La tragédie racinienne, théâtre de la cruauté
Publié le 26/03/2015
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L'organisation de la cérémonie tragique suit une progression inexorable. De manière significative, c'est généralement le personnage le plus dépendant qui donne son nom à la pièce : Andromaque est une captive, Bérénice une reine vassale à la cour de l'empereur Titus, Britannicus un jeune prince spolié de son pouvoir. Ce héros, condamné d'avance, est engagé dans un mouvement qu'il ne maîtrise pas. Rien ne peut entraver la marche de tous les personnages vers la consommation de leur destin : les dilemmes qui se présentent à eux ne sont que des leurres, leurs cris de victoire des signes de leur aveuglement : Agrippine s'écriant, peu avant la mort de Britannicus : « Il suffit, j'ai parlé : tout a changé de face « (V, 3, y. 1583 sq) illustre le caractère dérisoire de l'action humaine face à la double cruauté des dieux et de la machine dramatique.
«
Amour et cruauté
Le domaine privilégié de cette cruauté est la relation amoureuse : le sadisme de
Néron, acharné contre Junie et Britannicus, n'a d'égal que celui de Pyrrhus à l'égard d' Andromaque ; quant à Bajazet, c'est une tragédie sanglante qui illustre une des
modalités de la cruauté
amoureuse: la passion de posséder l'autre conduit Atalide à préférer voir mourir Bajazet plutôt que de le perdre : «Il est vrai, je n'ai pu concevoir sans effroi
Que Bajazet pût vivre
et n'être plus à moi;
Et lorsque quelquefois de ma rivale heureuse
Je me représentais
l'image douloureuse,
Votre mort (pardonnez aux fureurs des amants)
Ne me paraissait pas le plus grand des tourments.
» (Il, 5)
La cruauté se manifeste aussi par des conduites de persécution : Phèdre « et toute sa fureur» illustre ce mécanisme par lequel l'instinct de destruction s'applique successi
vement à la victime
et au bourreau, en un combat qui tient du règlement de comptes.
Les formes de la cruauté
La mort violente ou !'agression physique étant proscrites car « obscènes » au
regard des bienséances,
c'est par le regard et la parole que s'exprime la cruauté raci
nienne : regarder l'autre,
c'est le contraindre et le détruire.
Néron, en espionnant
Britannicus et Junie, affirme sa toute-puissance sur eux ; en fuyant sa mère, il
cherche à échapper à son regard pétrifiant et destructeur (Il, 2, v.
496 à 510).
La parole est un autre vecteur de la cruauté, spécialement dans les agôn, ces duels
où s'affrontent les protagonistes* (dans
Britannicus: Il, 8 ou dans Iphigénie: IV, 4).
Mais les plaintes sont aussi une des modalités de la parole de la cruauté : la plainte
d' Andromaque (1, 4 et Ill, 4) est, de ce point de vue, le modèle de toutes les plaintes
raciniennes, semées de reproches indirects
et masquant l'agression sous la déploration.
Ill -CRUAUTÉ DE LA DRAMATURGIE : LA MACHINE INFERNALE
La même cruauté se retrouve dans la dramaturgie racinienne, conçue comme un
mécanisme destiné à broyer les êtres après les avoir confrontés à des obstacles et à
l'illusion de la victoire.
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L'organisation de- la cérémonie tragique suit une progression inexorable.
De
manière significative, c'est généralement le personnage le plus dépendant qui donne
son nom à la pièce : Andromaque est une captive, Bérénice une reine vassale à la
cour de
!'empereur Titus, Britannicus un jeune prince spolié de son pouvoir.
Ce
héros,
condamné d'avance, est engagé dans un mouvement qu'il ne maîtrise
pas.
Rien ne peut entraver la marche de tous les personnages vers la consommation
de leur destin : les dilemmes* qui se présentent à eux ne sont que des leurres, leurs
cris de victoire des signes de leur
aveuglement: Agrippine s'écriant, peu avant la
mort de
Britannicus:« li suffit, j'ai parlé: toutachangédeface »(V, 3, v.
1583 sq)
illustre le caractère dérisoire de l'action humaine face à la double cruauté des dieux
et de la machine dramatique*.
Conclusion : Dans sa triple dimension, dramatique, psychologique et méta
physique, la cruauté est donc bien la loi de
l'univers racinien, placé sous le
signe du Mal
et de la douleur et fasciné par le spectacle de sa méchanceté..
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