La tolérance implique-t-elle qu'on laisse les autres dans l'erreur ?
Publié le 16/10/2005
Extrait du document
La tolérance est une vertu qui prime dans notre société. Elle est considérée comme une sorte de victoire sur l'intolérance – ne pas être tolérant c'est être intolérant certes mais surtout fermé d'esprit. Il y a impératif de tolérance. Ne pas être tolérant, c'est quasiment être inhumain. Cependant la tolérance suppose certains pré-requis. En effet être tolérant, cela reviendrait si on pousse la tolérance dans ses extrémités à tout accepter jusqu'à l'intolérance même. Il est donc possible de comprendre cet impératif de tolérance comme un impératif de scepticisme, de relativisme. Tout se comprend, tout se vaut. Outre cela la tolérance peut aussi impliquer une sorte de sentiment de supériorité. Le tolérant se sentant supérieur à ce qu'il tolère. On le voit cette vertu de tolérance peut tomber dans l'immoralisme même, dans l'égoïsme même. Ces deux écueils nous poussent-ils à remettre en cause cette valeur ? Dans quelle mesure la tolérance ne peut-elle faire l'économie d'une forme d'intolérance au risque de tout accepter même les erreurs des autres ?
«
Lorsque quelqu'un dit qu'à son avis, le nouveau bâtiment de la faculté a sept étages, cela peut vouloir direqu'il a appris cela d'un tiers, mais qu'il ne le sait pas exactement.
Mais le sens est tout différent lorsquequelqu'un déclare qu'il est d'avis quant à lui que les Juifs sont une race inférieure de parasites, comme dansl'exemple éclairant cité par Sartre à propos de l'oncle Armand qui se sent quelqu'un parce qu'il exècre lesAnglais.
Dans ce cas, le « je suis d'avis » ne restreint pas le jugement hypothétique, mais le souligne.Lorsqu'un tel individu proclame comme sienne une opinion aussi rapide, sans pertinence, que n'étaye aucuneexpérience, ni aucune réflexion, ,il lui confère – même s'il la limite apparemment – et par le fait qu'il la réfèreà lui-même en tant que sujet, une autorité qui est celle de la profession de foi.[...]
La force de résistance de l'opinion pure et simple s'explique par son fonctionnement psychique.
Elle offre des explications grâce auxquelles on peut organiser sans contradictions la réalité contradictoire, sans faire degrands efforts.
A cela s'ajoute la satisfaction narcissique que procure l'opinion passe-partout, en renforçant sesadeptes dans leur sentiment d'avoir toujours su de quoi il retourne et de faire partie de ceux qui savent ?
2) Le danger de la certitude
Le préjugé s'enracine bien souvent et devient ainsi une certitude.
C'est là qu'il atteint son degré maximal de dangerosité.
François Jacob, Le Jeu des possibles :
« Rien n'est aussi dangereux que la certitude d'avoir raison.
Rien ne cause autant de destructions quel'obsession d'une vérité considérée comme absolue.
Tous les crimes de l'histoire sont des conséquences de quelquefanatisme.
Tous les massacres ont été accomplis par vertu, au nom de la religion vraie, du nationalisme légitime, dela politique idoine, de l'idéologie juste ; bref au nom du combat contre la vérité de l'autre, du combat contreSatan.[...]
A la fin de ce XXe siècle, il devrait être clair pour chacun qu'aucun système n'expliquera le monde danstous ses aspects et tous ses détails.
Avoir contribué à casser l'idée d'une vérité intangible et éternelle n'est peut-être pas l'un des moindres titres de gloire de la démarche scientifique.
»
Faut-il alors rester tolérant et accepter que l'erreur s'installe ?
III – La véritable tolérance : accepter l'ignorance
1) Eliminer les préjugés, savoir admettre de ne pas savoir
Platon, Apologie de Socrate, 20d-22b :
« Or, un jour qu'il était allé à Delphes, il osa poser à l'oracle la question que voici – je vous en prie encoreune fois, juges, n'allez pas vous récrier -, il demanda, dis-je, s'il y avait au monde un homme plus sage que moi.
Orla pythie lui répondit qu'il n'y en avait aucun.
Et cette réponse, son frère, qui est ici, l'attestera devant vous,puisque Khairéphon est mort.
[...] Lorsque j'eus appris cette réponse de l'oracle, je me mis à réfléchir en moi-même : « que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ? Car moi, j'ai conscience de n'être sage ni peu niprou.
Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment certainement pas ; cela ne luiest pas permis.
» Pendant longtemps je me demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à grandpeine, à m'en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez un de ceux qui passent pour être des sages, pensantque je ne pouvais mieux que là, contrôler l'oracle et lui déclarer : « cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tum'as proclamé le plus sage.
» J'examinai donc cet homme à fond.
[...] Il me parut en effet, en causant avec lui, quecet homme semblait sage à beaucoup d'autres et surtout à lui-même, mais qu'il ne l'était point.
J'essayai alors de luimontrer qu'il n'avait pas la sagesse qu'il croyait avoir.
Par là, je me fis des ennemis de lui et de plusieurs desassistants.
Tout en m'en allant, je me disais en moi-même : « je suis plus sage que cet homme là.
IL se peutqu'aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu'il ne sait rien,tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir.
Il me semble donc que je suis un peu plus sage quelui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir ».
»
Cette phrase est attribuée à Socrate par son disciple Platon .
On en trouve la source dans l' « Apologie de Socrate » qui narre le procès intenté à Socrate par la ville d'Athènes alors que notre homme était âgé de 70 ans. Dans ce beau texte, Platon fait le récit de la vocation philosophique de son maître et des raisons véritables de son procès.
On y voit Socrate enquêtant auprès de ses concitoyens pour savoir pourquoi l'oracle de Delphes l'avait déclaré le plus sage des hommes.
Il s'attire ainsi des inimitiés qui amènent sa condamnation à mort.
Socrate est en quelque sorte le patron des philosophes, au point que l'on appelle « présocratiques » les penseurs antérieurs, comme si Socrate était l'origine de notre calendrier philosophique, à la façon dont Jésus-Christ l'est de notre ère.
Or, Socrate , que l'on considère encore aujourd'hui comme « le plus pur penseur de l'Occident » (Heidegger ), est un personnage qui n'a rien écrit, dot toute l'activité s'est concentrée sur le dialogue avec ses concitoyens.
Les renseignements que nous avons concernant sa vie et sa pensée proviennent donc essentiellementde ses deux principaux disciples, Xénophon et surtout Platon ..
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