La spontanéité est-elle synonyme de liberté
Publié le 03/04/2004
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C'est à partir de l'analyse du concept de spontanéité qu'il faut ici réfléchir sur cette question. Pour dégager les significations d'un mot, on commence toujours par chercher dans quelles expressions on peut le rencontrer. Il est utile de se demander, d'autre part, à quels concepts il s'oppose.
Introduction
* A première vue, agir de manière spontanée, c'est agir librement : rien ni personne ne parait alors nous contraindre. Toutefois, on peut se demander si, en agissant de manière spontanée, on n'agit pas aussi de manière irréfléchie, involontaire ou irresponsable.
* Le problème se pose donc de savoir ce qu'on entend par «spontanéité, afin de déterminer si celle-ci est, ou non, synonyme de liberté.
1. Le mot «spontané« L'analyse des expressions dans lesquelles on utilise le mot «spontané« conduit à distinguer plusieurs plans. On parle en particulier de spontanéité pour désigner:
* Un acte qui n'est pas contraint par autrui. Des aveux spontanés ne sont pas arrachés par la violence ou la ruse ; celui qui avoue décide de parler alors qu'il pourrait se taire puisque personne n'exerce sur lui de pression.
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2.
Spontanéité et liberté
a) Des actes spontanés mais non libres• Il est clair que si ma conduite est dirigée par autrui, mes actes ne sont ni spontanés ni libres.
Mais il ne suffit pasque je ne dépende plus d'autrui pour être certain d'être libre : je peux encore dépendre de mécanismes,psychologiques par exemple, qui définissent ma conduite.
Je ne suis ni spontanément ni librement généreux si l'onme force à donner; mais l'élan de générosité que personne n'a sollicité n'est pas encore un mouvement libre s'il esten quelque sorte plus fort que moi.
Des aveux spontanés, d'autre part, peuvent résulter d'un intense sentiment deculpabilité qui écrase le responsable d'un acte.• On ne parle pas de liberté lorsqu'un acte n'est pas déterminé par la réflexion consciente mais par des forces quipoussent l'être à se conduire de telle ou telle manière.
Une conscience et une volonté libre supposent d'abord uneindépendance à l'égard des besoins, des désirs, des passions, des mécanismes biologiques ou instinctifs.• Des conduites spontanées, comme par exemple des comportements instinctifs, sont rigoureusement nécessaires.Ils ne peuvent pas ne pas se déclencher.
On est ici à l'extérieur du champ de la liberté.
Une action spontanée quirésulterait d'une sorte d'instinct, ou d'une pure impulsion dont notre volonté ne serait pas responsable, pourrait avoirdes conséquences heureuses ou au contraire malheureuses ; mais on peut contester qu'elle ait une valeur morale,qu'elle soit comme telle bonne ou mauvaise, si l'on soutient Kant que seuls les actes volontaires, déterminés par unelibre décision, peuvent être jugés sur le plan moral.
b) De la spontanéité des actes libres• Si la spontanéité d'une conduite ne définit pas sa liberté, inversement, un acte libre est, en un sens, toujoursspontané.• En effet, une volonté soumise à des déterminations externes n'est pas libre, puisqu'elle dépend précisément decelles-ci.
Poser un acte libre, c'est dire que «si (par exemple) je me lèvre maintenant de mon siège tout à faitlibrement et sans subir l'influence nécessairement déterminante des causes naturelles, alors avec cet événement ettous les effets naturels qui en dérivent à l'infini commencent absolument une nouvelle série, bien que, par rapport autemps, cet événement ne soit que la continuation d'une série précédente.
Cette résolution et cet acte ne sont pasune simple conséquence de l'action de la nature, mais les causes naturelles déterminantes qui ont précédé cetévénement cessent tout à fait par rapport à lui ; et, s'il leur succède, il n'en dérive pas, et par conséquent il peutbien être appelé un commencement absolument premier, non pas à la vérité sous le rapport du temps, mais souscelui de la causalité".
(Kant, Critique de la raison pure, trad.
Barni, Gibert, II, p.
25).On remarquera que c'est précisément la possibilité d'une telle spontanéité que contestait Spinoza.
"Ceux donc quicroient qu'ils parlent ou se taisent ou font quelque action que ce soit, par un libre décret de l'âme, rêvent les yeuxouverts".
(Éthique, G.F., p.
140) ; en effet, c'est concevoir l'homme «comme un empire dans un empire"., croirenaïvement «que l'homme trouble l'ordre de la nature plutôt qu'il ne le suit, qu'il a sur ses propres actions un pouvoirabsolu et ne tire que de lui-même sa détermination» (id., p.
133).
Être libre, selon Spinoza, ne saurait être "agirspontanément"., mais au contraire prendre conscience qu'une telle spontanéité d'un être est toujours illusoire ausein de la nature, où tout est nécessité.
Spinoza: J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre àexister et à agir d'une certaine façon déterminée.
Dieu, par exemple, existelibrement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité desa nature.
De même aussi Dieu se connaît lui-même librement parce qu'ilexiste par la seule nécessité de sa nature.
De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seulenécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses.
Vous le voyezbien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans unelibre nécessité.Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par descauses extérieures à exister et à agir d'une certaine façon déterminée.
Pourrendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierrepar exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certainequantité de mouvement et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser,elle continuera à se mouvoir nécessairement.
Cette persistance de la pierredans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, maisparce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure.
Et ce quiest vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière, quelle que soitla complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à existeret à agir d'une certaine manière déterminée.Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sachequ'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir.
Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de soneffort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévèredans son mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder etqui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui lesdéterminent.
Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s'il est poltron,vouloir fuir.
Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu.
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