doit pas uniquement commettre une injustice, mais il doit commettre la plus grande injustice possible,pour étendre son pouvoir sur l'autre en le soumettant davantage à sa force, jusqu'à le réduire au statut d'esclave (un être tout entier dévoué au souverain qui seraitlibre de l'exploiter comme bon lui semble).Thrasymaque fait donc ici preuve d'une immoralité (ou peut être davantage d'une amoralité) criante : il ne se contente pas d'affirmer que tout être rationnel doitchoisir l'injustice, et ainsi veiller à ses désirs égoïstes en utilisant parfois autrui, il va jusqu'à déclarer que l'homme injuste, s'il veut servir pleinement ses intérêts, sedoit de réifier l'autre, de le constituer comme un moyen, une source potentiellement utile à la satisfaction de ses désirs exclusifs.
S'il ne commet pas cette « injustice laplus complète », il pourra toujours être défait, réprimandé par ses concitoyens, ne pouvant ainsi complètement veiller à la sauvegarde de ses intérêts.L'homme injuste se doit donc d'être tyrannique s'il veut faire tourner les choses à son avantage.Thrasymaque achève sa démonstration avec une phrase conclusive : « Ainsi donc, Socrate, l'injustice, quand elle se développe suffisamment, est plus forte, plus libre,plus souveraine que la justice, et comme je le disais au point de départ, le juste est en réalité ce qui est l'intérêt du plus fort, et l'injuste constitue pour soi-mêmeavantage et profit ».Ainsi, l'orateur assemble ici les idées directrices de sa théorie, à savoir que l'injustice est toujours infiniment plus grande que la justice, dans la mesure où le tyranpourra toujours commettre une injustice plus grande (jusqu'à l'« ultime injustice » qui réduit en esclavage autrui) pour servir ses intérêts propres (il ne dépend ainsique de lui-même), alors que le juste demeure limité à la recherche du bien de l'autre (et est donc foncièrement subordonné à celui-ci).
Par ailleurs, l'injuste surpasse lejuste, qu'il domine et soumet afin de l'exploiter pleinement : c'est en cela que l'injustice est plus forte et plus libre que la justice, car elle n'est soumise à aucune autre« entité », mais ne place bel et bien au sommet de la hiérarchie sociale.Thrasymaque conclut alors en reprenant ses précédentes affirmations : si le juste, dans tant qu'être moral, veille au bien-être d'autrui et tend donc à se soumettre auplus fort, l'injuste veille uniquement à son propre bien-être, et se désigne donc comme le plus fort, qui va exploiter le juste en lui ôtant chaque parcelle de liberté, afind'en tirer le maximum de profit et ainsi contribuer à la sauvegarde de ses propres intérêts.
Ainsi pouvons-nous conclure en affirmant que Thrasymaque soutient ici une thèse similaire à celle de Calliclès dans le Gorgias, à savoir que la véritable justice, cellequi régie nos sociétés, est celle de la force, de la tension qui s'exerce entre une classe dominante et une classe dominée.En d'autres termes, la justice naturelle est ce qui est le plus avantageux au plus fort.
Nous pourrions adjoindre cela à une forme de naturalisme juridique, en ce queles fondements de la justice sont situés dans l'état naturel même : dans la Nature, ce sont effectivement les plus forts qui dominent.Or, le plus fort en société est celui qui ne se trompe pas dans la compréhension de ce qui lui est avantageux, allant jusqu'à aliéner autrui afin de satisfaire ses propresintérêts.
Le faible quand à lui se soumet au fort au nom de la morale qui lui insuffle de contribuer au bien-être de l'altérité.D'après Thrasymaque, c'est ce rapport de force qui détermine toute société et qui engendre la justice et la tyrannie..
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