La société humanise-t-elle l'homme ou le dénature-t-elle ?
Publié le 18/01/2012
Extrait du document
«
sociales qui changent d'un pays à l'autre, d'une époque à l'autre.
Diogène Laërce raconte en cestermes ladécouverte de son homonyme de Sinope : « Ayant vu un jour une souris [...] qui couraitsans se soucier de trouverun gîte, sans crainte de l'obscurité, et sans aucun désir de tout ce qui rendla vie agréable, il la prit pour modèle ettrouva le remède à son dénuement.
Il fit d'abord doublerson manteau, pour sa commodité, et pour y dormir la nuitenveloppé, puis il prit une besace pour ymettre ses vivres, et résolu de manger, dormir et parler en n'importe quellieu.
»7 La besace et letribon, manteau doublé qu'on portait été comme hiver, étaient avec le bâton, qui sert às'appuyer aussibien qu'à écarter les importuns et le danger, les attributs les plus communs du cynique depuisAntisthène.
Diogène en rajoute sur son maître dans le dépouillement : « Voyant un jour un petit garçon quibuvaitdans sa main, il prit l'écuelle qu'il avait dans sa besace, et la jeta en disant : "je suis battu, cetenfant vit plussimplement que moi....
Il jeta de même une autrefois son assiette pour avoir vu de la même façon un jeune garçonqui avait cassé la sienne faire un trou dans son pain pour y mettre ses lentilles.
»8 Diogène ne se contentait pas «de manger, dormir et parler en n'importe quel lieu.
» : « Unjour où il se masturbait sur la place publique, il s'écria :"Plût au ciel qu'il suffît aussi de se frotter le ventre pour ne plus avoir faim !...
»9 Les convenances, et tout ce quirelève de ce qu'on nommait naguère « urbanité » n'embarrassait pas beaucoup, on le voit, Diogène : « Pendant unrepas, on luijeta des os comme à un chien ; alors, s'approchant des convives, il leur pissa dessus comme un chien.»10 C'est que pour Diogène, fils du banquier Ikésios dont les pratiques de faux-monnayeur lui valurent de devoir fuirsa ville natale de Sinope, pour s'engager dans une vie errante, séjournant à Athènes auprès d'Antisthène, etmourant à Corinthe, on n'est pas moins homme quand on est Mégarique quandon est Athéniens ou Spartiate, si onne l'est pas plus.
Et ce qui ne vaut qu'à Mégare, mais pas à Athènes, ou l'inverse, ne mérite aucune considération.Et la société, qui prétend nous imposer ses normes, quand celle-ci, à changer d'un endroit à l'autre, d'un moment àl'autre, révèlent clairement leurcaractère purement conventionnel, nous dénature : ce qui est vertu à Sparte, etvice à Athènes, ne saurait être réellement ni l'un, ni l'autre.
Et ne vaut alors d'autre règle que celle de suivrepartout la nature, qui ne connaît pas ce genre d'incertitude.
Ainsi, Diogène « marchait nu-pieds sur la neige,etsupportait toutes sortes d'épreuves [...].
Il essaya même de manger de la viande crue, mais ne persista pas danscette tentative.
»11 À l'évidence, Diogène considère qu'on ne saurait avoir de plus haute ambition que de seconduire comme il convient à un homme, ce que la nature nous indiqueclairement pour peu que nous lui soyonsassez attentifs, quand la comédie de la vie en société nous en détourne, parce qu'elle met au plus au prix ce qui estsans valeur.
D'où la fameuse entrevue avec Alexandre – qui d'après Laërce aurait déclaré : « Si je n'étais pasAlexandre, je voudrais être Diogène»12 : « Dans le Cranéion, à une heure où il faisait soleil, Alexandre le rencontraet lui dit : "Demande-moi ce que tu veux, tu l'auras....
Il lui répondit : "Ôte-toi de mon soleil....
»13 D'où aussil'épisode de la lanterne, qu'aimait à mentionner Rousseau : « Il se promenait en plein jour avec unelanterne etrépétait : "Je cherche un homme...
».14 À rapprocher de cet épisode rapporté peu avant parLaërce : « Un jour ilcria : "Holà ! des hommes ! On s'attroupa, mais il chassa tout le monde àcoups de bâton, en disant : "J'ai demandédes hommes, pas des déchets !...
»15 Le Diogène qui toutà la fois dénonce lattachement de ses semblables à desobjets dénués de valeur véritable, et s'efforcepour sa part de réduire ses besoins au strictement indispensable,annonce incontestablement le Rousseauqui, dans la Première partie du second Discours, écrit : « ce n'est donc pasun si grand malheur àces premiers hommes, ni surtout un si grand obstacle à leur conservation, que la nudité, ledéfaut d'habitation, et la privation de toutes ces inutilités, que nous croyons si nécessaires.
»167 Ibid., Diogène,pp.
14-15.8 Ibid., pp.
19-20.9 Ibid., p.
23.10 Ibid.11 Ibid., p.
19.12 Ibid., p.
18.13 Ibid., p.
20.14 Ibid., p.
21.15Ibid., p.
18.16 Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les homme,Première partie, OEuvres complètes,T.
III, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1964, pp.
139-140.P.
Cardinali – Lasociété humanise-t-elle l'homme ou le dénature-t-elle ?3Contre le Protagoras de Platon, pour qui la nature laisse «l'homme nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes »17, Rousseau ne juge pas l'homme si naturellementdémuni que cela :« En dépouillant cet Être, ainsi constitué, de tous les dons surnaturels qu'il a pu recevoir, et detoutes les facultés artificielles qu'il n'a pu acquérir que par de longs progrès ; En le considérant, en un mot, tel qu'ila dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que lesautres, mais, à toutprendre, organisé le plus avantageusement de tous.
Je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant aupremier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits.»18 Les faibles besoins de cet être ne demandent pas, pour êtresatisfaits, de mettre en oeuvre de bien grandsmoyens.
Et l'exercice auquel l'homme sauvage est contraint lui fait développer des facultés que l'homme civilisélaisse chez lui en jachère, quand à n'en pas user, il ne les laisse pas s'atrophier : « Le corps de l'homme sauvageétant le seul instrumentqu'il connaisse, il l'emploie à divers usages, dont, par le défaut d'exercice, les nôtres sontincapables, et c'est notre industrie qui nous ôte la force et l'agilité que la nécessité l'oblige d'acquérir.
S'il avaiteuune hache, son poignet romprait-il de si fortes branches ? S'il avait eu une fronde, lancerait-il de lamain unepierre avec tant de raideur ? S'il avait eu une échelle, grimperait-il si légèrement sur unarbre ? S'il avait eu uncheval, serait-il si vite à la course ? Laissez à l'homme civilisé le temps derassembler toutes ses machines autour delui, on ne peut douter qu'il ne surmonte facilementl'homme sauvage ; mais si vous voulez voir un combat plus inégalencore, mettez-les nus et désarmésvis-à-vis l'un de l'autre, et vous reconnaîtrez bientôt quel est l'avantage d'avoirsans cesse toutes sesforces à sa disposition, d'être toujours prêt à tout événement, et de se porter, pour ainsi dire,toujourstout entier avec soi.
»19 Il est fort habile, de la part de Rousseau, de ne pas évaluer la condition del'hommeen la comparant à celle des animaux, mais en comparant les capacités du sauvage à celle ducivilisé dépouillé detoutes les prothèses techniques grâce auxquelles celui-ci peut certes affirmer sasupériorité, mais sans lesquelles, ducoup, il n'est plus rien.
Rappelons-nous le Robinson de Defoe.
Surl'épave de son navire échoué, il commence parrechercher les provisions de bouche, avant de songer àse fabriquer, faute d'avoir trouvé une embarcation encoreutilisable, un solide radeau sur lequel il entreprendd'embarquer « ce qui pouvait être le plus utile à prendre.
»20 Etl'ordre de son choix est intéressant: il commence par embarquer « toutes les planches qui [lui] tombèrent sous lamain.
»21 Puis ils'empare de deux coffres à matelot, qu'il « rempli[t] de provisions »22, en négligeant les liqueursetbouteilles d'alcool, et ajoute des vêtements.
Je pris seulement ce dont j'avais besoin, d'autres chosesmeparaissaient plus essentielles.
Premièrement, je désirais avoir des outils, et je ne fus pas longtempsavant de.
»
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