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La vie en société nous rend-elle dépendants du jugement d'autrui ?

Publié le 08/02/2004

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[II. Le jugement d'autrui est nécessaire pour permettre à chacun de devenir autonome]   [1. L'intersubjectivité stimule le jugement]Ce qui est condamnable, dans la relation avec autrui, c'est la passivité. Cette passivité définit un sens fort de l'aliénation et de la dépendance. Mais comment concevoir la relation entre deux ou plusieurs consciences d'un point de vue purement passif ? Merleau-Ponty prend l'exemple du dialogue : « ... il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est le créateur. Il y a là un être à deux » (Husserl, Phénoménologie de la perception). Autrement dit, l'« intersubjectivité », ou la relation entre deux subjectivités échangeant honnêtement leurs jugements, a des effets créatifs sur l'une et sur l'autre : chacune s'ouvre à l'autre et est amenée à modifier son jugement en fonction des arguments découverts. Or c'est bien par une telle « dialectique » que Socrate amenait ses interlocuteurs à la vérité.

« «Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre moi et autruiun terrain commun [...] Il y a là un être à deux.» Merleau -Ponty, Phénoménologie de la perception (1945). • Par rapport à ce que dit Sartre, une question reste ouverte: c'estqu'il faut bien que cette intersubjectivité se constitue.

Le rapport àautrui n'est pas donné de manière immédiate, pas plus que laconscience de soi.

L'une comme l'autre doivent être construitsdans une rencontre effective.• Merleau -Ponty répond à cette question dans l'analyse qu'il fait du dialogue.

C'est dans cette communauté de langage et dansl'échange des propos — non pas de manière immédiate mais dans ledéroulement du temps et du sens — que j'accède à autrui et à mapropre humanité.• ll ne faut pas confondre l'expérience du dialogue et le fait d'êtred'accord: le dialogue constitue un «terrain commun»: ce terraincommun est rarement celui où nous sommes d'accord, car si nousl'étions, nous n'aurions pas besoin de parler.

C'est donc plutôt celuioù s'exprime notre désaccord, mais un désaccord dans lequel l'unet l'autre se reconnaissent encore mutuellement la dignitéd'interlocuteur. [2.

Le jeu social ne pervertit pas le jugement personnel]On pourrait légitimement rétorquer qu'en société, rares sont ceux qui se risquent à dialoguer sincèrement avecautrui.

C'est ce qui fait la rareté des « vrais » débats.

Comme le montre le texte de Kant, chacun se méfie d'autrui :de l'image qu'il lui renvoie de lui-même, mais aussi de l'usage qui pourrait être fait d'une telle image.Mais personne n'est vraiment dupe de ce jeu social.

Kant l'explique par ailleurs : « Considérés globalement, leshommes sont d'autant plus des comédiens qu'ils sont davantage civilisés ; ils prennent l'apparence de la sympathie,du respect des autres, de la décence, de l'altruisme, sans pour autant tromper qui que ce soit, parce qu'il estentendu pour tout le monde que rien n'est ici conçu du fond du coeur » (Anthropologie du point de vue pragmatique,§ 14). [3.

La relation à autrui comme source d'autonomie]Mais cela ne doit pas nous faire désespérer de la relation avec autrui, au contraire.

Car l'apparence de la vertu finitpar éveiller chez certains une véritable disposition à la moralité.

A force d'être traité avec égards, on en prend pourautrui, et on finit par en faire un principe de conduite.

Kant prend l'exemple de la décence ou de la pudeur, quidissimule la passion amoureuse.

Il conclut qu'« en tant qu'illusion », elle constitue « un élément très salutaire pourproduire entre l'un et l'autre sexe la distance nécessaire afin que l'un ne soit pas dégradé au rang de simpleinstrument en vue de la jouissance de l'autre » (idem).

Dans ce cas précis, la relation à autrui, même illusoire, peutêtre source de moralité et donc, pour Kant, d'autonomie.

On pourra développer ces analyses avec les notions de"personne" et de "respect" dans la philosophie morale de KANT: KANT: «Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans tapersonne que dans la personne de tout autre toujours en même tempscomme une fin et jamais simplement comme un moyen.» • L'impératif catégorique de Kant est distinct du commandement christiquequant à son fondement.

En effet le commandement d'amour du Christ vient del'extérieur et est fondé sur un commandement antérieur qui prescritl'obéissance inconditionnelle au Christ.

L'impératif kantien vient, lui, de laraison.

C'est en nous-mêmes que nous le trouvons, comme une structure denotre propre esprit, qui fonde notre moralité.• Que ce soit un «impératif» ne signifie pas que nous soyons contraints ànous y plier, mais il est en nous comme une règle selon laquelle nous pouvonsmesurer si nos actions sont morales ou non (d'où la «mauvaise conscience»).• Il se distingue aussi par sa portée.

En effet, traiter les autres «comme unefin» ne signifie pas nécessairement les «aimer».

C'est à la fois moins exigeant,car il s'agit «seulement» de les respecter, en reconnaissant en eux la dignitéhumaine.

Mais c'est aussi plus exigeant, car il faut maintenir le respect mêmequand on n'aime pas! C'est là que le «devoir» est ressenti comme tel. [Conclusion] Il serait à la fois inexact et dangereux de réduire la vie sociale à une source d'aliénation et d'uniformisation passivedu jugement.

Autant retourner alors à la condition bestiale de l'état de nature ! Certes la relation avec autrui peuten droit rendre l'individu passif et soumis.

Mais cela signifie alors qu'il s'est démis de cette capacité à penser par soi-. »

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