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La vie comme matière de la pensée chez Gaston Bachelard

Publié le 16/11/2023

Extrait du document

« Fábio Ferreira de Almeida Comme un feu toujours vivant. La vie comme matière de la pensée chez Gaston Bachelard1 L’élément feu occupe une place privilégiée dans l’œuvre de Bachelard.

Si l’ensemble des quatre livres consacrés aux rêveries de la matière se situent dans une même perspective d’analyse, La psychanalyse du feu, première œuvre où la réflexion suit le fil conducteur d’un des éléments des cosmologies intuitives, n’intègre pas la série qui s’étend sur la quasi intégralité de la décennie de 1940.

Voilà donc un livre hybride dans lequel ce qui est en jeu est fondamentalement la question épistémologique des valorisations immédiates qui affectent la connaissance mais aussi, et ce en même temps, la racine primitive des images qui se configurent comme obstacles.

Le feu est l’élément qui concentre une primitivité – primitivité de l’esprit – dont l’action est ressentie, soit comme une entrave à l’objectivité rationnelle exigée par la science moderne, soit comme ce qui donne aux rêveries leur coloration.

Bref, il s’agit des valeurs premières qui s’insinuent chaque fois que la raison baisse la garde, chaque fois que l’esprit vacille et laisse, dans l’intimité de l’homme, poindre son âme. En effet, parfois la science rêvasse, ou, pour le dire autrement, il y a des époques où les rêveries prennent le statut de connaissance, configurant ainsi la réalité et donc la vérité.

Il y a enfin des époques où les rêves deviennent des faits.

La formation de l’esprit scientifique documente abondamment cela, ce qui démontre que, comme l’affirme Bachelard au début de La psychanalyse du feu, « la rêverie reprend sans cesse les thèmes primitifs, travaille sans cesse comme une âme primitive, en dépit des succès de la pensée élaborée, contre l’instruction même des expériences scientifiques »2.

Pour Bachelard, le feu est l’élément qui concentre le mieux cette primitivité ; les images du feu portent en elles une mémoire qui n’est pas simplement fixée dans le passé, une mémoire qui ne vient pas du vécu, au sens phénoménologique du terme, mais de valeurs infuses qui se manifestent immédiatement et spontanément.

Face au feu, la vie commune et la connaissance commune s’interpénètrent, se confondent presque et, pour se défendre contre cette séduction et cette fascination qui la menacent toujours, l’objectivité scientifique doit être constamment renouvelée, la rationalité de ses principes toujours revue et la vigilance aux valeurs de la raison sans cesse redoublée. 1 2 Cet article a été traduit du portugais (Brésil) par Céline Clément, que je tiens à remercier. Bachelard, G.

La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, Folio, 1999, pp.

15-16. Bachelard Studies / Études Bachelardiennes / Studi Bachelardiani, n.

1, 2021 • Mimesis Edizioni, Milano-Udine Web: https://mimesisjournals.com/ojs/index.php/bachelardstudies • ISBN: 9788857581644 © 2021 – MIM EDIZIONI SRL.

This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC-BY-4.0). Fábio Ferreira de Almeida 64 64 C’est donc à travers cette « psychanalyse de la connaissance objective », que Bachelard entend établir le véritable rôle de l’histoire des sciences : faire valoir la persistance de cette mémoire.

C’est l’attention à la récurrence de ces valeurs qui rendra l’objectivité chaque fois plus aiguë, plus impérieuse, et la connaissance chaque fois plus précise.

Le rationalisme que la science moderne enseigne à la philosophie réside précisément là: dans la matérialité des lois, dans la cohérence de l’objet. Néanmoins, la pensée de Bachelard ne renonce pas simplement à cette adhésion intime et immédiate aux images du feu ; il ne s’agit pas simplement d’expulser les valorisations qui sont à l’origine des images.

C’est exactement à travers la même analyse que son action positive est découverte.

C’est cette même primitivité qui déterminera l’événement singulier de l’image, l’éclosion d’un Univers3 inattendu, bref, d’une réalité qui n’est pas accessible par une élaboration rationnelle et qui se présente à l’effort d’objectivation conceptuelle comme une limite insurmontable. La cohérence de l’esprit escamote alors l’adhésion intime à la nouveauté dont l’image est l’unique détentrice.

En un mot, l’effort rationaliste face aux rêveries de lecture porte atteinte à la positivité simple et naturelle de l’image.

Comme tous les autres éléments (eau, air et terre), le feu est aussi un catalyseur de rêveries.

Les images du feu permettent à une âme rêveuse de vivre les valeurs les plus intimes et les plus secrètes qui la constituent.

On peut même affirmer que, suivant la verticalité temporelle caractéristique de l’univers des images, la rêverie transporte le lecteur jusqu’à l’instant même où ces valeurs naissent.

C’est ainsi que le temps de l’image se présente comme un temps complet : l’instant poétique concentre en lui toute la vie du rêveur.

Naissance et Mort se rencontrent en cet “instant” – temps qui ne commence ni ne termine –, et c’est là même que réside l’intensité de l’expérience de la lecture : « Oui, le veilleur devant sa flamme ne lit plus.

Il pense à la vie.

Il pense à la mort.

La flamme est précaire et vaillante.

Cette lumière, un souffle l’anéantit ; une étincelle la rallume.

La flamme est naissance facile et mort facile »4. Parmi les valeurs qui font agir les images du feu en profondeur et qui leur confèrent cette persistance qui les distingue de toutes les autres, la vie est, sans nul doute, la plus saisissante.

Dans La psychanalyse du feu, au début du chapitre sur le complexe de Prométhée, Bachelard affirme que « le feu est ainsi un phénomène privilégié qui peut tout expliquer.

Si tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu.

Le feu est l’ultra-vivant.

Le feu est intime et universel.

Il vit dans notre cœur.

Il vit dans le ciel.

Il monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour.

Il redescend dans la matière et se cache, latent, contenu comme la haine et la vengeance »5.

Les images du feu sont donc porteuses d’un excès d’autant plus remarquable et significatif qu’il s’agit d’un excès de vie.

Bachelard associe donc cet excès et cette transformation à la vie, ce qui est loin d’être anodin et montre que le feu est pris comme image, non d’un 3 Sur le terme « Univers » (la majuscule n’est pas anecdotique), voir l’article « Univers et réalité », in Bachelard, G., L’engagement rationaliste, Paris, PUF, 1972, pp.

103-108. 4 Bachelard, G., La flamme d’une chandelle, Paris, PUF, , 1996, p.

25. 5 Bachelard, G., La psychanalyse du feu, op.

cit., p.

23. Les convergences entre Bachelard et Héraclite : l’onirisme du feu Dans son article, « L’imaginaire et la science chez Gaston Bachelard », Jean Hyppolite attire déjà l’attention sur « un centre, un point de réconciliation, un foyer vivant où tout converge»7.

En effet, cette expression – foyer vivant – est désormais chargée d’un sens et d’une signification notables.

Et il semble également que c’est ce centre incandescent, cette vie qui tend toujours vers le sommet qui inspire la formule mélancolique de La flamme d’une chandelle : « Tout est dramatique dans la vie des choses et dans la vie de l’univers »8.

Cette même dynamique et cette intensité de la pensée résonnent quelques pages plus loin : La flamme n’est plus un objet de perception.

Elle est devenue un objet philosophique. Tout est alors possible.

Le philosophe peut bien imaginer devant sa chandelle qu’il est le témoin d’un monde en ignition.

La flamme est pour lui un monde tendu vers un devenir. Le rêveur y voit son propre être et son propre devenir.

Dans la flamme l’espace bouge, le temps s’agite.

Tout tremble quand la lumière tremble.

Le devenir du feu n’est-il pas le plus dramatique et le plus vif des devenirs ? Le monde va vite si on l’imagine en feu. Ainsi le philosophe peut tout rêver – violence et paix – quand il rêve au monde devant la chandelle.9 Cf.

Bachelard, G., Lautréamont, Paris, José Corti, 1995, p.

133. Hyppolite, J., Figures de la pensée philosophique, Paris, PUF, 1973, p.

677. 8 Bachelard, G., La flamme d’une chandelle, op.

cit., p.

26. 9 Ibidem, p.

33. 6 7 Comme un feu toujours vivant dépassement de la vie mais d’une vie qui, en tant même qu’elle est vie, est excessive, jamais fixée dans une forme définitive.

Nous pouvons ici penser á la vie du héros scélérat de Lautréamont, une vie qui est transgression, une « vie invivable »6. Nous nous proposons ici de retirer comment, chez Bachelard, ce feu “de vie” est le feu de la pensée elle-même.

La pensée est en feu, la pensée est flamme.

L’élément feu peut même être considéré chez notre auteur comme l’expression même de toute sa philosophie.

Et témoignent d’ailleurs de cette excitation vivifiante de la pensée l’épistémologie et la “philosophie littéraire”. Cette assimilation du feu et de la pensée chez Bachelard renvoie clairement au grand penseur de cet élément qu’est Héraclite.

Dans un premier temps, nous aborderons donc les convergences entre Bachelard et le pré-socratique d’Éphèse. Ce premier moment conduit à l´analyse d´un autre pré-socratique que Bachelard aborde de manière bien plus explicite, Empédocle.

Nous montrerons.... »

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