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La technique est-elle dangereuse ?

Publié le 14/10/2005

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Mais quoique la fabrique fût fort pauvre et pour cette raison, mal outillée, cependant quand ils se mettaient en train, ils mettaient à bout de faire entre eux environ douze livres d'épingles par jour ; or, chaque livre contient au-delà de quatre mille épingles de taille moyenne [...]. Mais s'ils avaient tous travaillé à part et indépendamment les uns des autres, et s'ils n'avaient pas été façonnés à cette besogne particulière, chacun d'eux assurément n'eût pas fait vingt épingles, peut-être pas une seule, dans sa journée, cad pas, à coup sûr, la deux cent quarantième partie, et pas peut-être la quatre mille huit centième partie de ce qu'ils sont maintenant en état de faire, en conséquence d'une division et d'une combinaison convenables de leurs différentes opérations. » SMITH, « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». Pour montrer l'efficacité de la division du travail, Smith prend comme exemple une fabrique qui produit des « objets de peu de valeur » et qu'il est donc utile de produire en grand quantité. Dans cet exemple, la division du travail possède deux aspects : d'une part, « fabriquer des épingles » devient un métier particulier alors qu'auparavant le forgeron fabriquait des épingles et aussi d'autres produits. D'autre part ce métier lui-même est divisé en autant de métiers qu'il y a d'opérations à effectuer. L'habitude accroît l'habileté pour chacune de ces opérations, permettant ainsi une plus grande rapidité dans le travail. Mais la spécialisation a pour contrepartie l'incapacité à exercer le métier de forgeron dans toute sa diversité. Et plus la division du travail augmente, plus chaque opération est  simplifiée.
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« dans sa tête avant de la construire dans la ruche .

» La perfection de la ruche n'est que la contrepartie d'une activité instinctive, « machinale », non pensée, non voulue.Le travail spécifiquement humain n'émerge que lorsque est en jeu la totalité de nos capacités.

Il faut imaginer etconcevoir ce que l'on va produire.

L'existence de l'objet est tout d'abord idéelle, c'est un projet, une anticipation,quelque chose qui vient bien de l'homme et non de l'instinct, cad de la nature.

A partir de ce projet, il faut aussi lavolonté effective de fabriquer, de manière ordonnée, planifiée, rigoureuse.

Enfin il faut mettre en branle unehabileté, une force, un talent physique.Dans le moindre objet fabriqué est donc investie la totalité de nos capacités (imagination, conception, déduction,volonté, habileté, force).

Cet investissement fait de l'objet fabriqué un objet humain, qui objective nos capacité, etcela confère de la valeur à l'objet et le rend respectable.

Si l'objet fabriqué –même mal- par le plus mauvais artisan,vaut mieux que la cellule la plus réussie de l'abeille la plus experte, c'est que, dans le premier, on contemple del'humain, l'activité humaine objectivée.

En ce sens, le travail est humain, et même uniquement humain.Il s'ensuit deux choses.

D'abord, par le travail l'homme s'éduque, se forme, s'humanise.

Que le travail soit pénible,astreignant, fastidieux, n'y change rien.

Face à l'étymologie du terme « travail » (« tripalium » = instrument detorture) ou de la malédiction biblique (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »), les modernes, et surtoutHegel puis Marx, rétorquent que c'est par le travail que l'homme se fait homme, passe d'une activité instinctive àune activité pensée, d'une spontanéité animale à une discipline rationnelle.Mais ce premier point est corrélatif du second.

Le travail humain requiert la discipline et la mise en oeuvre de toutesnos capacités intellectuelles & physiques.

On ne sépare pas ici la conception du travail de son exécution ; l'esprit seforme en même temps que le corps.

Il faudrait ajouter que cette forme d'activité n'est pas séparable de formes desocialisation, du développement du rapport à autrui.

Enfin, et il faut insister sur ce point, l'homme peut être fier deson travail dans la mesure où il est bien le sien, cad un objet produit par ses qualités et qui en quelque sorte lesobjective.A ce que le premier Marx décrit comme une sorte « d'essence » du travail (terme qu'il reniera ensuite, en affinant saconception de l'histoire, de la technique et des rapports de production), il faut alors opposer les formes modernes deproduction.Pour comprendre ce que dit Marx, il faut se souvenir que les débuts du capitalisme ont été sauvages ; qu'unthéoricien comme Smith écrivait calmement :« Dans les progrès que fait la division du travail, l'occupation de la majeure partie de ceux qui vivent de ce travail,cad de la masse du peuple, se borne à un très petit nombre d'opérations simples [...] Or l'intelligence des hommesse borne nécessairement par leurs occupation ordinaires.

Un homme qui passe toute sa vie à faire un petit nombred'opérations simples [...] n'a pas lieu de développer son intelligence, ni d'exercer son imagination [...] et devientgénéralement aussi stupide et ignorant qu'il soit possible à une création humaine de la devenir.

» (« La richesse desnations », 1776)Les formes modernes de travail consistent (si l'on s'en réfère à Taylor et à Ford) à décomposer les opérationsnécessaires à la fabrication d'un objet & à attribuer chacune d'elles à un ouvrier.

Cette forme de division du travail,si elle favorise la production dans des proportions exponentielles, fait que d'une part la conception de l'objet et sonexécution sont deux tâches séparées, attribuées à des hommes bien distincts (ce qui suppose que certains ne sontplus que des exécutants purs & simples, travaillant avec des machines & à leur rythme), et que, d'autre part, l'objetn'est plus produit littéralement par personne.

Non seulement un homme ne produit plus un objet du début jusqu'à lafin, mais on ne peut plus parler de travail d'équipe dans la mesure où l'organisation du travail est imposée del'extérieur et que chacun exécute sa tâche isolément.Cet anonymat, cette séparation de la conception et de l'exécution, cette imposition d'une tâche abrutissante &répétitive, Marx la décrit en 1844 comme une véritable perversion du travail.L'ouvrier est dépossédé de son travail, et cela à plusieurs titres.

D'une part en ce que son salaire ne correspond pasau travail fourni, mais permet seulement de restaurer la force du travail.

D'autre part en ce que l'ouvrier ne peut enaucun cas reconnaître pour sien, comme son oeuvre, un objet fabriqué dot il n'a fourni qu'une partie infime.

Nonseulement nulle fierté n'est possible, mais nulle reconnaissance.

« Le travail est extérieur à l'ouvrier [...] il n'est plusson bien propre mais celui d'un autre.

»L'ouvrier « mortifie son corps & ruine son esprit », cela se conçoit aisément.

Le corps n'est plus éduqué, formé,discipliné quand il est astreint à la répétition mécanique, à une cadence imposée par les machines.

Au contraire, ilest déformé, réduit à être un substitut de machine.

Proche, pour faire court de la définition que donnait Aristote,des esclaves.« L'esclave lui-même est une sorte de propriété animée [...] Si, en effet, chaque instrument était capable, sur unesimple injonction, d'accomplir le travail qui lui est propre [...] si les navettes tissaient d'elles-mêmes [...] alors ni leschefs d'artisans n'auraient besoin d'ouvriers, ni les maîtres d'esclaves.

» (« Politique », I, 4).Mais cette ruine, cette dégradation du corps, qui ne développe plus une habileté ou un talent mais itère & réitère unmême geste qui n'a plus de sens pour celui qui l'exécute, est corrélative d'un abrutissement spirituel.

Le « pire »réside dans la séparation de la conception et de l'exécution qui fait que le travail n'est plus conçu mais subi, nedéveloppe plus intelligence ou créativité, mais cantonne l'homme à la contemplation d'une action imposée étrangère,absurde.

« Travail forcé, il n'est plus la satisfaction d'un besoin, mais un moyen de satisfaire des besoins en dehorsdu travail.

»Ainsi on conçoit que « ce qui est humain devienne animal.

»Mais, ajoute Marx : « on fuit le travail comme la peste.

» « C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être soi qu'endehors du travail ».

Le travail étant devenu animal, machinal, torturant, l'homme s'y voyant dépossédé de sa propreactivité, ne peut plus se sentir lui-même qu'en dehors du travail.Or, ce qui existe en dehors du travail, c'est essentiellement (compte tenu, qui plus est, des conditions économiquesdans lesquelles on maintient l'ouvrier), la satisfaction des besoins.. »

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