la vie est-elle un objet de science ?
Publié le 27/02/2008
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la vie est-elle un objet de science ?
Faire de la vie un objet de science pose ainsi le problème suivant : peut-on fixer la vie, l'isoler pour en décrire les mécanismes, sans en même temps perdre ce qui fait sa spécificité, cad son auto-mouvement ? La vie, un être vivant, peut-il être transformé par la science en objet sans qu'on perde justement la vie en route? Et si la science ne peut rendre raison de la vie, comment en rendre raison, et est-ce seulement possible?
- I . Pour qu'un discours puisse être dit scientifique, il faut que ce qu'il affirme s'applique universellement à tous les objets sur lesquels il porte. Aristote parvient à produire un tel discours sur les êtres vivants, en expliquant leur spécificité par un "principe" vital, principe qui vaut pour tous les êtres vivants, et qui les distingue de tous les autres êtres.
- II . Mais un tel discours n'est peut-être qu'un semblant de discours scientifique : il ne suffit pas de produire un discours "universel", il faut encore que ce discours permette réellement de comprendre ce dont on parle. Or, pour Descartes, parler de "principe vital" n'explique rien. Pour rendre raison du vivant, il faut non pas répondre à la question "pourquoi" mais à la question "comment". Autrement dit, avoir une science de la vie, c'est décrire ses mécanismes, et non expliquer sa soi disante "cause" (le principe vital).
- III . Une telle description peut certes paraître juste, mais comprendre les mécanismes du vivant, est-ce comprendre la vie? (Deux réponses alternatives, pour cette troisième partie -donc deux "troisième partie" possibles) : Kant montre que oui, en compliquant le mécanisme cartésien ; mais Bergson s'oppose fortement à une vision mécaniste de la vie : en décrire les mécanismes, c'est comprendre peut-être beaucoup de choses, mais pas ce qu'est la vie elle-même).
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"synolon"), cad composé d'une âme et d'un corps.
Il n'y a de vie que lorsqu'à un corps est au moins associé cequ'Aristote appelle l'âme végétative (par laquelle un être vivant se nourrit et croît en se nourrissant).
A cette âmevégétative peuvent s'ajouter, selon les êtres vivants, l'âme auto-motrice (qui distingue les animaux des plantes quine la possèdent pas) et l'âme intellective (qui distingue les hommes des animaux, car ceux-ci ne la possèdent pas).Attention , cependant, à ne pas croire qu'il y a plusieurs âmes : il n'y a pas dans l'homme trois âmes (végétative, auto-motrice et intellective), mais il n'y a qu'une seule âme, qui possède plusieurs fonctions.
S'il y a une science de la vie , c'est alors celle qui cherche à comprendre ce qui dans le corps permet d'actualiser l'âme à laquelle il est associé.
Un tel discours écarte ainsi toute conception de la vie comme pure âme : l'âme, selon Aristote, ne peutexister séparée du corps.
II .
Cette explication de la vie est-elle réellement une "science" de la vie ? On a plutôt une simple description des êtresvivants (ils se nourrissent, certains se déplacent par eux-mêmes, certains pensent), description qui est associée àun "principe" dont on ne sait rien, sinon que c'est par lui qu'un être vivant est vivant.
Pour Descartes, un tel principeest tout à fait obscur et n'explique rien.
Cela revient à expliquer la vie par une force occulte qui existerait dans lanature et qui se déploierait dans les corps vivants.
Mais, écrit Descartes dans les Principes de la Philosophie : "La nature n'est pas une déesse".
La nature ne fait rien par magie ou par force occulte.
Tout, dans la nature, doit êtrecompréhensible et maîtrisable par l'homme.
Mais comment est-ce possible ? Cela est possible, car Descartes part decette affirmation bien précise : la nature n'est pas autre chose que de l'étendue : cad figure, grandeur et mouvement.
Autrement dit, il n'y a pas de "force" dans la matière ou dans la nature, mais seulement des grandeurs(ce qu'on appelle aujourd'hui la masse), du mouvement, et des figures.A partir de là, il devient inadmissible de recourir à une "force" ou à un principe vital.
Pour expliquer la nature, il fautse rapporter au seul mécanisme, cad aux lois du mouvement.
Descartes opère ainsi une réduction du vivant au non-vivant : le mouvement par lequel se meut un être vivant est explicable de la même manière, par les mêmes lois, quecelui qui meut une bille ou un bateau.
Prenons un exemple : le mouvement volontaire.
Si je peux bouger mon piedquand je le veux, ce n'est pas parce qu'un principe vital mystérieux m'en donne la force, ni seulement parce que j'aiun pied, mais parce que, dans mon corps, des "esprits animaux", qui sont des messagers très petits qui circulentdans les vaisseaux sanguins, partent de mon cerveau et conduisent l'information "bouger mon pied" jusqu'auxmuscles du pied et de la cheville afin que celui-ci bouge effectivement.
Autre ex : le mouvement du coeur ne vientpas d'une "pulsion vitale", mais du fait que, lorsque le sang entre dans le coeur, il gonfle le coeur ; et lorsqu'il ensort, le coeur se dégonfle.On voit que Descartes n'utilise que les strictes lois du mouvement, car c'est à chaque fois le contact qui permet àun mouvement de se transmettre à un autre : les esprits animaux transmettent leur mouvement au pied ; le sangtransmet son mouvement au coeur.
Aucune action ne se fait mystérieusement, à distance, ou de façon cachée.Tout est "visible", car tout mouvement s'explique par contact, par transmission d'un autre mouvement.Descartes rend raison des êtres vivants comme on explique le fonctionnement d'une machine (à une exception près: l'homme, mais nous n'en traiterons pas ici) : un ressort entraîne un roulement qui entraîne un mouvement debalancier etc.
C'est pourquoi on parle d' "animaux-machines" chez Descartes.
Cette expression montre bien quellescience tente de faire de la vie un objet : c'est la science mécaniste du XVIIème siècle, qui applique les lois de laphysique (les lois du mouvement) au phénomène de la vie.
En ce sens, la vie devient bien l'objet de la science, outout du moins de cette science mécaniste.
III .
Pourtant, les limites d'une telle science se sont révélées progressivement.
Pour ne prendre qu'un exemple, maisparticulièrement représentatif, revenons sur le cas du mouvement du coeur.
Harvey a découvert que le coeur ne segonflait pas lorsque le sang entrait, mais lorsque le sang sortait du coeur.Ce n'est donc pas le sang qui gonfle lecoeur, comme le pensait Descartes.
Dans ce cas, l'explication mécaniste de Descartes ne tient plus : si ce n'estplus le sang qui, en entrant dans le coeur, vient gonfler les parois de celui-ci, et qui, en sortant, lui permet de sedégonfler, comment expliquer que le coeur "batte" ? Harvey, après sa découverte, n'a d'autre choix que d'expliquerle battement du coeur par l'idée d'une pulsion cardiaque spontanée.
Ce n'est pas le mouvement du sang qui setransmet au coeur, mais le coeur qui bat "de lui-même".
Un tel constat suffit à lui-seul à se demander si la "vie"qu'avait pris pour objet la science mécaniste était véritablement la vie, ou si justement on ne perdait pas sacaractéristique principale : la spontanéité du mouvement.
Un être de vivant se meut, se développe de façonspontanée, tout comme un coeur bat spontanément : et c'est de cela qu'il faut rendre compte puisque c'est ça quifait la différence entre un être vivant et un être non -vivant.Kant, dans La Critique de la Faculté de Juger , §§ 64 et 65, montre en quoi consiste cette singularité et à quel point il est important d'en rendre compte pour comprendre la vie : ce qui caractérise un corps vivant, un "organisme",c'est qu'en lui, "tout est fin et réciproquement aussi moyen".
En d'autres termes, on peut dire que le poumon est unmoyen pour l'organisme de respirer, mais aussi que tout l'organisme contribue à maintenir le poumon en bonne santé.C'est pourquoi un organisme est capable de s'auto-réparer.
Et c'est là qu'on comprend ce qui distingue le vivant dunon-vivant : une montre ne se répare pas toute seule ; elle n'a qu'une "force motrice" (un mécanisme lui permet debouger ses aiguilles tant que tout fonctionne bien).
Mais un organisme se soigne lui-même ; il n'a pas seulement une"force motrice", il possède aussi une force "formatrice" : lorsqu'un bout de peau est arraché ou un tissu musculaire.
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