LA VALEUR MORALE DU TRAVAIL ET LE PROBLÈME DU LOISIR ?
Publié le 09/06/2009
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Préambule. Notions élémentaires concernant la production Karl MARX a montré que le premier objet — et peut-être le seul objet — de l'économie politique est la production. Il ne peut y avoir distribution ni consommation avant que les choses utiles ne soient produites. Et il est historiquement certain que les modes de production ont déterminé les modes de répartition des richesses sans que jamais l'inverse se produise. Mais la notion de production étant sensiblement différente chez les marxistes et pour les classiques, il convient de nous y arrêter. L'économie politique classique travaille sur le concept d'homo œconomicus : elle part de la représentation abstraite d'un individu isolé dans sa fonction de producteur. Au contraire, l'économie marxiste refuse le concept d'homo oeconomicus et tend à envisager l'homme concret ; aussitôt la production se montre pour ce qu'elle est : non pas comme l'action d'une entité sur on ne sait quoi, mais comme une fonction sociale, collective. Créer des techniques, les mettre en oeuvre, les apprendre n'est pas le fait d'individus séparés : solitaire à ma table, j'écris sur un papier qu'il a fallu fabriquer à partir de bois coupé de main d'homme, transporter comme ont aussi été extraites, préparées, les matières premières nécessaires à la production de mon encre et de mon stylo, etc. On le voit, toute production est une oeuvre collective, génératrice de rapports sociaux. Comme le dit LÉNINE :« L'économie politique ne concerne nullement la production, mais bien les rapports sociaux des individus dans la production, la structure sociale de la production. « (Quoique le réalisme marxiste effarouche bien des gens, il apparaîtra à ceux qui ont lu les pages précédentes que cette position du problème est conforme à l'attitude de la morale, tandis que la position classique lui est étrangère.) On appelle mode de production d'une société considérée la manière dont elle se procure les richesses nécessaires à son existence : la cueillette, la chasse, l'industrie sont donc des modes de production. Un mode de production comporte deux aspects antithétiques et inséparables : d'une part, les forces de production comprenant les instruments (outils, matières premières, etc.), les hommes (ouvriers, ingénieurs, intellectuels, etc.) et enfin l'expérience et les connaissances techniques ; d'autre part, les rapports de production qui sont des rapports sociaux (esclavage, servage, capitalisme, etc.). L'histoire montre que le mode de production se transforme et que dans cette transformation, ce sont les forces productives qui se modifient les premières, constituant ainsi l'élément dynamique, l'inertie appartenant au contraire aux rapports de production, freins efficaces de l'évolution.
«
une modi fication directe des éléments, l'activité technique, respectueuse du déterminisme, vient à ses fins par un détour.
Comparons les danses de sorciers pour obtenir de la pluie au moderne poudrage de l'atmosphère à la neige carbonique.
Ce travail se présente donc, selon l'expression de HEGEL comme « une ruse de la rai son ».
Le détour est constitué le plus généralement par l'emploi d'intermédiaires (outils, procédés physiques, chimiques, biolo giques, sociologiques et psychologiques).
Mais cela ne peut nous conduire à faire de l'homme, avec Marx et Bergson, un animal usant d'outils : ceux-là ne sont qu'un des aspects d'une ruse universelle dans son application comme dans ses moyens.
2° LE TRAVAIL ET LES CHOSES EXTÉRIEURES
Du point de vue objectif le travail se montre comme le moteur initial de la production, comme le créateur de lavaleur.
MARX a montré qu'il n'y avait pas de sens à parler de la valeur d'un objet sans établir une équation entre cette valeur et le travail qui a produit l'objet.
Nul objet ne peut, en effet, acquérir une valeur s'il n'est pas dans le commerce et le diamant, enfermé dans sa gangue et enfoui clans la terre, n'entre dans le commerce que par le travail du mineur, du diamantaire, du transporteur, du bijoutier.
Ainsi la valeur du diamant ne représente rien d'autre que le travail qui s'est porté sur lui.
La valeur ainsi définie n'est rien d'autre que la qualité abstraite, pour un objet donné, d'entrer dans un circuit économique.
Il faut se garder de la confondre avec la valeur d'usage, expression créée par Adam SMITH pour désigner « l'utilité objective réelle, par exemple de l'air et de l'eau » (Vocabulaire technique et critique de la philosophie, par André LALANDE, 5e éd., P.U.F., p.
1160) et de la valeur d'échange, qui consiste dans le prix de la chose.
Les économistes classiques ont coutume de répondre à Marx que la valeur d'une chose n'est pas en fait déterminéepar le travail, mais par la valeur d'usage et par sa rareté ou plutôt par une fonction que WALRAS a appelée utilitémarginale.
Pour donner une idée approximative de la loi d'utilité marginale, on peut avancer l'exemple suivant : soit200 paires de souliers à 30 NF chacune et 300 consommateurs ayant besoin de souliers et possédant 30 NF ; 100consommateurs ne pourront être fournis : il reste une marge d'utilité à couvrir ; et le prix montera jusqu'à ce qu'unepartie des consommateurs soit mise hors de course, parce qu'elle ne possède pas assez d'argent pour payer lenouveau prix.
Il est clair que l'argument ne porte pas sur a valeur telle que l'a définie Marx, mais sur la valeur d'échange.
D'autre part, la création de la valeur et sa mesure sont deux opérations sans rapport.
Ce débat est un dialogue de sourds et il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
D'ailleurs le travail créateur de la valeur n'est pas le travail concret, c'est-à-dire l'ensemble des démarches singularisées visant à produire des valeurs d'usage différentes (comme on parle du travail de l'égoutier ou de celui du professeur), c'est le travail abstrait, c'est-à-dire la dépense d'énergie mise en oeuvre dans toute production.
Dès que nous avons saisi cela la profondeur morale de la proposition marxiste nous illumine.
Le travail est unedépense d'énergie humaine pour humaniser la nature.
L'effort a une valeur propre de transmutation.
Lorsqu'unobjet devient une marchandise, acquiert une valeur, cela signifie que d'extérieur à l'humanité il lui devientintérieur, elle se l'est approprié.
« Le travail vivant, a écrit Marx, saisit les choses, les ressuscite d'entre lesmorts.
» Lorsque Marx dit de la valeur qu'elle est « du travail humain pur et simple », il dépasse les limites del'économie politique.
Car l'être du monde ne nous est accessible que par le travail.
Et si le travail est le premierdevoir il est aussi, parce qu'il résout le conflit de la nature et de l'homme au profit de l'homme, la premièrevictoire.
Devoir parce qu'il exige une solution du conflit entre l'affectivité et l'économique, il est aussi une victoireparce qu'il nous apporte, dans une nature soumise et domestiquée, le loisir et le droit d'exercer nos inclinations.
C) Signification morale du travail
Si le travail est ce qui contraint le donné à s'accorder avec les besoins et les inclinations humaines, il n'est pas seulement le premier devoir et la première victoire de la morale, il est même ce qui en permet l'émergence. Ce n'est pas une simple analogie qui fait appeler valeur l'objet des jugements de préférence mais un lien intime decontinuité.
Créateur de valeur économique le travail, en posant l'homme et le donné dans un rapport dialectique, est aussi ce qui nous introduit dans le domaine de la valeur morale. Mais la signification morale du travail n'a pu être dégagée que dans des conditions privilégiées.
Elle a une histoire (cela d'ailleurs contrôle ce que nous disions des rapports de la casuistique et de l'éthique).
10 LES MOMENTS SUCCESSIFS DE LA PHILOSOPHIE DU TRAVAIL Comme la succession des diverses philosophies du travail est liée à celle des divers modes de production, nous les exposerons en suivant l'évolution de ces derniers.
a) L'économie fondée sur l'esclavage
Dans l'Antiquité, l'économie, qui manque d'autres moyens techniques, se fonde sur l'esclavage.
L'esclave, comme.
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