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La répression des passions

Publié le 28/03/2015

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En changeant de niveau d'abstraction, on peut alors dire que la pathologie n'est pas une nosographie mais une sémiologie, c'est-à-dire une théorie des indices ou des vestiges, ou en tout cas elle devrait l'être pour rester homogène au niveau de manifestation des passions.

 

Nous sommes ainsi autorisés à négliger les prétentions indues à traiter de la passion comme d'une maladie : elle se présente plutôt comme un genre de vie que comme un trouble du vivant.

 

Les «moeurs« désignent en effet les habitudes de vie, ou encore elles exposent comment la vie se maintient en prenant des habitudes.

 

L'affectivité est en vérité une réactivité, qui dépend de la seule caractérisation de l'humain comme un être sensible : la sensibilité désigne seulement une capacité de fixation, et les techniciens qui ont choisi de nommer «sensibles« les pellicules photographiques comprenaient bien ce qu'ils faisaient.

 

La finalité méliorative de toute répression ne peut ainsi avoir son site d'exercice dans la faculté sensible.

 

Il s'ensuit aussi qu'il n'y a pas de lien nécessaire entre affect et tendance, qui sont les deux composantes formelles de la passion : ce n'est pas parce que je fixe une part de ce qui m'arrive par mes affects que ceux-ci tendent à se répéter.

 

Du reste, nous savons bien, par notre simple expérience vécue, que tes affects se manifestent sans qu'on puisse dire qu'ils sont à propos : nous pouvons pleurer ou rire dans des circonstances qui le commandent si peu que même leur retour ne provoquera pas ta répétition des mêmes affects.

 

Cette conception s'orienterait à terme vers un véritable nihilisme éducatif, si elle n'était complétée par le second versant du projet apologétique, qui fonde dans la perspective de la grâce toute possibilité de salut.

 

En tout cas, le projet immanent à la doxa éducative (il revient à chacun, pour peu qu'il soit bien guidé, de se mettre en mesure de réprimer ses passions, sans quoi toute communauté devient invivable) est frappé dans la logique pascalienne d'une insuffisance essentielle.

 

Le statut d'être passionnel est au contraire ta condition d'une perception correcte du projet chrétien, du moins dans son accentuation janséniste.

 

L'expérience passionnelle est donc précieuse en ce qu'elle permet à ta créature d'entrevoir son propre néant, de sorte que tout traitement de la passion qui repose en son fond sur la conviction qu'elle est «supprimable« relève essentiellement d'une pratique païenne.

 

La thématique bien connue du «divertissement« est ainsi le nom pascalien de la réaction à la pensée de cette épreuve, qui se formule à son terme comme la découverte du «néant de notre condition«.

 

Une possible répression efficace des passions accréditerait la possibilité que les humains se libèrent d'eux-mêmes sans Dieu, et c'est pourquoi la critique de Pascal se déploie toujours sur deux fronts simultanés, laissant ainsi entendre peu à peu que les deux adversaires n'en font en vérité qu'un.

 

D'une part le jansénisme pascalien combat des pratiques religieuses trop accommodantes, incarnées pour lui par la figure historique du «jésuite«, de l'autre il fustige la «sagesse païenne« et son projet chimérique de faire de la misère humaine une étape transitoire vers la sagesse.

 

La philosophie affecte de croire que l'expérience passionnelle est l'épreuve inévitable d'un être humain qui ne s'est pas encore donné le gouvernement de lui-même, de sorte que sa prétention à conférer une juste direction à notre esprit doit être dénoncée comme imposture.

 

Là où le penseur janséniste critique la philosophie parce qu'elle n'a pas vraiment pris la mesure du désastre de la condition humaine, l'auteur comique met en scène la crispation des attitudes, en particulier dans ce que l'on pourrait nommer la trilogie des raideurs : Tartuffe (1664), Dom Juan (1665), Le Misanthrope (1666).

 

Cette maxime programmatique signifie d'abord que la comédie «corrige les moeurs en riant« (pour traduire au plus court), de sorte qu'elle donne à entendre deux pensées inégalement subtiles.

 

« Passion et société Car cette conclusion de médecin-philosophe est tributaire de deux de ses restrictions explicites.

D'abord, elle ne vaut qu'en « matière biolo­ gique », et rien n'assure a priori que la passion ou le pathos soient des notions dont la pertinence biologique est assurée.

D'autre part, mais plus discrètement, cette remarque laisse ouverte la possibilité, assuré­ ment fort logique, que la conscience de la maladie soit elle-même une conscience malade.

En effet, pour quelle raison, encore à préciser, la conscience (dont le statut ontologique nous est encore ignoré: ins­ tance, fonction, citadelle, postulat ?) s'excepterait-elle de la pathologie qui atteint le corps ? Faudrait-il supposer qu'il ne peut y avoir de « conscience malade », et donc que si la passion implique une « patho­ logie » pour la réfléchir, celle-ci établira que ce n'est pas la conscience qui est atteinte dans la passion ? Cette dernière supposition ne laisse guère le choix quant aux candidats, il ne reste que la pensée qui puisse figurer au titre des prétendants.

Or, dans ce cas, le bénéfice théorique est patent : si la passion est une maladie de la pensée, et si donc elle laisse indemne la conscience, alors celle-ci pourra apercevoir ce qui advient à la pensée.

Bien plus, il sera même concevable de s'appuyer sur cette conscience sauve pour traiter ce que la passion affecte dans la pensée.

Mais de quoi s'agit-il alors ? On peut commencer à formuler l'hypothèse que c'est une des fonctions cognitives qui est troublée dans la passion, et il est aisé de déterminer laquelle, d'autant que la tradition philosophique l'a envisagé depuis ses débuts.

Car le passionné juge, mais mal.

et en particulier il attribue à la légère certains attributs à certains êtres, alors qu'après le jugement d'existence, le jugement d'attribution est le plus élémentaire, et donc indispensable.

Pour anti­ ciper la jouissance qu'il en espère, le passionné ne peut se dispenser d'accorder à l'objet qu'il suppose à sa passion les propriétés qu'il lui envie car, sinon, pourquoi se donner tout ce mal ? Si donc la pathologie n'est pas elle-même une manifestation pathologique, nous tenons ce point d'Archimède que Descartes réclamait pour soulever le monde, mais dont nous allons nous servir plus modestement pour imaginer comment on peut traiter les passions, et à tout le moins traiter d'elles ou avec elles.

Car si la conscience est toujours exceptée du risque pas­ sionnel.

la morale est fondée en possibilité, si du moins la conscience est bien l'agent moral par excellence.

Il restera donc, et ce sera l'enjeu de ce chapitre, à déterminer le contenu du concept de traitement.

L'étude de ce concept générique dépend, comme il se doit, de l'objet qu'il s'oppose: si le traitement est celui d'une maladie, il y aura autant de représentations du traitement (à distinguer, bien entendu, des trai­ tements particuliers, dont l'application dépend de la nature et du carac­ tère des sujets) qu'il y aura de représentations de l'idée de maladie elle-même.

Or, l'histoire des sciences montre que ces représentations sont variables, même si l'analyse philosophique a posteriori (la - 251 -. »

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