La vie est-elle concevable sans le langage ?
Publié le 18/10/2005
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Au sens large, le langage apparaît comme un moyen d’expression et de communication, par l’usage de signes. Il peut donc être conçu comme appartenant aux animaux dits sociaux, comme les fourmis, les abeilles et les primates. Mais au sens strict, le langage se définit par son caractère symbolique, qui permet de dissocier ce qui est exprimé de la réalité présente, et son caractère systématique, qui permet, à partir d’un nombre fini d’éléments, d’exprimer une infinité d’énoncés à partir de règles de combinaisons. Par ces caractéristiques, on peut soutenir que le langage est propre à l’espèce humaine. S’il semble donc aller de soi que la vie, prise au sens général de l’ensemble du vivant, ne va pas toujours de pair avec le langage, on peut se demander s’il est possible de concevoir une vie humaine sans cette faculté et les productions qu’elle permet. Le langage est-il dans un rapport essentiel à la vie, est-il partie prenante de la définition même de la vie humaine, ou n’est-il qu’une faculté isolable, artificielle, qui s’ajoute à elle de manière contingente ? Nous nous interrogerons dans un premier temps sur ce que peut signifier une vie sans le langage, avant de penser le langage comme faculté première et fondamentale de la vie humaine. On pourra alors se demander si le rapport de l’ homme à sa propre vie peut être concevable sans le langage.

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et surtout sans le « secours de la communication ».
D'où l'obligation pour Rousseau de réfléchir au moyen decommunication qu'est le langage :« Qu'on songe de combien d'idées nous sommes redevables à l'usage de la parole : combien la grammaire exerce etfacilite les opérations de l'esprit ; et qu'on pense aux peines inconcevables, et au temps infini qu'a dû coûter lapremière invention des langues.
»Le cri, comme premier langage, est celui qui est poussé dans les grands dangers pour implorer du secours ou pourmanifester le soulagement de maux violents.
C'est une sorte de cri de la nature, qui ne peut s'exprimer que parexcès, dans des situations extraordinaires.
Que le premier langage soit celui du cri, Rousseau soutient aussi celadans un autre passage du Discours : « Des cris inarticulés, beaucoup de gestes, et quelques bruits imitatifs durentcomposer pendant longtemps la langue universelle.
» Il reviendra à la question de l'origine du langage dans le traitéd'éducation que constitue Émile, où il estime que les pleurs de l'enfant sont une sorte de langue naturelle etcommune à tous les hommes : « De ces pleurs qu'on croirait si peu dignes d'attention, naît le premier rapport del'homme à tout ce qui l'environne ; ici se forme le premier anneau de cette chaîne dont l'ordre social est formé.
»Mais si le cri est l'expression naturelle du désarroi de l'homme dans une situation extrême, il n'est d'aucun secoursdans le besoin de communiquer qui naît lorsque l'homme reconnaît l'autre comme semblable à lui.
Autrui perçu à lafois comme être pensant et sensible, à qui on désire communiquer et ses pensées et ses sentiments.
Cela n'estpossible que par les sens, « seuls instruments par lesquels un homme puisse agir sur un autre ».
Toute la descriptionde cette action de l'homme sur l'homme est surtout faite par Rousseau dans son Essai sur l'origine des langues(rédigé entre 1745 et 1761, et publié après sa mort).
Si le texte sur le langage du Discours sur l'origine de l'inégalitéétait une simple parenthèse, au contraire, l'Essai expose une théorie très élaborée du développement des langues.Au cri succède donc un langage des gestes, puis de la voix, signes sensibles pour exprimer la pensée« Les moyens généraux par lesquels nous pouvons agir sur les sens d'autrui se bornent à deux, savoir le mouvementet la voix.
L'action du mouvement estimmédiate par le toucher ou médiate par le geste : la première ayant pour terme la longueur du bras, ne peut setransmettre à distance, mais l'autre atteint aussi loin que le rayon visuel.
Ainsi restent seulement la vue et l'ouïepour organes passifs du langage entre des hommes dispersés.
»Mais la langue sert aussi à émouvoir le coeur et à enflammer les passions.
Alors, c'est tout autre chose.
Le langagedes gestes, qui est un langage muet et qui jusqu'alors faisait tout, ne vaut plus rien.
C'est la voix, avec sesaccents, qui l'emporte :« La seule pantomime sans discours vous laissera presque tranquille ; le discours sans geste vous arrachera despleurs.
Les passions ont leurs gestes, mais elles ont aussi leurs accents, et ces accents qui nous font tressaillir, cesaccents auxquels on ne peut dérober son organe pénètrent par lui jusqu'au fond du coeur, y portent malgré nous lesmouvements qui les arrachent, et nous font sentir ce que nous entendons.
»Aussi, pour Rousseau, la véritable origine des langues n'est pas dans les besoins, mais dans les passions, quipoussent les hommes à se rapprocher (alors que les besoins ont tendance à les éloigner les uns des autres) :« Ce n'est ni la faim ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère qui leur ont arraché les premières voix.
Lesfruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler, on poursuit en silence la proie dont on veutse repaître ; mais pour émouvoir un jeune coeur, pour repousser un agresseur injuste la nature dicte des accents,des cris, des plaintes : voilà les plus anciens mots inventés.
»Mais le développement des langues ne s'arrête pas là.Car Rousseau, on l'aura compris, a en tête une vision de l'homme qu'on pourrait dire tripartite : d'abord ce qui est del'ordre des besoins, puis ce qui est de l'ordre des passions, enfin ce qui est de l'ordre de la raison.
Cris et gestesrelèvent encore des besoins; la voix et ses accents vont avec les passions.
Un autre langage convient à la raison.D'où l'idée rousseauiste qu'en dehors du langage des gestes, il y a deux types de langue.
Celle, tout d'abord, quivise à persuader, composée surtout de voyelles, où les sons existent à peine articulés, et qui se rapproche du chantde la musique, et de la poésie.
Celle, ensuite, qui vise à convaincre et qui est aujourd'hui la langue que nousconnaissons.
Elle est certes composée de voyelles mais les consonnes s'y multiplient.
Les sons sont nettementarticulés.
Elle est simple et méthodique, et vise le sens propre plus que le sens figuré.
Et, s'interrogeant sur lapossibilité d'une langue mère, d'une première langue « naturelle », Rousseau lui donne les caractéristiques de lalangue de la passion.
Tous les tours de cette langue devraient être en images, en sentiments, en figures :« Comme les voix naturelles sont inarticulées, les mots auraient peu d'articulations ; quelques consonnesinterposées effaçant l'hiatus des voyelles suffiraient pour les rendre coulantes et faciles à prononcer.
En revanche,les sons seraient très variés, et la diversité des accents multiplierait les mêmes voix : la quantité, le rythme seraientde nouvelles sources de combinaisons ; en sorte que les voix, les sons, l'accent, le nombre, qui sont de la nature,laissant peu de chose à faire aux articulations qui sont de convention, l'on chanterait au lieu de parler.
»L'originalité de Rousseau est d'avoir montré le lien entre la parole et la passion d'une part, le geste et le besoind'autre part.
La vraie parole est poétique et musicale.
Elle est tout aussi éloignée des premiers gestes et cris de lanature que du langage de l'homme civilisé qui porte la marque des besoins.
Comme tout poète, Rousseau sembleappeler de ses voeux une résurrection de l'antique transparence du langage et des sentiments.
Les linguistes ont tenté de résoudre le dilemme, souligné par Rousseau, du passage des signes imitatifs aux signesproprement linguistiques, en invoquant les lois de la bonne articulation et de l'économie.
Les langues auraient évoluédans le sens de l'articulation la plus pertinente, c'est-à-dire la plus facile et par élimination de tout le superflu.
Lesphonèmes (plus petites unités distinctives de son) sont des éléments non significatifs, mais il est possible decomposer, à partir d'un petit nombre d'entre eux, un très grand nombre de signes.
3° Le langage peut-il exprimer le tout de la vie ?.
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