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La sagesse peut-elle être révolutionnaire ?

Publié le 11/10/2005

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b) La vie active est marquée par l'insatisfaction : que l'homme transforme la réalité montre assez que la réalité le laisse insatisfait. Aussi l'impatience peut même le gagner : il devient alors révolutionnaire, et force la marche des choses. De ce point de vue, la sagesse apparaît non pas tant comme de la prudence mais bien plutôt comme de la frilosité : le sage de ce point de vue est celui qui se tient à l'écart de la vie et qui passe pour un incapable, comme le montre Platon dans le célèbre portrait du philosophe dressé par le Théétète.II - Le refus de la sagesse au nom de l'actiona) Pour l'homme d'action, le sage est donc condamnable. Mais il y a pis : le sage ne se propose pas d'autre but que connaître et contempler. Or la contemplation suppose que son objet soit stable et permanent : le sage est donc essentiellement un conservateur, et c'est pourquoi Platon dit que le naturel du philosophe est celui d'un chien de garde (République, II). Allons même plus loin : le sage est en fait un réactionnaire. La contemplation étant postérieure à son objet, elle est une vision rétrospective d'un objet qui peut avoir disparu de la réalité : c'est ainsi par exemple que Platon fait la théorie de la Cité idéale au moment où la cité comme forme politique est dépassée par l'histoire.b) A l'inverse, le sage voit dans l'homme action une incapacité à considérer les problèmes dans toute leur généralité et à penser les conséquences de ses actes à long terme. La séparation de l'action et de la contemplation est alors complète, chacun s'enfermant alors dans la condamnation de l'autre, l'un au nom du savoir en tant qu'il est une libération de l'homme à l'égard des nécessités, l'autre au nom des besoins les plus urgents de la vie.

A première vue, l'idée de sagesse paraît incompatible avec l'idée de révolution. Si le sage, comme on l'entend souvent, est l'homme raisonnable, prudent et avisé, on ne voit pas ce qu'il peut avoir de commun avec le révolutionnaire passionné, pressé de renverser l'ordre établi. Pour parler comme Descartes, le premier change ses désirs plutôt que l'ordre du monde, le second change l'ordre du monde plutôt que ses désirs. Mais cette incompatibilité n'est peut-être qu'apparente : Socrate, « le plus sage des hommes «, n'a-t-il pas été condamné pour avoir répandu des idées subversives ? Il faudrait alors renverser les apparences : si l'idée de sagesse est l'idée d'une existence vraiment humaine dans un monde enfin raisonnable, alors elle est révolutionnaire à l'égard de ce monde qui n'est pas raisonnable. Dans ce cas, le sage n'est-il pas l'authentique révolutionnaire ? Et le révolutionnaire ne participe-t-il pas de la déraison qu'il prétend combattre ?

« En 1845, Marx écrit les « Thèses sur Feuerbach ».

La onzième précise que « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui importe, c'est de letransformer ».

Contrairement à ce que prétend une interprétation courante, il ne s'agit pas pour Marx de répudier la philosophie et le travail de réflexion, mais de le redéfinir, et de lui donner une nouvelle place, une nouvelle tâche.

Marx ne récuse pas la pensée, mais sa transformation en idéologie, son éloignement de la pratique. La onzième thèse clôt la série de note rédigées par Marx en 1845 qui constitueront le point de départ de la rédaction, avec la collaboration d' Engels , de l' « Idéologie allemande » (1846).

Ces thèses, qui ne sont pas initialement destinées à la publication, paraîtront après la mortde Marx à l'initiative de Engels , qui les présente comme un document d'une valeur inappréciable puisque s'y trouve « déposé le germe génial de la nouvelle conception du mode ». Etape décisive dans la maturation de la pensée de Marx , cet ensemble d'aphorismes, en dépit de son apparente limpidité, ne peut être compris indépendamment de ce qui précède et de cequi suit le moment de sa rédaction.

Nul texte, en ce sens, ne se prête davantage au commentaire,alors même, paradoxalement, que cette onzième thèse semble dénier toute légitimité à l'activitéd'interpréter. Formé à l'école de la philosophie allemande, lecteur de Hegel avant de devenir émule de Feuerbach (qui est un « matérialiste » au sens des Lumières), Marx construit sa propre compréhension du monde en « réglant ses comptes avec sa conception philosophique antérieure ». Le terme de « philosophie » désigne ici la représentation théorique dominante à son époque, qui fait de la transformation des idées la condition nécessaire et suffisante de la transformation du monde.

(Ce qui constitue une vision « idéaliste » de l'histoire et des rapports de la théorie à la pratique.) Brocardant ceux qui possèdent « la croyance en la domination des idées », Marx leur oppose l'affirmation que « les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent […] comme l'émanation directe deleur comportement matériel ». Là gît le fond du désaccord avec Feuerbach : si celui-ci affirme bien la nécessité de faire commencer la philosophie avec et dans la « non-philosophie », dans la vie réelle, il réduit celle-ci à l'existence individuelle d'un homme pensé de manière abstraite, coupé des rapports sociaux (et par suite restreint à sa dimension sensible). L'opération critique effectuée ici par Marx consiste à redéfinir la réalité humaine.

Il s'agit de rejeter la thèse de l'existence d'une nature humaine et de lui substituer l'analyse d'une réalité sociale complexe et structurée, où leshommes édifient historiquement leur individualité en « produisant leurs conditions d'existence ». Il s'agit donc de récuser une vue abstraite et éloignée du réel pour s'attacher à ce que sont les hommes concrets etleur évolution historique. La sixième thèse énonce que « L'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu pris à part, dans sa réalité, c'est l'ensemble des rapports sociaux. » Il ne s'agit aucunement, contrairement à ce que maintes lectures hâtives ou prévenues affirment, de réduire l'individu aux rapports sociaux, mais d'affirmer que l'essence humaine n'apas la forme du sujet pensé par la psychologie. Autrement dit, que la clé de la compréhension de la personnalité concrète ne se trouve pas dans la conscienceindividuelle.

Mais, à l'inverse, celle-ci ne se détermine singulièrement que dans le cadre de rapports sociaux qui luipréexistent et qui constituent de ce fait ses « présuppositions réelles », base de sa formation effective et point de départ de son intelligence véritable. On ne peut donc pas comprendre l'individu en l'isolant de la société dans laquelle il s'insère, travaille, etc.

Il faut aucontraire, pour saisir l'individu dans sa singularité, ne pas prendre pour base les illusions qu'il peut se faire sur lui-même, en ce sens qu'il est victime des préjugés de son temps et que « les idées dominantes sont les idées de la classe dominante ». Par suite, l'activité individuelle est essentiellement, constitutivement, sociale et ne peut en aucun cas être réduite àl'ensemble des perceptions sensibles de l'individu isolé et des représentations qui en dérivent : « La véritable richesse des individus réside dans la richesse de leurs rapports réels .

» Par suite encore, les formes de conscience, que Marx désigne du terme d'idéologie, n'ont pas d'autonomie mais bien une spécificité.

Car, si « ce n'est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience », il reste à expliquer historiquement l'apparente séparation et opposition entre la réalité matérielle et les représentationsque l'on s'en fait. Le problème n'est donc pas tant de récuser une philosophie qui s'invente un monde séparé et dédaigne les hommesréels, que de mettre au jour les conditions de possibilité d'une telle méprise, que de dégager les prémissesmatérielles d'une telle conclusion.

La réponse proposée dans « L'idéologie allemande » est la notion de division. »

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