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La société est-elle un organisme ?

Publié le 11/04/2009

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Enfin, il peut arriver que la société connaisse des dysfonctionnements. Il n'y a de pathologie que relativement au vivant. Une machine peut se dérégler, elle peut se casser, mais elle ne tombe pas malade. La maladie n'a rien de volontaire, ordinairement nous faisons notre possible pour demeurer en bonne santé. Si donc le mal social, lorsqu'il survient, est de nature organique, on ne peut en faire retomber la responsabilité sur personne. Les crises et les spasmes qui secouent une société s'expliquent alors par la nature même des choses. Il faut attendre que l'organisme recouvre la santé de lui-même, et nul individu dans la société n'a le droit de s'attribuer en propre le mérite d'une telle amélioration.  Si l'on se place désormais au plan de l'État politique, mais toujours pour en examiner le fonctionnement, on remarquera que l'analogie se déplace sensiblement de l'image de l'organisme, à l'image plus précise du corps vivant, doté d'organes et non plus simplement de cellules.  Chez Rousseau par exemple (Du contrat social, livre III, chap. 11), la puissance législative est assimilée au coeur de l'État, c'est dire qu'elle en est la vie. La puissance exécutive est, elle, comparée au cerveau, ce qui indique qu'il donne le mouvement. Hobbes, dans les premières lignes du Léviathan, procède à des analogies comparables, mais en entrant dans un luxe de détails. On apprend ce qui tient lieu dans l'État, des articulations, des nerfs, de la mémoire, de la volonté, de la raison, etc.

« et l'histoire, Althusser).

Chacune ayant pour but de limiter les autres.

Il se forme ainsi une liaison entre les pouvoirs,qui définit une unité organique.Le jeu des comparaisons a pour intérêt de chercher la configuration dans laquelle le fonctionnement du corps socialcorrespond dans l'État, au meilleur régime.

Le corps humain agit d'autant mieux qu'il y a une parfaite coordinationentre les facultés qui interviennent dans la réalisation de son mouvement. Il s'agit d'obtenir le même résultat, en ce qui concerne le corps politique.L'image de l'organisme avait pour effet de diluer le pouvoir, répandu dans chacune des cellules.

Parler de corpssocial signifie au contraire qu'il existe une localisation et éventuellement un partage de l'autorité.

C'est ce à quoinous assistons dans un État.

Le pouvoir commande à la société comme un organe commande au corps d'agir.

Dansun organisme, le mouvement n'a pas d'origine précise, aucune cellule n'en est davantage la cause qu'une autre.L'organisme agit de lui-même.

Au lieu que, dans le corps, on peut assigner à un organe propre la fonction demotricité.

Dans un État, il existe des organes vitaux.

Si le coeur s'arrête, le corps social se décompose et secorrompt.Mais le plus remarquable tient au fait que ce qui commande, commande de l'intérieur.

Coeur ou cerveau, il y a là desorganes distincts, pourvus de fonctions spécifiques, qui commandent au corps, tout en étant des parties de cecorps.

Au sein d'un État, émerge une autorité qui se distingue du fonctionnement social mais qui ne lui est pas pourautant extérieure.3.

Le paradigme du corps social rend sensibles le fonctionnement et la structure d'un État républicain.

Au contraire,il sera plus éclairant de représenter un État despotique par une simple machine.

Kant suggère à ce propos, commesymbole, le moulin à bras dont le procédé évoque la situation d'un État dirigé par « une volonté singulière absolue»(Critique de la faculté de juger, § 59).Le paradigme mécanique de la machine attire notre attention sur l'existence d'un ressort qui serait comme le lieud'origine du mouvement, et à partir duquel il se communiquerait aux autres constituants.

Le despote de la sorte setient en dehors de l'État.

Il n'a plus rien de comparable avec le coeur qui prodigue la vie depuis le centre du corpssocial.Montesquieu ne cesse dans sa description du gouvernement despotique (De l'esprit des lois, livre III, chap.

10) defaire appel à des images physiques ou mécaniques.

La volonté du prince doit avoir son effet infailliblement, tous lesintermédiaires sont niés.

Le despote se démultiplie et atteint pour ainsi dire directement, les parties les pluséloignées.

Il n'y a pas de délibération, pas de dialogue, le temps se réduit au seul instant de la décision qui setransmet d'une façon quasi mécanique, comme un mouvement qui se propage immédiatement d'un élément à sesmultiples extrémités.De même la crainte, qui est le principe du gouvernement despotique (livre III, chap.

11), c'est-à-dire ce qui le faitagir, doit être pensée comme ce qui réduit la conscience à une nécessité mécanique.

La crainte est à la consciencece que le choc est à la physique.Bref, un État despotique ne ressemble guère à un être vivant, mais plutôt à une machine bien construite, qui tire saforce motrice de la volonté arbitraire d'un agent extérieur.Le fait est alors que l'on ne voit plus vraiment la ligne de partage entre une explication organique et mécanique.Dans les deux cas, nous assistons à un effacement du politique comme tel.

En effet, si la société fonctionne commeun organisme, il n'y a pas besoin d'un pouvoir politique, puisque les individus, d'eux-mêmes, pris dans le tourbillondes échanges, se conforment au mouvement du tout.

Si à l'autre extrémité, il n'y a plus que des rapportsmécaniques de puissance entre les hommes et le despote, la force proprement physique remplace le pouvoirpolitique.L'originalité du modèle organique doit donc être cherchée ailleurs que dans le point de vue statique, dans le point devue dynamique.

Et effectivement, nous savons tous qu'un organisme ne se forme pas de la même façon qu'unemachine.

L'évolution n'est pas la fabrication.

A la question du fonctionnement de l'État ou de la société, noussubstituons donc celle de l'origine.2.

La genèse de la société1.

Puisqu'une société présente, comme nous l'avons dit, un ordre, nous sommes portés à croire que cet ordrerésulte de la volonté des hommes.

Nous pensons alors qu'une société est le produit d'une élaboration humaine.

Onparlera d'elle, dans les termes d'une construction rationnelle.

En ce cas, la société est une organisation.Mais il existe des structures d'ordre qui n'ont pas pour origine l'intelligence.

Les organismes vivants constituent à cetégard le meilleur exemple d'émergence d'un ordre naturel.

Nous sommes victimes d'un préjugé commun qui veut quenous ne voyons de l'ordre que là où il vise un objectif particulier.

Ainsi la société nous semble obéir à une intentionprécise, à un plan spécifique.Or on peut montrer au contraire que la société s'apparente beaucoup plus à un organisme, qu'elle est donc un ordrespontané, c'est-à-dire ni voulu ni même conçu.

La société s'organise d'elle-même sans que nul ne l'ait expressémentdécidé.En évoquant ce processus d'auto-organisation, on peut se demander s'il est encore pertinent de voir dans la notiond'organisme une simple image.

L'ordre social n'est peut-être pas un ordre entièrement naturel, mais il n'est pas nonplus un ordre artificiel.

Il se situe pour ainsi dire entre les deux.

Il naît et se développe comme un organisme, maistout en même temps, touche à l'intelligence.

C'est donc qu'il y a une espèce de continuité entre l'évolution de la vieet la genèse de la société.

La vie se communiquerait ainsi de l'organisme le plus simple, à l'homme, jusqu'à sonachèvement, la société.

L'évolution sociale prolongerait en quelque sorte l'évolution de la vie.Au fond, il n'y a rien d'étonnant à ce que la société soit comme le produit d'un ordre évolutif.

Les langues en sont unexemple frappant.

Elles naissent spontanément, connaissent un progrès naturel, elles sont douées de vie, au senspropre.

On parle de langues vivantes et de langues mortes.

Enfin on ne crée pas par décret une langue; l'usageprécède la fixation des règles dans une grammaire.De la même manière, on rejettera cette idée que l'on puisse construire un système social d'un seul jet.

Rien n'est. »

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