La science découvre-t-elle son objet ou construit-elle son objet ?
Publié le 11/03/2004
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Est-ce au titre d'un fait que l'esprit se contenterait d'enregistrer ? Est-ce sous la forme d'une connexion universelle et nécessaire entre phénomènes, d'une structure intelligible du réel que la science découvrirait sans les produire ? Nous discuterons ces deux hypothèses en dénonçant le mythe du fait brut, et en montrant que la théorie scientifique ne peut révéler aucun «en soi« des choses. La science découvre-t-elle son objet ou construit-elle son objet ?
[I. La science comme découverte.]
[1. La thèse du sens commun et ses difficultés.]
On parle des progrès de la science comme d'autant de «découvertes«. À la différence de l'invention où le sujet crée un objet qui n'existait pas avant lui, la découverte implique la préexistence de l'objet par rapport à l'acte par lequel nous en prenons connaissance. L'homme de science ne ferait ainsi que dévoiler, rendre manifestes des lois qui, depuis toujours, gouvernent le monde.
- Bien lire le sujet : il convient, pour comprendre le sens de la question, d'analyser avec précision les termes de «découverte« et de «construction«. L'idée de «découverte« implique que ce qui est découvert préexiste à l'acte par lequel l'esprit en prend conscience. L'idée de «construction« met au contraire en valeur le rôle actif de l'esprit : le scientifique ne trouve pas un objet tout fait; il l'élabore lui-même. Quant au terme d'«objet«, il désigne, en général, ce sur quoi porte la science, son contenu (phénomènes, faits, lois, théories...).
- Un point de départ à discuter : il faut ici critiquer l'idée naïve selon laquelle le scientifique se contenterait de mettre au jour des relations existant de toute éternité. Le discours vrai serait le discours qui se bornerait à dire ce qui est tel que c'est, qui s'effacerait totalement devant son objet. Il conviendra de faire la part des choses dans cette croyance : on s'apercevra que si la science a un fondement hors de l'esprit humain, celui-ci a néanmoins un rôle actif à jouer.
- Recherche du problème : s'il est clair que la science n'invente pas son objet, il faut, en revanche, préciser sous quelle forme celui-ci lui préexiste. Il s'agira donc, en analysant les différentes étapes de la démarche scientifique, de repérer la part respective de découverte et de construction. La science apparaîtra alors comme un composé d'activité et de passivité : elle ne découvre son objet que dans la mesure où elle le construit.
«
[II.
Le fait scientifique est construit.]
La science repose sur des faits et c'est en quoi elle est découverte.
Ces faits, cependant, doivent être interprétés.Comme le note Auguste Comte, il y a une grande différence entre la simple érudition qui consiste à emmagasiner desdonnées et l'esprit scientifique qui cherche à les ordonner.
La science est donc construction en ce que, à partir dudonné empirique, elle élabore des lois, bâtit des théories.
Toutefois, il faut bien se garder de dissocier ces deuxopérations: il n'y a pas d'un côté l'accumulation du matériau et de l'autre sa mise en oeuvre.
L'activité constructricede l'esprit est déjà présente dans l'élaboration du fait lui-même.
[1.
Analyse de l'observation.]L'analyse de l'observation le montrera.
En apparence, l'esprit y est purement passif; la vertu du bon observateur estmême son absence de préjugés, sa disponibilité absolue à l'égard du phénomène qu'il étudie.
Toutefois décriresuppose des choix : tout fait n'est pas pertinent, il faut donc éliminer, schématiser, dégager l'essentiel dusecondaire, repérer la forme dans la confusion du détail, faire abstraction des variations individuelles pour saisir lephénomène dans toute sa généralité.
«Décrire ce que l'on voit, passe encore; voir ce qu'il faut décrire, voilà le plusdifficile» remarque justement l'historien Marc Bloch.
C'est pourquoi l'observation suppose un regard exercé mais le«coup d'oeil» ne fait que traduire la richesse de l'esprit de l'observateur; l'acuité de notre sens de l'observationexprime la variété des points de comparaison dont nous disposons, la pertinence des questions auxquelles nouscherchons réponse.
Il arrive que nous ne voyions pas ou que nous négligions ce que nous voyons, faute d'avoir poséla bonne question ou d'avoir relié le fait aperçu à d'autres connaissances qui en auraient manifesté l'importance.Comme le dit Bachelard, «l'observation est toujours polémique; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, unschéma préalable, un plan d'observation».
Cette anticipation de l'esprit sur le phénomène, cette antériorité dupenser sur le voir, pourra aussi prendre la forme d'un travail préparatoire.
À la manière d'un photographe animalier, lescientifique choisit un bon poste d'observation, écarte les obstacles qui gêneraient la prise de vue, rehausse sonsujet par un éclairage approprié, met de son côté les atouts d'une bonne technologie.
C'est ainsi qu'avant de collerson oeil à l'oculaire du microscope, le biologiste prépare ses coupes, utilise des réactifs pour mettre en évidence cequ'il veut observer...
De même, l'historien quantitativiste ou le sociologue ne découvrent des relations entre lesvariables sociales que parce qu'ils ont longuement organisé leurs séries statistiques en vue d'une telle observation.Au total, en raison de la part active jouée par le sujet tant dans la phase de préparation que dans la «lecture»proprement dite de l'objet, on devra dire que le fait observé est construit ou reconstruit par l'observateur.L'observation scientifique marque en outre une rupture par rapport à l'observation ordinaire qui en accroît lecaractère construit.
Elle est liée à la présence d'instruments.
Ceux-ci, tels le microscope ou le télescope,permettent d'accroître nos facultés naturelles.
De multiples appareils de mesure assurent en outre le passage capitald'une impression qualitative à une donnée quantitative.
Le nature n'est pas passivement observée, elle est plutôtpiégée à travers une technologie appropriée.
Le rôle actif de l'esprit est donc manifeste : l'homme fabrique les outilsde l'observation, il élabore auparavant les théories dont les instruments ne seront, au dire de Bachelard, que lamatérialisation.
L'instrument est en effet moins le prolongement naturel de la perception qu'il affine ou complète quel'application pratique de théories scientifiques.
De plus, le passage au quantitatif substitue au monde vécu ununivers de chiffres qui prépare une formalisation mathématique.
Nous avons dit que la science était découverte enraison de sa dépendance à l'égard de la perception.
Or, toute l'histoire des sciences tend à réduire au maximuml'influence de cette dernière.
L'ouverture béante de la conscience sur le monde se transforme en un contactponctuel : aux nuances infinies, aux subtiles variations qualitatives de la réalité perçue, au flux de la duréeintimement vécue par la conscience, elle substitue la lecture d'un résultat sur un appareil de mesure.
La sciencereconstruit donc, à la place des qualités sensibles de la réalité immédiate, un univers abstrait de relationsquantitatives.
En cela se manifeste l'emprise que la science, comme la technique à laquelle elle est étroitement liée,confère au moi sur le monde.
Ce dernier cesse d'être le lieu dans lequel l'homme habite et qui le précède, il devientle produit de sa propre activité.
[2.
Analyse de l'expérimentation.]L'observation n'est encore que le plus bas degré de l'expérience scientifique.
C'est avec l'expérimentation que lecaractère construit de l'objet de la science devient pleinement manifeste.
Le sujet cesse d'être spectateur pourdevenir metteur en scène: il n'attend pas que des événements naturels se produisent, il les provoque; il faitviolence à la nature, lui impose les mouvements qu'il souhaite.
Les phénomènes naturels sont beaucoup tropcomplexes pour être compris tels quels.
Il faut donc les simplifier, isoler les variables, fixer des conditions del'expérience pour en observer séparément chacun des paramètres.
C'est ainsi que, comme le note Kant, «Galilée fitrouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d'accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté».C'est ainsi que la table à coussin d'air permet une bonne approximation de la situation idéale où tout frottementserait supprimé.Une analyse plus précise de l'expérimentation nous montrera à quel point la découverte de résultats nouveaux estsuspendue à l'activité constructrice de l'esprit.
Dans l'Introduction à la médecine expérimentale, Claude Bernarddécrit l'expérimentation comme un aller-retour permanent entre la théorie et l'expérience.
L'observation d'un faitsuggère une hypothèse théorique.
À partir de celle-ci on conçoit un dispositif expérimental destiné à en tester lavalidité.
La réalisation de l'expérience procurera un nouveau matériau à observer et à exploiter sur le plan théorique.Le moment de l'enregistrement du résultat - qui est le seul qui à proprement parler mérite le nom de découverte -n'est donc pas séparable du reste du processus par lequel l'esprit construit - intellectuellement et matériellement -les conditions de la découverte.
La découverte présuppose donc toujours une question préalable.
Si Pascal.
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