La science est-elle nécessairement déterministe ?
Publié le 12/10/2005
Extrait du document
«
II — Science et déterminismea)Si devant n'importe quel phénomène naturel l'esprit a tendance à se demander « pourquoi », parvenu à la maturité scientifique, il réduit ses exigences.
Il cherche seulement « comment » se produisent les phénomènes, autrement dit selon quelles lois, dans quel ordre.
La loi est le « rapport nécessaire entre les phénomènes ».
On a dit que l'idée de loi naturelle est « tombée du ciel sur la terre » ce qui signifie que l'idée de loi vient de l'astronomie.
C'est en effet ans le domaine de l'astronomie qu'on s'aperçoit d'abord que les phénomènes naturels se produisaient d'une façon ordonnée, régulière, ce qui permit de prévoir exactement certaines manifestations comme les éclipses.
Citonspar exemple la première loi de Kepler énoncée en 1609 dans son « Astronomia nova » : « chaque planète décrit dans le sens direct une ellipse dont le soleil occupe un des foyers ».
Le génie de Galilée a consisté à introduire l'idée de loi en physique.
Galilée ne se demande pas pourquoi les corps tombent mais comment ils tombent.
Autrement dit il décrit la chute des corps par une formule algébrique, ce qui permet de calculer, par exemple, un corps étant lâché dans le vide à l'instant T 0 ce que sera sa vitesse à l'instant T 1.
La loi a une grande importance pratique et technique puisqu'elle permet de prévoir.
Elle rend l'univers intelligible puisqu'elle enchaîne les phénomènes dans un réseau d'équations mathématiques.
Le principe du déterminisme actuel revient à dire que « l'apparition d'un phénomène est strictement déterminée par des conditions d'existence bien définis.
Le phénomène ne se produit que si elles sont réalisées mais alors il se produit nécessairement. » « L'état présent du système de la nature est évidemment une suite de ce qu'il était au moment précédent, et, si nous concevons une intelligence qui, pour un instant donné, embrasse tous les rapports des êtres decet Univers, elle pourra déterminer pour un temps quelconque pris dans le passé ou dans l'avenir la position respective, les mouvements, et généralement les affections de tous ces êtres.
»Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces de l'univers et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse,embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et l'avenir comme le passé seraient présents à ses yeuxLAPLACE.
b) Formalisation mathématique et capacité de prédiction.
Dans les sciences physiques, les théories cherchent à expliquer, de la manière la plus unifiée et avec la plus grande précision possible dans le langage mathématique, l'univers.
ainsi, par exemple, la théorie deNewton réalise l'unification des lois planétaires de Kepler et de la loi de la chute des corps de Galilée , expliquant le trajet elliptique des planètes autour du Soleil comme une chute indéfiniment retardée.
Cette théorie rend compte de phénomènes divers comme la variation de la pesanteur selon la latitude ou encore le mouvement des marées. Galilée est un savant du XVI ième siècle, connu comme le véritable fondateur de la physique moderne, et l'homme auquel l'Inquisition intenta un procès pour avoir soutenu que la Terre tournait sur elle-même et autour du soleil.Dans un ouvrage polémique, « L'essayeur », écrit en 1623, on lit cette phrase : « La philosophie [ici synonyme de science] est écrite dans ce très vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux –je veux dire l'univers- mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendrela langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit.
Or il est écrit en langage mathématique et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figures géométriques, sans lesquels il est absolumentimpossible d'en comprendre un mot, sans lesquels on erre vraiment dans un labyrinthe obscur .
» Dans notre citation, la nature est comparée à un livre, que la science a pour but de déchiffrer.
Mais l'alphabet qui permettrait de lire cet ouvrage, d'arracher à l'univers ses secrets, ce sont les mathématiques.
Faire de la physique,saisir les lois de la nature, c'est d'abord calculer, faire des mathématiques.
Galilée est le premier à pratiquer la physique telle que nous la connaissons: celle où les lois de la nature sont écrites sous forme d'équations mathématiques, et où les paramètres se mesurent.Pour un homme du vingtième siècle cette imbrication de la physique et des mathématiques va de soi, comme il semble évident que nous devons mesurer et calculer les phénomènes observés.
Pourtant, c'est une véritablerévolution qui se manifeste dans ces lignes : elles signent la fin d'une tradition d'au moins vingt et un siècle.
La tradition inaugurée par Aristote , et que Saint Thomas a christianisé au treizième siècle.
Pour comprendre la portée de cette révolution qui manifeste et renforce une véritable crise de civilisation, il faut d'abord exposer la vision du monde et des sciences qui prédominait jusqu'à Galilée.Koyré a magnifiquement résumé le changement du monde qui s'opère entre le XVI ième et le XVII ième : on passe du « monde clos à l'univers infini ». Pour les anciens, le monde était fini, comparable à une sphère, dont le centre était la Terre, immobile au centre du monde, et la circonférence les étoiles fixes.
L'espace est non seulement fini, clos, achevé, mais parfaitementordonné.De plus, les anciens séparaient ce monde en deux zones : le supralunaire (au-dessus de la Lune), et le sublunaire (au-dessous de la Lune).
Ils croyaient que le monde supralunaire était parfait, immuable, car on observe à l'oeil nuque le cours des astres est régulier, et toujours identique, et l'un ne peut voir aucun accident, aucun changement à la surface des étoiles.
Par contre, sur Terre, tout change, tout se modifie constamment : les choses apparaissent,se transforment et meurent.
Tout est dans un perpétuel changement.
Notre monde était considéré comme celui de la génération et de la corruption, par opposition à celui des astres.C'est ainsi qu'on en arrivait à penser une hiérarchie et une imitation d'un monde à un autre.
Notre monde imparfait et changeant tentait d'imiter le caractère incorruptible et parfait du monde des étoiles.
Par exemple, si l'individudoit mourir, en se reproduisant il perpétue l'espèce.
L'individu meurt mais l'espèce est immortelle.
Se reproduire revient à tenter d'imiter, autant qu'il se possible, l'immortalité du monde supralunaire.On a donc un monde orienté de façon absolue.
Non seulement la Terre est le centre du monde, mais chaque chose a sa place naturelle, chaque élément son lieu naturel.
Ainsi la pierre est attirée par la terre, et y retombera toujourssi on la lance, ainsi le feu « monte » vers son lieu naturel, l'éther.
Cette vision du mode est celle d'un cosmos, clos, achevé, hiérarchisé.
Chaque chose, dont l'homme, y a sa place et sa fonction. Enfin, cette vision, qui est celle que les contemporains de Galilée reçoivent d' Aristote , interdit que l'on fasse de la physique mathématique.
La physique s'occupe des corps concrets & naturels.
La mathématique s'occupe d'objets abstraits.
On ne trouve pas sur Terre d'objets parfaitement sphériques comme ceux qu'étudient les mathématiques, on ne trouve pas dans la nature où tout est en trois dimensions de cercle censé se situer dans un espaceà deux dimensions, puisque le cercle mathématique n'a pas d'épaisseur.Avec les découvertes de Galilée , tout change.
Galilée est le premier à avoir l'idée de pointer la lunette récemment découverte sur le ciel.
Il découvre des tâches solaires, des volcans et des cratères lunaires, et montre que la voie lactée est faite de milliers d'étoiles.
C'est donc que le monde supralunaire n'est pas parfait, immuable, incorruptible.
Ces cratères et ces tâches sont le signe qu'il y a changement, génération & corruption partout dansl'univers.Galilée est le premier à formuler correctement la loi de la chute des corps, à calculer le rapport de la distance parcourue par un objet qui tombe, le temps de la chute et sa vitesse.
Il montre alors deux choses : Ø Il n'y a pas de lieu naturel des corps, la notion de mouvement est relative à la place et au mouvement de celui qui observe.
Par exemple si un marin en haut d'un mât laisse tomber une pierre sur le bateau, il verra la pierretomber en ligne droite.
Mais un observateur sur un pont verra la pierre tomber suivant une parabole.
Ou encore si je suis dans un train, j'ai l'impression d'être immobile et que les objets hors du train se meuvent ;Ø On peut exprimer le mouvement des corps et prévoir leur chute grâce à une formulation mathématique.
Les mathématiques peuvent servir de « langage » pour décrire la réalité concrète des corps physiques.
Enfin, Galilée en vient à soutenir que Copernic avait raison : la Terre n'est pas au centre du monde ; elle n'est pas immobile.
C'est le soleil qui est au centre du monde, et la Terre tourne autour de lui et sur elle-même.
De plus, le monde n'est certainement pas fini, mais infini.
Avec toutes ces découvertes, c'en est terminé du monde tel que l'Antiquité puis le Moyen-Age se le représentaient.
Galilée ouvre une crise extrêmement grave : toute une vision du monde s'écroule.
L'homme perd sa place au centre du monde.
Il n'a plus de fonction définie au sein du monde hiérarchisé et fini : il est sur une planète comme une autre, perdu dans une infinité.
Il n'a plus de monde à imiter : la nature n'est plus qu'un livre froid,désenchanté, accessible à l'abstraction mathématique.Pour les anciens, le monde était « plein de dieux » (Héraclite ), pour les chrétiens médiéval, il chantait la gloire de Dieu par sa beauté, son ordre, sa perfection.
Pour les savants de XVII ième siècle, il est « écrit en langage mathématique », dans la froide abstraction des figures géométriques.
Il ne parle plus au coeur de l'homme, il ne l'entretient plus de la gloire de Dieu, il faut, au contraire, péniblement le déchiffrer grâce à la langue la plus rationnelle et la plus glacée qui soit : les mathématiques.
Un accusateur de Galilée le dira ; si celui-ci a raison, nous ne sommes plus le centre du monde mais « comme des fourmis attachées à un ballon » : des êtres insignifiants sur une planète comme les autres.Ce sont Descartes & Pascal qui tireront les conséquences philosophiques et théologiques de cette révolution dans les sciences.
Ce sont eux qui comprendront qu'il faut absolument redéfinir la place de l'homme dans ce monde infini et glacé où rien ne lui indique ni son lieu ni sa fonction.c) L'idée de loi et la notion de hasard.q L'idée de loi.Dans sa jeunesse, l'esprit humain est très ambitieux.
Les primitifs comme les enfants veulent connaître la cause, le principe créateur de tout ce qui est.
Ils voudraient répondre à la question pourquoi.
Parvenu à la maturité scientifique, l'esprit réduit ses exigences.
Il recherche seulement comment se produisent les phénomènes, autrement dit selon quelles lois, dans quel ordre. La loi est « rapport nécessaire entre des phénomènes ».
on a dit que l'idée de loi est « tombée du ciel sur la terre », ce qui signifie que l'idée de loi vient de l'astronomie.
C'est en effet dans le domaine de l'astronomie qu'on s'aperçut d'abord que les phénomènes se produisaient d'une façon ordonnée , régulière, ce qui permit de prévoir exactement certains phénomènes comme les éclipses.
Le génie de Galilée a consisté à introduire l'idée de loi en physique.
Galilée ne se demande pas pourquoi les corps tombent, mais comment ils tombent. A l'intérieur d'une relation « légale » entre deux phénomènes, la notion de cause retrouve un sens positif, un sens technique.
La cause c'est le phénomène sur lequel je dois agir pour produire un effet.
Si je donne une valeur déterminée à la « variable », une valeur déterminée de la « fonction » s'ensuit. La loi a une grande importance pratique et technique puisqu'elle permet de prévoir.
Elle rend l'univers intelligible puisqu'elle enchaîne les phénomènes dans un réseau d'équations mathématiques.
En nous permettant d'embrasser un grand nombre de phénomènes dans une formule simple, la loi réalise une précieuse « économie de pensée ». Mais la loi ne prétend pas apporter une intelligibilité totale.
Elle ne nous donne pas le secret des liaisons qu'elle exprime entre les phénomènes.
La science n'est pas une métaphysique.
Elle constate qu'il y a des relations constantes entre les phénomènes, elle s'efforce de traduire ces relations dans le langage mathématique le plus précis.
La science se contente de poser le principe du déterminisme qui revient à dire que « l'apparition d'un phénomène est strictement déterminée par des conditions d'existence bien définis.
Le phénomène ne se produit que si elles sont réalisées, mais alors il se produit nécessairement ». Le principe selon lequel les mêmes « causes » (au sens d'antécédents constants) produisent les mêmes « effets » paraît satisfaisant pour la raison (principe d'identité).
Cependant pourquoi tels ou tels phénomènes sont-.
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