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La société fait-elle l’homme ?

Publié le 11/02/2019

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C’est déjà ce que déplorait Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, en soulignant à quel point les différences de richesse et de pouvoir produisent à long terme, non seulement des différences dans la « valeur » que l’on reconnaît aux individus, mais, plus généralement, une véritable aliénation de l'être humain, qui se repère désormais par ses apparences ou son avoir, et non plus par son être authentique. « L'homme moderne, écrit-il, vit toujours hors de soi » ; il est en quelque sorte décentré, ne se retrouvant précisément que dans ses fonctions sociales et dans le prestige qui leur est attaché, et condamné à méconnaître ce qui le constitue vraiment.

« ou des médias) dont la fonction sociale entraîne une visibilité maximale, et peut exercer une incontestable fascination sur pas mal de gens moins «haut placés».

Ces réputations vont de pair avec une idéologie diffuse qui répète volontiers que le plus important dans la vie est d'avoir une bonne situation, de gagner de l'argent, de s'offrir des voitures luxueuses ou des vacances dans une île lointaine, etc.

Au point que s'établit subrep­ ticement l'idée selon laquelle la fonction sociale fait l'homme, c'est-à­ dire qu'un individu peut ou doit être estimé relativement au statut qui est le sien dans la société.

Il vaut la peine d'examiner si une telle «idée» est fondée, ne serait-ce qu'en raison de sa diffusion.

[1.

Fragilité de la fonction sociale] Les Romains avaient l'habitude de rappeler à certains de leurs gouver­ nants que la roche tarpéienne était très proche du Capitole : façon de leur mettre en mémoire que les plus grands honneurs ne protégeaient pas d'une éventuelle chute ...

L'actualité contemporaine n'en finit pas de nous fournir des illustrations de ce principe : tel dirigeant industriel, à peine chassé de son poste, se trouve traité par les médias -qui jusqu'alors encourageaient plutôt à l'applaudir- comme un individu fmalement assez peu recommandable ; tel footballeur, après avoir atteint le sommet de sa carrière, doit affronter les lazzis de ses anciens supporters déçus.

C'est, à chaque fois, une reprise, à tonalité plus ou mois dramatique, de « plus dure sera la chute».

Le prestige qui s'attachait à des fonctions sociale­ ment valorisantes (et il ne s'agit pas même pour l'instant de savoir si cette valorisation était justifiée) disparaît du jour au lendemain, et la «valeur )) que l'on attribuait à la personne qui en bénéficiait fait de même.

Ce que l'on a qualifié de «société du spectacle» ne fait qu'augmenter le phénomène : si la réputation d'un individu dépend de son métier et du statut auquel il a accédé, elle s'étend d'autant plus auprès du public qu'elle est effectivement «spectaculaire», et relayée par les divers médias.

Une émission de télévision pas trop ennuyeuse fait désonnais davantage pour la notoriété d'un chercheur que les années de travail qu'il a passées dans son laboratoire : cela pourrait sembler peu regrettable si cette notoriété sanctionnait à coup sûr des existences vouées à des travaux qui concernent l'ensemble du corps social, mais le problème est qu'eUe concerne aussi des individus qui n'ont comme seule qualité que leur pho­ togénie, ou le fait de passer « à la télévision » ...

Ainsi se réalise progressi­ vement une prédiction d'Andy Warhol sur la possibilité, pour chacun, de connaître son« quart d'heure de gloire "· Cene« gloire», gagnée grâce à une vague opinion, est nécessairement fugace, car l'opinion est évidemment versatile, et avide de découvrir la célébrité suivante.

Mais Je plus grave n'est peut-être pas là : il est dans. »

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