Devoir de Philosophie

« La science n'est pas seulement une connaissance; elle est aussi une éducation. » Expliquez et discutez ce jugement d'Émile Boutroux

Publié le 20/03/2004

Extrait du document

Quant à la connaissance, on ne peut guère la définir, mais cette définition est inutile, car aucune expérience ne nous est plus familière que celle-là. Il ne sera pas inutile, au contraire, de préciser la signification du mot « éducation ». D'après l'étymologie, particulièrement éclairante dans le cas, « éduquer » (« ducere e ») consiste à faire sortir quelqu'un de l'état dans lequel il se trouve pour l'élever (synonyme de « éduquer ») à un niveau supérieur ; ou encore, l'éducateur a pour mission de faire sortir de ceux qui lui sont confiés tout ce que leur nature recèle de richesses latentes, de les aider à actualiser tout ce qu'il y a en eux de virtuel. Ainsi, l'éducation a pour but de faire éclore les valeurs véritables, de développer l'individu dans le sens de l'humain : son domaine propre est celui des vertus morales. Sans doute, on parle parfois d'éducation intellectuelle ; mais cette éducation consiste moins à faire acquérir à l'esprit brillant et pénétration qu'à l'amener à bien penser, c'est-à-dire à penser avec un religieux respect de la vérité et en prenant toutes ses assurances contre le danger d'erreur. C'est avant tout l'homme moral que forme l'éducation. C'est ordinairement l'instruction, et non la science ou la connaissance que l'on oppose à l'éducation. L'instruction procure un certain bagage de connaissances utiles, mais qui restent presque aussi extérieures à celui qui les possède qu'une propriété foncière ou des biens mobiliers : ce n'est qu'un « avoir ». L'éducation, au contraire, pénètre et transforme jusqu'au plus intime de l'individu : elle donne un « être » nouveau. B.

« II.

DISCUSSION Pour répondre à cette question et déterminer la valeur éducative de la science, nous distinguerons la sciencecomme moyen et la science comme fin. A.

La science comme moyen. — II ne faut pas se payer de mots, l'immense majorité des gens instruits ont acquis leurs connaissances, non par amour de la science, mais pour parvenir, grâce à leur savoir, au résultat qu'ilsdésiraient ; principalement pour obtenir le diplôme qui ouvrait une carrière ambitionnée.

Ce genre de science neprésente pas une grande valeur éducative.Le savoir, en effet, n'augmente pas la valeur morale de l'homme.

Cette assertion est évidente si l'on s'en tient auxdisciplines qui réalisent le mieux la notion de science : les mathématiques, la physique et la chimie.

Mais elle restefoncièrement vraie quand on considère les sciences qui peuvent être utiles au moraliste et qu'on appelle lessciences morales et la morale elle-même.

Sans doute, l'étude de ces dernières disciplines peut aider à se faire unemeilleure conception de la vie et à prendre une conscience plus nette du devoir.

Mais la connaissance du devoir nesuffit pas à rendre meilleur ; au contraire, quand elle ne passe pas en acte, elle constitue une circonstanceaggravante qui, dans l'échelle des valeurs morales, fait descendre celui qui sait au-dessous de l'ignorant.Reconnaissons-le toutefois, si le savoir lui-même est moralement neutre, les exercices par lesquels il s'acquiert ontune valeur éducative indiscutable : ils apprennent à dominer ses caprices et à se maîtriser, ils habituent à s'adonnerà une tâche suivie, on y acquiert la tonifiante expérience de la joie qui accompagne le sentiment du travail bienfait...

Mais la valeur éducative de ces exercices ne vient pas de ce qu'ils ont la science pour objet, et elle n'est pasle privilège de l'étude : tout travail est éducatif, celui de l'apprenti qui se familiarise avec les techniques de sonmétier, autant ou plus que celui de l'écolier qui prépare un examen.On objectera peut-être que l'étude est plus désintéressée et, par là, plus éducative, car l'étudiant cherche à savoiret à comprendre, tandis que l'apprenti ou l'ouvrier ne songent guère qu'à gagner leur vie.

Mais cette oppositionsimpliste est d'une partialité criante : il ne manque pas de travailleurs manuels qui aiment le beau travail pour lui-même et n'admettent aucune imperfection dans leur oeuvre, leur négligence ne devrait-elle avoir aucune suitedésagréable pour eux ; ils sont légion, d'autre part, les écoliers dont l'application est commandée par l'ambition d'uneplace de premier, les étudiants dont l'unique idéal est une sinécure bien rétribuée.

La valeur morale dépendessentiellement de l'intention ; or des intentions fort diverses peuvent inspirer le travail destiné à accumuler uncertain savoir.On ne voit donc pas que la science, quand elle est cherchée comme moyen, présente une valeur éducative biensupérieure à celle de nombre d'autres occupations professionnelles. B.

La science comme fin.

— La science, il est vrai, peut être désirée pour elle-même et, de moyen, se transformer en fin.

C'est ce qui arrive lorsque l'étudiant, une fois formé par les exercices auxquels il s'est astreint pour obtenir lachaire convoitée, continue ses recherches pour satisfaire son désir de plus savoir et de mieux comprendre.

A ceniveau de culture, la science n'est-elle pas une éducation ? II faut le reconnaître, la méthode à laquelle doit s'astreindre le chercheur comporte des exigences hautementéducatives.

D'après Goblot, l'esprit scientifique est « composé surtout de qualités morales », dont les plusimportantes sont: la constance, la probité et le désintéressement.De plus, le souci de comprendre et la réflexion sur les grands problèmes qui se posent au penseur élargissentsingulièrement l'esprit et même le coeur qu'ils préparent aux projets généreux.Mais lorsqu'elle atteint ce stade, la pensée déborde le domaine propre de la science pour atteindre celui de laphilosophie, non pas d'une philosophie qu'on pourrait appeler technique ou professionnelle et qui se réduit à ladiscussion de quelques problèmes d'école, mais d'une philosophie ouverte à tout ce qui est humain.

Or, biensouvent, la science se présente dans des cadres d'une étroitesse qui la rend moins éducative que le travail d'uncontremaître ou d'un paysan : il est des savants spécialisés dans un domaine sans ouverture sur les grandsproblèmes de la vie, que leur passion d'augmenter leur savoir classe au niveau de collectionneurs inoffensifs, maisqu'on ne songe certes pas à proposer comme modèles. Conclusion. — Ainsi, même prise comme fin, la science n'assure pas la formation de l'homme qu'on appelle « l'éducation ».

Elle suppose une autre fin qu'elle peut sans doute aider à découvrir, mais qu'elle ne remplace pas.Cependant, pour celui qui possède déjà cette fin et entrevoit un idéal à réaliser, la science est un moyen d'unegrande efficacité éducative.

C'est pourquoi, tout en refusant de voir en elle une éducation, nous la tenons pour unprécieux instrument éducatif.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles