La vie sociale entrave-t-elle l'existence individuelle ?
Publié le 24/02/2005
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Une société peut être définie, de manière large, comme un groupement ou une communauté d’individus (appartenant généralement à la même espèce). Que l’on observe une société de fourmis, de loups ou d’hommes, on constate que chacune est caractérisée par un ordre, où les tâches sont réparties, où chaque individu semble se voir attribuer une fonction, une place. Mais à y regarder de plus près, cet ordre ne semble plus si évident, et un désordre y gronde, de façon presque continue : deux lions se disputent la place de mâle dominant au sein du groupe ; certains individus quittent le groupe ou en soient chassés ; des hommes s’opposent à d’autres hommes, ou à l’ordre même de la société (réformes, révolutions).
Ce constat d’un désordre sous l’ordre social apparent est peut-être le signe que la vie sociale ne va pas de soi pour les individus. On pourrait même aller plus loin : si l’individu est compris comme un être qui se suffit à lui-même, capable d’exister et de se développer par lui-même, alors la vie sociale, pour un tel individu, n’est pas seulement inutile : elle constitue une entrave, un obstacle au libre développement de l’individu, qu’il s’agisse de son développement biologique ou de son développement « spirituel «.
Cette affirmation soulève pourtant un problème : la vie sociale semble être, ainsi conçue comme entrave, entièrement extérieure à l’individu (puisqu’il n’en a pas besoin pour exister). Mais la vie sociale est-elle si extérieure à l’ existence individuelle ? Ou en fait-elle au contraire pleinement partie ? Voilà donc le problème : la « vie « sociale (le fait de vivre avec les autres, de créer des liens de différentes natures avec eux) semble s’ajouter à l’existence individuelle, comme un événement extérieur et contingent (qui peut arriver ou non, qui n’est pas nécessaire). Mais sans une vie sociale, un individu existerait-il pleinement ?
I . La vie sociale va à l’encontre de l’existence individuelle.
II . La vie sociale, condition de l’existence individuelle.
III . Une existence individuelle sans vie sociale ?
«
conflictuelles, afin de permettre l'agriculture, les échanges, les arts, les lettres, la connaissance etc.
Voilà ce qu'estune véritable vie sociale.
Et elle n'est possible que si les hommes « autorisent », par une convention, un souverain àles commander.
Les hommes, seuls, resteraient en conflit ; mais par ce contrat d'autorisation, ils placent au-dessusd'eux un souverain qui les gouverne, les oblige, les terrifie.
Dans ces conditions, une véritable vie sociale sedéveloppe.
Et elle n'empêche plus à l'existence individuelle de se développer : au contraire, elle est la condition pourque chacun puisse exister, et surtout vivre en sécurité.
La vie sociale n'est plus l'opposé de l'existence individuelle :elle la conditionne.Cependant, on pourrait dire que même cette vie sociale réglée et non conflictuelle s'oppose encore en un sens àl'existence individuelle.
Car, pour qu'une telle société puisse exister, il a fallu que chacun abandonne sa liberté pourla soumettre au souverain.
Chacun, en contractant, se soumet à la loi.
Quelle liberté reste-t-il alors ? Hobbes leprécise : « la liberté est dans le silence de la loi ».
Ce qu'il reste de liberté à l'individu, il le trouve là où la loi nel'oblige pas.
La liberté civile est donc, comparativement à la liberté naturelle que nous avons définie plus haut,beaucoup plus restreinte.On pourrait donc conclure que la vie sociale certes permet aux hommes de vivre à la fois ensemble et en sécurité,mais elle ne leur permet pas de conserver leur pleine liberté naturelle, c'est-à-dire la liberté d'user de leur proprepuissance pour leur préservation : ici, c'est à la puissance du souverain qu'il faut s'en remettre.
La vie socialeapparaît ici à la fois comme condition de la préservation de l'existence individuelle, tout en entravant son libredéveloppement, puisqu'elle subordonne l'existence individuelle à un souverain.
III .
Une existence individuelle sans vie sociale ? A ce point du raisonnement, on pourrait dire que la situation idéale, pour que l'existence individuelle ne soit pasentravée, serait que les individus n'entrent pas du tout en contact.
Mais ceci voudrait dire que l'idéal serait, pour unindividu, d'exister seul, pour pouvoir exister pleinement.
Or, si on est conduit à une telle affirmation, c'est peut-êtreparce qu'on a commencé par concevoir l'individu comme pouvant exister pleinement seul ; du même coup, lasociété, l'Etat, ou toute autre forme de communauté sont « de trop », se rajoutent à lui de l'extérieur .
La vie sociale serait un artifice créé pour que les hommes puissent cohabiter.
Mais est-il si artificiel, pour l'homme, de vivreen société ? N'est-ce pas plutôt une tendance naturelle ?Aristote affirme que ce qui est naturel et nécessaire pour un individu, c'est de s'unir à un autre : « La premièreunion nécessaire est celle de deux êtres qui sont incapables d'exister l'un sans l'autre : c'est le cas pour le mâle etla femelle en vue de la procréation (et cette union n'a rien d'arbitraire , mais comme dans les autres espèces animales et chez les plantes, il s'agit d'une tendance naturelle à laisser après soi un autre être semblable à soi) ; c'est encore l'union de celui dont la nature est de commander avec celui dont la nature est d'être commandé, en vue de leur conservation commune » ( Politique , I, 2).
Une telle conception est à l'opposé de celle développée par Hobbes : la nature de l'individu le conduit à se lier à d'autres, pour se préserver soi et pour « leur conservationcommune », alors que chez Hobbes, le « droit de nature » replie l'individu sur sa propre puissance d'agir, sur lui-même, pour assurer seul sa préservation.
Dans les deux cas, chez Aristote comme chez Hobbes, on affirme quel'existence individuelle doit pouvoir se développer pleinement, s'épanouir.
Mais chez Hobbes, cela n'estcomplètement possible que si aucune vie sociale ne vient contraindre la puissance d'agir de l'individu.
Pour Aristote,c'est exactement l'inverse : sans la vie sociale, l'individu non seulement ne pourrait pas exister (il ne serait pasengendré par d'autres individus), mais en plus il ne pourrait jamais atteindre sa fin, son but, qui est le bonheur (ence qui concerne l'être humain).
Sans la vie sociale, l'individu ne pourrait pas développer toutes les capacités quisont en lui : la proie ne pourrait développer sa prudence, le prédateur ne pourrait développer sa rapidité, son acuité.« La nature ne fait rien en vain », affirme Aristote ( Politique , I, 2) : si donc la nature a donné à une abeille la faculté de produire du miel à partir du pollen des fleurs et celle de communiquer avec les autres abeilles en volant de telleou telle manière, c'est pour que ces facultés se réalisent, car ce sont elles qui permettent à l'individu abeille et àl'individu « fleur à pollen » d'exister pleinement.
En ce qui concerne l'homme, le fait qu'il soit le seul animal àposséder la parole n'est pas « vain » non plus : « le discours sert à exprimer l'utile et le nuisible, et, par suite aussi,le juste et l'injuste ».
C'est pour que l'homme puisse atteindre le juste, le bien, qu'il peut discourir et former lessentiments de justice et d'injustice.
Mais, sans l'échange de paroles, comment l'individu « homme » pourrait-ilparvenir au bien ? Sans vie sociale, comment et pourquoi l'homme parlerait-il ?Ici, la vie sociale est ce qui permet à l'individu de se réaliser pleinement (c'est, pour l'homme, encore davantage lavie « politique », au sein d'une cité qui permettra cette réalisation individuelle, mais nous en restons ici à la vie« sociale », plus large que la vie politique : une vie sociale se développe au niveau de la famille, dans le village,entre maître et esclave ; alors que la vie politique se déploie spécifiquement et parfaitement au sein d'une citéjuste).
On peut même dire, avec Aristote, que l'individu n'est plus conçu comme un « tout », qui pourrait existerseul : au contraire, c'est la vie sociale (et plus précisément la cité) qui est le tout dans lequel il est inclus et sanslaquelle il n'est rien..
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