La religion conduit-elle l'homme au-delà de lui-même ?
Publié le 10/10/2005
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• Voici un sujet faisant directement appel aux connaissances les plus classiques acquises pendant votre année scolaire, concernant le thème de la religion. Tout au long de l'histoire, cette notion a donné lieu à des controverses philosophiques, très violentes parfois. Ces débats sont aisément utilisables ici. • Analysez bien le sens des termes pour cerner le sujet : — religion : au départ, tout au moins, une institution sociale manifestant respect et obligation à l'égard d'une réalité divine ; — conduit-elle : attention, ce terme centre, très précisément, le sujet; on vous demande si la religion est un cheminement; conduire, signifie, ici, faire aller dans une certaine direction ; — l'homme : c'est l'espèce animale la plus évoluée ou bien le sujet, la personne. On pourra utiliser les deux acceptions ; — au-delà de lui-même : il s'agit, bien entendu, du dépassement de l'homme en tant qu'esprit, comme mouvement de transcendance. • Le sujet pose ainsi le problème célèbre de la vraie place de l'homme dans l'univers : existe-t-il quelque réalité qui transcende l'homme et le monde et leur apporte gens, ou bien la religion résume-t-elle seulement les impuissances de l'homme, jeté et délaissé dans le monde ? • Le plan sera, ici, de type dialectique, pour tirer parti des fortes oppositions philosophiques, oppositions suscitées par le problème :
— Thèse : la religion conduit l'homme au-delà de lui-même (thèse spiritualiste de Bergson, par exemple). — Antithèse : la religion ne conduit l'homme qu'à lui-même (thèse anthropologique des matérialistes, en particulier du marxisme). — Synthèse : la religion manifeste un effort des hommes pour s'exprimer et se créer.
«
III. La religion ne conduit pas l'homme au-delà de lui-même, mais elle lui en procure l'impression. Il est impossible d'affirmer que la religion conduise l'homme au-delà de lui-même, c'est-à-dire, soit le mène à undépassement de soi, soit à une connaissance plus vraie, ou enfin à un lieu hors du monde, car aucune donnéerationnelle et objective ne le permet.
Mais alors, où la religion conduit-elle l'homme, car enfin, il faut bien, si leshommes s'y dévouent, qu'elle leur procure quelques dépassements de l'état habituel, un mieux par rapport auquotidien ? En réalité, ce qu'elle leur procure c'est une impression de mieux.
Ce n'est qu'une impression d'au-delà desoi.
Mais cette impression selon les philosophes est soit laudative, soit péjorative.
Pour Pascal, la religion a uneinfluence positive car elle offre à l'homme la consolation et les repères moraux.
Pour Marx, cette impression est uneillusion dangereuse, car elle coupe l'homme du monde réel comme un opium.
Marx (1818-1883) reconnaît, avec Feuerbach, que la critique de la religion est le point de départ de toute critique,mais il reproche à ce dernier sa conception abstraite de l'homme.
Feuerbach, en affirmant que l'homme est raison,volonté, bonté manque la réalité de l'homme concret.
L'homme n'est pas « une essence abstraite, blottie hors dumonde », il doit être conçu dans son existence réelle, dans « le monde de l'homme », « l'Etat », « la société » : «Feuerbach résout l'essence religieuse en essence humaine.
Mais l'essence de l'homme n'est pas une abstractioninhérente à l'individu isolé.
Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux » («Thèse VI sur Feuerbach »).C'est pourquoi Feuerbach ne voit pas que l'esprit religieux « est lui-même un produit social ».
Jugeant quel'Allemagne de son époque est incapable de s'engager dans une voie révolutionnaire, et qu'elle compense cetteimpuissance politique sur le mode fantasmatique de l'idéologie et, en particulier, celle de la philosophie spéculativehégélienne, Marx décide de critiquer la philosophie hégélienne du droit et de l'Etat.
Il écrit un article dans les «Annales franco-allemandes » sous le titre « Critique de la philosophie du droit de Hegel » (traduit en français auxEditions sociales).
Les premières pages traitent de la religion.
On y trouve la fameuse expression: «Elle est l'opiumdu peuple », expression à laquelle on a fait dire n'importe quoi et qu'il convient de restituer dans son contexte.« La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestationcontre la détresse réelle.
La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elleest l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu.
Elle est l'opium du peuple.
»Ce n'est pas pour pouvoir se représenter sa propre essence que l'homme la projette, à l'extérieur de lui-même, dansle divin.
Cette interprétation feuerbachienne de l'aliénation reste marquée par l'idéalisme hégélien.
C'est le mondeconcret de l'homme réel qui produit l'aliénation religieuse.
La religion est « la conscience inversée du monde », parceque « le monde de l'homme », « la société », « l'Etat » sont eux-mêmes « un monde à l'envers ».
Si la religion est «la réalisation fantastique de l'être humain », c'est parce que « l'être humain ne possède pas de vraie réalité ».Autrement dit, l'aliénation religieuse est le produit de la pauvreté effective de l'homme.
C'est pourquoi elle est tout àla fois expression de cette détresse et protestation contre cette détresse.
D'où la formule : « Elle est l'opium dupeuple.
»C'est parce que l'homme est aliéné économiquement, exploité socialement, qu'il réalise de manière fantastique sonessence dans un monde imaginaire.
C'est pourquoi « lutter contre la religion », C'est « indirectement lutter contre cemonde-là dont la religion est l'arôme spirituel ».
Ainsi, à travers la critique de la religion, la critique doit atteindre lasituation réelle de l'homme.
« L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel.
Exigerqu'il renonce aux illusions sur sa situation, c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions.
Lacritique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.
»
Supprimer l'illusion religieuse, c'est donc exiger le bonheur réel des hommes.
Dépouiller « les chaînes des fleursimaginaires », c'est du même coup inviter l'homme à rejeter « les chaînes » et cueillir « les fleurs vivantes ».
Plusfondamentalement, détruire les illusions de l'homme, qu'elles soient religieuses ou autres, c'est le rendre à la vraieréalité « pour qu'il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l'âge de la raison,pour qu'il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel ».
C'est donc d'une véritable «révolutioncopernicienne » qu'il s'agit : passer de la religion, « soleil illusoire qui gravite autour de l'homme » à l'homme quigravite « autour de lui-même ».
La première tâche de la philosophie qui est au service de l'histoire, c'est, certes, de dénoncer « la forme sacrée del'auto-aliénation de l'homme », mais aussi de démasquer « l'auto-aliénation dans ses formes non-sacrées».« La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, lacritique de la théologie en critique de la politique.
»
Pour Marx, il s'agit donc d'aller plus loin que la simple critique de la religion à laquelle Feuerbach s'arrêtait.
C'est laraison pour laquelle il s'attaque à la philosophie spéculative allemande de l'Etat et du droit - philosophie qui pensel'Etat moderne en faisant abstraction de l'homme réel et qui ne peut satisfaire l'homme que de manière imaginaire,philosophie qui n'est au fond qu'une copie dont l'original est la religion.
C'est la raison pour laquelle il invite lesAllemands, qui, sur un plan politique, « ont pensé ce que les autres peuples ont fait », à aller jusqu'à la critiquepratique du monde réel, c'est-à-dire jusqu'à la transformation révolutionnaire de la société.
D'où la fameuse thèse XIsur Feuerbach.
« Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières, il faut le transformer »..
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