La science a-t-elle son point de départ dans l'expérience?
Publié le 16/01/2005
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L'idéalisme transcendantal de Kant s'oppose aussi bien à l'empirisme qui affirme que toute connaissance vient de l'expérience qu'au rationalisme qui pose qu'on peut connaître en dehors de toute expérience.
Si l'expérience est le point de départ de toute connaissance, elle ne nous donne jamais rien qui soit universel etnécessaire.
Or connaître c'est utiliser des mots comme « nécessairement », « tous », « toujours » ou même « demain » qui ne dérivent pas de l'expérience même s'ils s'appliquent à elle.
Connaître ce n'est pas constater « j'ai vu tant de fois le soleil se lever » mais c'est juger « le soleil se lèvera demain » ou encore « dans des conditions de pression atmosphérique déterminées, l'eau entre nécessairement en ébullition à cent degrés ».
Connaître c'est donc dire plus que ce qui est donné dans l'expérience.
Kant affirme qu'un tel dépassement est rendu possible grâce à des formes a priori transcendantales, cad à la fois transcendantes (elles ne dérivent pas de l'expérience) et immanentes (elles ne se montrent que dans l'expérience).
Il y a les formes a priori de la sensibilité (espace et temps)et les formes a priori de l'entendement (concepts a priori comme le concept de cause).
L'objet est donné dans les intuitions sensibles, il est pensé parl'entendement et ses concepts.
Ce qui est donné dans la sensibilité (et dans ses formes a priori de l'espace et du temps), c'est la multiplicité des sensations (« un multiple intuitionné »).
L'entendement, de manière active, par sa puissance de liaison, prend en charge ce multiple, et en fait des représentations. Intuitions et concepts sont donc les éléments de toute notre connaissance de telle sorte que ni les concepts sans une intuition qui leur corresponde de quelquemanière, ni l'intuition sans les concepts ne peuvent fournir une connaissance.
Comme l'affirme Kant , « l'intuition sans concept est aveugle », « le concept sans l'intuition est vide ».
En affirmant l'existence de concepts a priori « sur lesquels tous les objets de l'expérience doivent nécessairement se régler et avec lesquels ils doivent s'accorder », Kant reconnaît l'effectivité d'une connaissance a priori, cad d'une connaissance antérieure à l'expérience et qui permet de fonder celle-ci. Mais cette connaissance n'est qu'une forme vide que seule l'expérience peut remplir. Notons que parmi les connaissances a priori sont pures celles qui ne contiennent aucun élément empirique.
Ainsi, par exemple, la proposition « tout changement a une cause » est une proposition a priori mais qui n'est pas pure car l'idée du changement ne peut venir que de l'expérience.
Le concept de cause, quant à lui, est a priori et pur.
Le rationalisme et l'empirisme se heurtent, dans leur tentative d'apporter unesolution au problème de l'origine des principes, à des difficulté insurmontables : lerationalisme ne peut rendre compte de l'accord du réel avec les principes innés dela raison sans recourir à l'intervention de Dieu ou d'une mystérieuse finalité ; l'empirisme ne saurait expliquer par les seules expériences qui sont contingentes,particulières et limitées, la nécessité et l'universalité des principes.[Leibniz a tenté d'élaborer une troisième solution faisant la synthèse des deux autres.
Selon lui, les principes sont innés mais ils n'existent en nous qu'entant que virtualités et seule l' expérience permet de les actualiser.
Les expériencessensibles ne nous donnent pas les principes, elles ne sauraient les prouver maiselles conditionnent leur acquisition.
Elles actualisent la connaissance,antérieurement virtuelle, des vérités nécessaires et universelles. ] Si l'on veut restaurer la certitude de la science, il faut que sa méthode parvienne à concilier la nécessité rationnelle et le caractère toujours en partiecontingent de l'expérience.
Ce sera l'une des préoccupation centrale de Kant .
Il s'efforcera de montrer comment les connaissances dignes de ce nom sot toujours leproduit d'une rencontre entre les données de l'expérience sensible et le travailconceptuel de l'entendement.
Ce dernier reçoit de l'extérieur, par le moyen de lasensibilité, une matière des connaissances sur laquelle il opère une mise en ordreconceptuelle dont la nécessité est interne à l'esprit.
Par exemple : les relations decausalité s'instaurant nécessairement entre les phénomènes de la nature ne renvoientpas forcément à un ordre des choses, mais à un ordre nécessaire de leur mode demanifestation à notre esprit.
La connaissance objective ‘est donc jamais connaissancedes choses en soi mais connaissance de l'ordre nécessaire (rationnel) desphénomènes.
Très schématiquement, on peut donc dire que Kant échappe ainsi à l'idéalisme du rationalisme pur .
La connaissance ne peut exister que dans le domaine de l'expérience possible ; au-delà, la raison « ratiocine », cad qu'elleraisonne à vide, elle outrepasse ses droits, comme le montre la « Dialectique transcendantale » de la « Critique de la raison pure » ; ainsi lorsqu'elle prétend démontrer l'existence d'un créateur qui ne peut être que postulée, car l'expériencen'en est pas possible.
Les idées de la raison ont une fonction unificatrice etsystématique ; la raison a également une fonction pratique ; mais c'est quand elleprétend connaître des objets transcendants (au-delà de l'expérience possible) qu'ellemérite de subir une critique. Mais Kant échappe aussi au scepticisme que semble entraîner l'empirisme : si la source matérielle de nos connaissances réside dans l'expérience, leur forme rationnelle les réinscrit dans l'ordre de la nécessité et de la certitude ; lesavant ne produit pas des théories au gré de sa fantaisie.
Ces théories scientifiquesrétablissent un ordre universel de la connaissance, car elles appliquent à la matière del'expérience la forme rationnelle de l'entendement ; il y a donc bien des lois de lanature.
Ni idéalisme, ni empirisme, le Kant isme laisse cependant subsister un problème redoutable : peut-on se résoudre à ce que la connaissance ne porte que surdes phénomènes, sans que les choses en soi soient jamais accessibles ? Hume a fait voler en éclats l'idée courante selon laquelle l'expérience et l'expérimentation valident les lois scientifiques.
Or le plus grand philosophe del'époque, Kant , est persuadé de la vérité de la physique de Newton, que l'on dit dérivée des observations.
Kant est par ailleurs sensible à l'argumentation de Hume ce qui le conduit à une contradiction.
« Je l'avoue franchement ce fut l'avertissement de David Hume qui interrompit d'abord, voilà bien des années, mon sommeil dogmatique… » Kant a compris qu'on ne peut fonder la vérité de la science sur l'expérience et se demande donc ce qui fonde la physique newtonienne.
Pouréchapper à cette difficulté, il invente l'une des plus ingénieuses trouvailles de laphilosophie.
Il fera ainsi selon ses propres termes sa « révolution copernicienne ». Si la théorie newtonienne ne repose pas sur l'observation, quel peut bien ê sonfondement ? se demande Kant .
Il aborde cette question en examinant en premier lieu le statut de la géométrie.
La géométrie euclidienne n'est pas fondée surl'observation, affirme-t-il, mais sur l'intuition que nous avons des relations spatiales.Or, dit Kant , la science newtonienne se trouve dans une situation analogue.
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Bien que confirmée par des observations, elle n'est pas forcément produite par cesobservations.
Ce sont au contraire nos propres manières de penser, nos efforts pourordonner les observations qui échafaudent notre appréhension scientifique.
Ce nesont pas les données sensibles, mais notre entendement de ces données,l'organisation du système d'assimilation que constitue notre esprit qui permettentl'élaboration des théories.
La nature telle que nous la connaissons, avec son ordre etses lois, est donc en grande partie le fruit des processus d'assimilation et de mise enordre propres à notre esprit.
Pour reprendre la formulation frappante qu'en a donnéeKant : « L'entendement ne puise pas ses lois dans la nature mais les lui prescrit.
» Kant explique ainsi l'expression de « révolution copernicienne » : Copernic , ayant découvert que la théorie des mouvements du ciel perfectionnée par Ptolémée (90- 168) ne permet aucun progrès, a rompu le nœud gordien en renversant, en quelque sorte, la façon de poser le problème.
Il a fait l'hypothèse suivante : ce n'est pas leciel qui tourne tandis que nous, observateurs, nous restons immobiles, ce sont lesobservateurs, la Terre, qui tournent tandis que le ciel reste immobile.
C'est d'unemanière analogue, déclare Kant , qu'il convient de résoudre le problème de la connaissance scientifique : comment une théorie exacte, comme la théorienewtonienne , est-elle possible et comment avons-nous pu la découvrir ? Renonçonsà l'idée que nous sommes des observateurs passifs qui attendons de la de la naturequ'elle imprime en nous sa loi.
Au cours du processus d'assimilation des donnéessensorielles, c'est nous, au contraire, qui leur imprimons de manière active, l'ordre etles lois émanant de notre entendement.
Le cosmos qui nous entoure porte la marquede l'esprit humain.
Copernic a privé l'homme de sa position centrale dans l'univers physique.
Kant généralise ce relativisme.
Il montre qu'il faut renverser le rapport entre l'esprit et la nature comme Copernic a renversé le mouvement entre la Terre et le Soleil.Cela ne s'applique bien sûr qu'au monde observable, le monde des phénomènes, eten aucun cas à celui des essences..
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