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LA VERTU DE JUSTICE EST-ELLE AUTHENTIQUE ? (Platon, République, Livre II.)

Publié le 24/03/2015

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justice

TEXTE

« ... Gygès le Lydien était un berger au service du prince qui régnait jadis en Lydie. Un jour, à la suite d'un violent orage, la terre se fendit et un gouffre se creusa sur les lieux de son pacage. Stupéfait, Gygès y descendit et entre autres merveilles, que les mythes racontent, il vit un cheval de bronze, creux, avec des fenêtres par lesquelles il aperçut un cadavre d'une taille plus grande qu'un homme, qui ne portait sur lui qu'une bague d'or. Gygès s'en empara et remonta à la surface. Chaque mois les bergers tenaient une assemblée pour faire un rapport au roi sur l'état de ses troupeaux. Gygès se rendit à cette réunion portant cette bague au doigt. S'étant assis au milieu des autres il lui arriva par hasard de tourner le chaton de la bague à l'inté¬rieur de sa main. Aussitôt il devint invisible pour ses voisins qui parlèrent de lui comme s'il était parti. Surpris il recommença de manier la bague avec précaution, tourna le chaton en dehors, et l'ayant fait, redevint visible. Ayant pris conscience de ce prodige, il répéta l'expérience pour vérifier si la bague avait bien ce pouvoir ; le même effet se reproduisit : en tournant le chaton à l'intérieur il devenait invisible, en le tournant à l'exté¬rieur visible. Dès qu'il fut assuré que l'effet était infaillible il s'arrangea pour faire partie de la délégation qui se rendait auprès

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du roi. Arrivé au palais il séduisit la reine, s'assura de sa compli¬cité, tua le roi et prit le pouvoir.

Si donc il existait deux bagues de ce genre, que le juste se passe l'une au doigt, l'injuste l'autre, personne peut-on penser, n'aurait une âme de diamant assez pur pour persévérer dans la justice, pour avoir le courage de ne pas toucher au bien d'autrui alors qu'il pourrait voler comme il voudrait au marché, entrer dans les maisons pour s'unir à qui lui plairait, tuer ou libérer n'importe qui bref tout faire, devenu l'égal d'un dieu parmi les hommes... «

(Platon, République, Livre II.)

L'intérêt de ce texte est donc double. Il pose le problème du mythe platonicien. Il montre d'autre part comment Platon pose le problème de la justice et par là discrédite fort bien par avance toutes les approches empiriques du problème moral (comme l'approche anglaise du XIX° siècle qui prétend fonder la morale sur ce qui n'est pas moral).

 

L'appel au mythe a ici un rôle très évident. C'est le mythe qui permet à Platon de radicaliser le problème de la valeur éthique. Le mythe de Gygès, l'homme invisible (qui peut faire tout ce qui lui plaît sans aucun risque), est très exactement l'équivalent de ce que nous appelons une « réduction eidétique «. En effet l'essence (eidos) authentique de la justice et de l'injustice se révélerait pleinement dans le cas de l'homme qui pourrait agir sans aucune peur des conséquences : le juste ne serait juste que par amour de la justice (et non par intérêt), l'injuste oserait enfin être lui-même : Gygès l'honnête berger qui n'avait jamais trompé personne et qui soignait bien ses moutons — n'a que l'apparence de la probité — puisque l'anneau magique fait voler en éclats sa justice prétendue.

justice

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,, • • • • du roi.

Arrivé au palais il séduisit la reine, s'assura de sa compli­ cité, tua le roi et prit le pouvoir.

Si donc il existait deux bagues de ce genre, que le juste se passe l'une au doigt, l'injuste l'autre, personne peut-on penser, n'aurait une âme de diamant assez pur pour persévérer dans la justice, pour avoir le courage de ne pas toucher au bien d'autrui alors qu'il pourrait voler comme il voudrait au marché, entrer dans les maisons pour s'unir à qui lui plairait, tuer ou libérer n'importe qui bref tout faire, devenu l'égal d'un dieu parmi les hommes ...

" (Platon, République, Livre II.) COMMENTAI RI! a) Présentation du texte Le mythe de Gygès, pour être bien compris, doit être situé dans le contexte du Livre Il de la République de Platon.

On pourrait dire, en des termes modernes mais parfaitement fidèles, nous semble-t-il au texte platonicien, que pour Socrate la vertu de justice est une valeur, qu'elle «doit être aimée comme un bien en soi ».

Thrasymaque - dont les propos immoralistes ont retenti tout au long du Premier Livre -nie cette valeur de la justice.

Pour lui, les chefs d'Etats en imposant des lois au peuple ne cherchent qu'à assurer leur domination; quant aux hommes prétendus «justes» ce sont des moutons peureux et dociles qui n'obéissent aux lois que parce qu'ils n'ont pas le pouvoir de s'y soustraire.

Glaucon (c'est le propre frère de Platon) qui apparaît en scène dans le Livre Il ne partage pas le point de vue de Thrasymaque; mais pour provoquer de la part de Socrate une réfutation décisive il se fait l'avocat du diable et commence par proposer une réduction psychologique de la valeur de justice.

La justice dit-il «tient le milieu entre le plus grand bien -commettre impunément l'injustice -et le plus grand mal - la subir quand on est incapable de se venger».

La justice est aimée non comme un bien en soi mais comme un moindre mal : obéir aux lois pour être en retour protégé contre l'agression des plus puissants: par peur du loup le mouton obéit à la loi du berger.

La vertu de justice est appréciée non pour elle-même, mais à cause des avantages que sa pratique confère (bonne réputation, protection des lois, etc.).

La soi­ disant valeur de la vertu de justice est ainsi réduite à des motivations psychologiques, à des calculs d'intérêts.

C'est déjà une réduction psychologique dans le style de La Roche­ foucauld : « Les vertus se perdent dans l'intérêt comme les 105. »

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