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La relation fondamentale avec autrui est-elle l'imitation, la sympathie ou le conflit ?

Publié le 26/01/2004

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Le but de la camaraderie c'est ce que l'on fait ensemble, non ceux qui le font ; on pourrait dire en un sens de l'univers de la camaraderie qu'il est purement public. La vie privée n'y a aucune part»2. Au contraire, l'amitié n'est plus participation à une oeuvre extérieure au moi, mais don véritable de personne à personne (ce qui n'exclut pas la recherche commune d'un dépassement de soi ; « ils s'aiment non pour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils espèrent devenir l'un par l'autre»).De la même façon, il convient de bien distinguer - à la suite de Max Scheler - la sympathie véritable de la simple contagion affective (Einfuhlung). La contagion affective est une participation passive, inconsciente et involontaire aux sentiments d'autres personnes. Par exemple, en entrant dans la brasserie, je sens ma tristesse disparaître, je me mets à rire, à parler fort, à chanter comme les autres et un sentiment d'euphorie m'envahit. Cette contagion psychique n'est aucunement une « connaissance» de ce qui est éprouvé par autrui. En fait, les attitudes prises, les gestes accomplis déterminent ici presque irrésistiblement des états de conscience que j'éprouve pour mon compte sans chercher à rejoindre la personne d'autrui. Bien loin d'être un acte de la personne comme est la vraie sympathie, la contagion affective est en réalité une abdication de la personne, la démission d'un moi trop suggestible qui se laisse envahir sans contrôle par des automatismes liés à des états affectifs. Ainsi, lorsque la panique s'empare d'une foule et que tout le monde s'enfuit, je puis me sentir irrésistiblement entraîné à imiter ces gestes de fuite et l'épouvante - liée à ce comportement - s'empare de moi.

« dissimulation psychique». LA COMMUNICATION PAR LA SYMPATHIE Ne serait-ce pas plutôt l'expérience de l'amour, de l'amitié, de la sympathie qui serait susceptible de nous procurer une communicationauthentique avec d'autres consciences ? Déjà, Saint-Augustin notait qu'on ne «connaît personne sinon par l'amitié» et Max Scheler adéveloppé la thèse selon laquelle la sympathie serait la forme privilégiée de la communication des consciences.Distinguons bien l'amitié de la camaraderie.

Sans doute, dans la camaraderie y a-t-il une communication, mais l'origine de lacommunication est extérieure aux personnes des camarades (c'est la participation à une même classe au lycée, ou à un même groupede combat, ou à un même parti politique).

Comme dit très bien Jean Lacroix : « Les camarades s'oublient...

dans leur oeuvre...

Le butde la camaraderie c'est ce que l'on fait ensemble, non ceux qui le font ; on pourrait dire en un sens de l'univers de la camaraderie qu'ilest purement public.

La vie privée n'y a aucune part»2.

Au contraire, l'amitié n'est plus participation à une oeuvre extérieure au moi,mais don véritable de personne à personne (ce qui n'exclut pas la recherche commune d'un dépassement de soi ; « ils s'aiment nonpour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils espèrent devenir l'un par l'autre»).De la même façon, il convient de bien distinguer — à la suite de Max Scheler — la sympathie véritable de la simple contagion affective(Einfuhlung).

La contagion affective est une participation passive, inconsciente et involontaire aux sentiments d'autres personnes.

Parexemple, en entrant dans la brasserie, je sens ma tristesse disparaître, je me mets à rire, à parler fort, à chanter comme les autres etun sentiment d'euphorie m'envahit.

Cette contagion psychique n'est aucunement une « connaissance» de ce qui est éprouvé par autrui.En fait, les attitudes prises, les gestes accomplis déterminent ici presque irrésistiblement des états de conscience que j'éprouve pourmon compte sans chercher à rejoindre la personne d'autrui.

Bien loin d'être un acte de la personne comme est la vraie sympathie, lacontagion affective est en réalité une abdication de la personne, la démission d'un moi trop suggestible qui se laisse envahir sanscontrôle par des automatismes liés à des états affectifs.

Ainsi, lorsque la panique s'empare d'une foule et que tout le monde s'enfuit, jepuis me sentir irrésistiblement entraîné à imiter ces gestes de fuite et l'épouvante — liée à ce comportement — s'empare de moi.

Jepartage la frayeur de cette foule, mais je ne puis dire que je suis réellement entré en communion avec mes voisins.

Si Nietzsche asévèrement condamné la pitié, c'est précisément parce qu'il l'a confondue avec une contagion mentale de ce genre.

Dès lors, la pitién'est plus que la transmission en chaîne de la souffrance, une contagion de malheur, une déperdition de vitalité qui multiplie lasouffrance au lieu de la guérir.Max Scheler a bien montré que la vraie pitié, que la sympathie authentique est tout autre chose.

Si j'ai pitié de l'autre, c'estprécisément parce que je ne suis pas malheureux moi-même, parce que je n'éprouve pas sa misère.

Si je souffrais comme lui, jeserais moi-même objet de pitié et non conscience compatissante.

En réalité, la sympathie transcende l'affectivité.

Elle est un acte de lapersonne qui vise la souffrance ou la joie d'une autre personne, qui les reconnaît plus qu'elle ne les éprouve.

Gide, par exemple,déclare à propos de sa femme « Par sympathie, je parvenais à comprendre ses sentiments, je ne pouvais les partager» '.

Et MaxScheler assure que je puis «fort bien comprendre l'angoisse mortelle d'un homme qui se noie sans pour cela éprouver rien quiressemble même de loin à une angoisse mortelle».

Bien plus, je puis comprendre selon Max Scheler des émotions que je n'ai jamaiséprouvées moi-même.

Je lis dans ce visage une pureté, une candeur que je n'aurais pas soupçonnées auparavant.

Ce regard furieuxme signifie une qualité, une intensité de haine que jamais je n'aurais cru possibles.

Pradines écrit dans cette perspective que « nouspouvons sympathiser même avec des sentiments que nous ne saurions éprouver soit qu'ils nous dépassent soit au contraire que nousles dépassions, avec la tristesse de Jésus à Gethsemani ou avec les petits chagrins d'un enfant».

La connaissance d'autrui bien loin deme renvoyer comme dans la théorie de l'analogie à des expériences familières, élargit au contraire mon horizon, m'apported'incessantes révélations. LIMITES ET DIFFICULTÉS DE LA COMMUNICATION DES CONSCIENCES Cette communication directe, intuitive, extra-rationnelle n'est-elle pas entachée de quelqu'illusion? Certes, les philosophescontemporains n'ont pas tort d'affirmer que spontanément nous prêtons aux expressions d'autrui une signification, que nous avonsl'impression d'entrer immédiatement en communication.

Mais cette impression vécue est-elle fondée ? Nous imaginons trop volontiers,par exemple, que la signification d'une expression, d'un visage est donnée à l'intuition immédiate.

Pensons au visage un peu vulgairede Socrate, à ses lèvres épaisses, à ses gros yeux à fleur de peau.

Aucune intuition immédiate ne révélait à ceux qui rencontraientSocrate l'âme du grand philosophe sous cette écorce peu attirante.

De même l'amour, l'amitié, la sympathie, ne sont pas toujours desmoyens de connaissance, mais bien souvent aussi des facteurs d'illusion.

Le vieil adage selon lequel «l'amour rend aveugle» se vérifieau moins aussi souvent que la thèse de Max Scheler qui voit dans l'amour l'instrument d'une connaissance authentique d'autrui.

Alquiéremarque avec pertinence : « L'exemple sans cesse repris aujourd'hui de l'enfant découvrant spontanément le sens du sourire sur levisage de sa mère loin de justifier sur ce point les analyses à l'appui desquelles on l'invoque, nous paraît seulement témoigner chez lesauteurs qui en font usage d'une nostalgie de l'enfance et du sourire maternel qui, en effet, ne trompe pas.

Mais Musset savait bien qu'ilest plus difficile de découvrir le sens du sourire de sa maîtresse...

D'une sympathie définie comme intuition émotionnelle et infaillible dutoi, il faut dire sans doute, qu'elle serait une bien belle faculté mais c'est malheureusement une faculté qui n'existe pas '.

» EtNédoncelle lui-même, encore qu'il croie à la possibilité d'une communication des consciences par la sympathie, regrette qu'à côté detant de travaux sur les erreurs des sens, de la perception des objets, il n'existe pas d'étude systématique des «erreurs de la perceptiond'autrui».

Souvent en croyant découvrir autrui tel qu'il est, je ne fais que le recouvrir de mes songes.

Je l'aperçois non tel qu'il est maistel que je voudrais qu'il soit.

Je prends pour intuition ce qui est projection.

Peut-être, si nous connaissions vraiment les autres, la vienous serait-elle trop amère et souvent, comme le note Nédoncelle, «la perception que nous avons de l'homme doit finir par setransformer en rêve pour être tolérable2 ».Certes, les psychologues contemporains ont raison d'affirmer contre les thèses intellectualistes que nous connaissons immédiatementet sans raisonnement l'existence d'autrui.

Mais il n'en est pas de même en ce qui concerne la connaissance de ce qu'est autrui.

Ici, laréflexion, le raisonnement analogique (avec ses incertitudes), l'analyse attentive et discursive des comportements retrouvent leurplace nécessaire.

Si l'affirmation de l'existence d'autrui est originaire, antérieure à toute réflexion et sûre d'elle-même, la connaissanced'autrui est incertaine, approximative et beaucoup moins intuitive qu'il est de mode de le soutenir aujourd'hui.

C'est bien souvent paranalogie avec moi-même, par un travail de réflexion à partir de mes expériences personnelles et de mes connaissances que je puisentrer en communication avec les états de conscience des autres.

Par exemple, la cruauté si fréquente des enfants à l'égard desanimaux reflète non le sadisme mais tout simplement l'impuissance à comprendre les souffrances d'autres êtres (il faut bien l'accorderaux partisans de la théorie de l'analogie) par manque d'expérience personnelle et par manque de réflexion.. »

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