LA SCIENCE DEVANT LES IDÉES DE DESTIN ET DE HASARD ?
Publié le 14/03/2004
Extrait du document
«
de coups les conditions variables avec chaque expérience (position de la pièce au départ, angle avec le sol àl'arrivée) s'annulent et le pourcentage des résultats ne dépend plus que de ce qui est constant dans toutes lesexpériences, à savoir le nombre de faces de la pièce.
Au jeu de pile ou face j'ai une probabilité de 1 /2 de gagner (laprobabilité étant par définition le rapport du nombre de cas « favorables » au nombre de cas « possibles »).
Cedéterminisme statistique ne serait pas observé si chaque coup n'était pas, en ce qui le concerne, déterminé.
Ce quenous appelons le « hasard » est donc pure ignorance, l'ignorance subjective d'un déterminisme objectif.
Le hasardc'est l'inconnu, l'imprévisible.
C'est une lacune dans mon savoir, mais dans l'univers ce n'est rien.
Objectivement lehasard n'est rien.Pourtant Cournot rétorque qu'il y a bien dans le hasard quelque chose de réel.
« Une tuile tombe d'un toit, que jepasse ou que je ne passe pas dans la rue ; il n'y a nulle connexion, nulle solidarité, nulle dépendance entre lescauses qui amènent la chute de la tuile et celles qui m'ont fait sortir de chez moi pour porter une lettre à la poste.»La chute de la tuile sur ma tête est pour tout le monde un « hasard ».
Ce hasard n'est pas l'absence de causes,mais il est autre chose qu'une ignorance ; car il y a encore hasard « pour celui qui connaît les causes qui ont faittomber la tuile et celles qui m'ont fait sortir de chez moi ».
Et Cournot conclut : « Le caractère de fortuité ne tientqu'au caractère d'indépendance des causes concourantes ».
Cournot fait donc une place à la contingence ; toute lathéorie repose sur l'idée que les séries de phénomènes déterminés sont indépendantes les unes des autres ; enlangage leibnizien on pourrait dire que dans chaque série causale l'ordre des successions est déterminé, les partiesdu temps sont liées entre elles, les parties de l'espace au contraire, considérées comme l'ordre des coexistences, nele sont point.
Ainsi la science, sans se renier elle-même, reconnaîtrait l'objectivité du hasard, en admettant ce queLord Balfour nomme la structure « fibreuse » de l'univers, c'est-à-dire la multiplicité de séries causales nonsolidaires.Cependant il est aisé de montrer que ce que Cournot appelle hasard ne correspond pas exactement à ce que lelangage courant met sous ce mot.
La rencontre de deux déterminismes indépendants ne suffit pas à définir unhasard.
Supposons que la tuile détachée par le vent tombe non sur ma tête, mais sur un petit caillou gris qui setrouve sur la chaussée.
Personne ne songera à invoquer le hasard et pourtant les causes qui ont amené le caillougris à un tel endroit du trottoir sont indépendantes des causes qui ont déterminé la chute de la tuile.
Bien mieux, siquelqu'un parlait encore de hasard en ce cas ce ne serait pas en fonction de la rencontre de la tuile et du caillou,mais en fonction de moi, qui suis passé par là un peu plus tôt ou un peu plus tard.
On dira qu'il s'en est fallu de peuque je ne sois atteint, on dira que j'ai eu de la chance.
Ma chance » c'est ici la non-rencontre des deux sériescausales ! L'élucidation du hasard relève donc ici de la psychologie, il n'y a de hasard, note très justement Bergson,que « lorsqu'un intérêt humain est en jeu ».Notons d'ailleurs que même ici la notion de « hasard », qu'il faut bien distinguer de la «chance» ou de la «guigne»,n'est au fond que purement négative.
Elle est la négation non pas du déterminisme --nous nous sommes efforcés dele montrer — mais précisément du Destin, ou de la Providence, ou de la Finalité, bref de toute Volonté surnaturellequi aurait présidé au concours des séries causales.
En effet, dans un premier mouvement, nous imaginons que lachute de la tuile sur le passant pourrait bien avoir été combinée intentionnellement, par le Destin.
Tout se passe eneffet comme si c'était dans le but de faire mourir le promeneur que la tuile était tombée à ce moment-là.
Comme ditBergson, «l'effet ayant une signification humaine, cette signification rejaillit sur la cause et la colore pour ainsi dured'humanité ».
Mais si nous en restons là nous parlerons de « chance», de « guigne», de « providence», nous neparlerons pas de « hasard».
La « mentalité primitive» qui, précisément, en reste là, ignore le hasard : « Qu'unepierre tombe et vienne écraser un passant, c'est qu'un esprit malin l'a détachée.
Il n'y a pas de hasard ! Qu'unhomme soit arraché de son canot par un alligator, c'est qu'il a été ensorcelé, il n'y a pas de hasard ! » De même lachance ou la guigne sont des divinités féminines et capricieuses qui passeraient leur temps à nous jouer des toursle « guignon » est un gnome de sexe mâle, malicieux, et au demeurant assez bonhomme.Quant au hasard, il est en quelque sorte la négation, le refus de tous ces dieux grands ou petits.
C'est un fantômesans sexe, c'est le fantôme du destin, un concept neutre, un résidu, une forme vide.
Si devant l'événement jerejette l'hypothèse du destin, je dirai« Bah, ce n'est qu'un hasard » autrement dit : il n'y a rien de voulu, de concerté d'avance dans ce qui s'est passé.Nous retrouvons ici l'ancienne théorie d'Aristote ; le hasard est une rencontre accidentelle qui ressemble à unerencontre intentionnelle (le créancier qui rencontre par hasard son débiteur, le trépied qui retombe fortuitement- surses trois pieds).
Tarde dira que le hasard c'est « l'involontaire simulant le volontaire » et Bergson conclura: « Lehasard est le déterminisme qui se comporte comme s'il avait une intention ».
Le hasard réduit le destin à un «comme si », à une apparence.
Le hasard n'est rien, nul ne « croit » au hasard.
Parler de hasard c'est toutsimplement cesser de croire au destin; le hasard manifeste seulement l'effondrement d'une mentalité magique,animiste, anthropomorphique, qui se trouve réduite au fantôme d'un « comme si ».
Le principe du déterminismeappartient, lui, à une autre mentalité ; il appartient aux démarches rationalistes de l'univers scientifique..
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