La recherche du bonheur vous paraît-elle constituer un idéal moral ?
Publié le 01/01/2004
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Une des constances de la philosophie d'Epicure est de vanter le plaisir. On retrouve la formule « Le plaisir est notre bien principal et inné « dans la « Lettre à Ménécée «. Mais l'épicurisme ne correspond guère à l'image populaire que l'on en garde : celle du « bon vivant «. Dans cette lettre, on lit : « Tout plaisir est de par sa nature propre un bien, mais tout plaisir ne doit pas être recherché «. C'est à une compréhension véritable du plaisir, et à une gestion rationnelle des désirs que la philosophie d'Epicure nous invite, philosophie des « sombres temps «, de l'époque troublée, violente, des successeurs d'Alexandre le Grand. La « Lettre à Ménécée « est une description de la méthode apte à nous procurer le bonheur. Car si tous les hommes cherchent le bonheur, ils sont, selon le mot d'Aristote, comme des archers qui ne savent pas où est la cible, incapables de la définir et de l'atteindre.
La quête du bonheur ne suffit pas à fonder l'acte moral. L'une est subjective, l'autre est rationnel. De plus, le bonheur n'est pas un idéal de la raison mais de l'imagination. Chercher son bonheur est le plus sûr moyen d'être immoral.
Le bonheur est ce que désire l’ensemble des hommes : ce à quoi il aspire. Dès lors, si l’éthique se définit comme un modèle de vie, où le chemin, la manière d’atteindre cet idéal, le bonheur devrait alors constituer l’idéal moral comme but. C’est en ce sens que le Souverain bien s’est souvent exprimé comme étant le bien le meilleur c’est-à-dire assurant un bonheur complet et définitif à l’homme : en somme l’ataraxie et l’aponie. Pourtant, le bonheur n’est-il pas un idéal de l’imagination ? S’il est propre à chacun ne va-t-il pas à l’encontre de la pureté de la morale et de la loi morale comme le signale Kant. Il s’agit donc de s’interroger sur la finalité de la morale et de l’éthique à travers le prisme du bonheur.
«
peur. »
Eprouver du plaisir, c'est d'abord combler un manque : boire quand on a soif, se rassurer quand on a peur.
En soi, un plaisir est toujours bon, une souffrance, un désir non comblé, toujours mauvais.
Ainsi Epicure nous incite à classer nos désirs, et à adopter face à eux une stratégie telle que nous serons facilement comblés et rarement insatisfaits.
Il y a d'abord les désirs naturels (dont certains sont naturels et nécessaires et d'autres seulement naturels) ; et ensuite les désirs vains.
Les désirs naturels et nécessaires comprennent tous les désirs tels que, s'ilsne sont pas satisfaits, nous mourons (boire, manger, dormir).
Les désirs seulement naturels peuvent être le désir demanger tel ou tel plat, ou encore le désir sexuel, etc.
Mais il importe de comprendre qu'il y a des désirs vains ; désir de richesse, de gloire, d'immortalité, etc.
Ces désirs ont une particularité importante ; ils sont insatiables, illimités, ils n'ont jamais de fin.
Quand je connais un désir naturel, il cesse d'être dès qu'il est satisfait.
Une fois que j'ai mangé, je n'ai plus faim.
Ces plaisirs sont naturels parce qu'ils sont bornés : ils ont une limite naturelle.
A l'inverse, les désirs nonnaturels peuvent être dits vains parce qu'ils ne seront jamais comblés ; ils résident dans le principe du « toujours plus », l'illimité.
L'homme qui veut être riche, admiré, aimé, n'en a jamais fini de son désir.
Il est facile de comprendre que si je veux parvenir au bonheur, à la santé du corps et à la tranquillité de l'âme, je dois éliminer les désirs vains.
Le plaisir naît de ce qu'un désir est comblé.
Mais les désirs vains sont pardéfinition illimités.
Le plaisir que leur satisfaction procure est illusoire et ne sert qu'à les relancer.
A peine comblé, jeveux autre chose, je veux plus ; je ne cesse de désirer, donc de manquer, donc de souffrir.
L'homme des désirsvains, du « toujours plus », Platon le comparait déjà à un panier percé ; se condamner à ne jamais être comblé.
La première et principale leçon d' Epicure est donc celle-ci : ne pas céder aux désirs vains ; se contenter des désirs naturels.
Vivre en accord avec la nature consiste d'abord à ne pas céder au vertiges des désirs illusoires.Epicure les nomme vains, notre époque parlerait d'une course à la consommation.
Il y a plus.
Certes tout plaisir est un bien en soi.
Mais certains plaisirs peuvent se révéler nuisibles.
Certes toute souffrance est un mal, mais endurer certaines douleurs peut se révéler utile.
Il ne faut pas rechercher toutplaisir, ni fuir toute douleur : il faut savoir raisonner, calculer les conséquences.
Il ne faut pas céder à l'attrait del'immédiat, mais avoir une certaine intelligence du plaisir.
On voit que nous sommes loin de l'image du « bon vivant »,de celui qui jouit de façon primaire de tous les plaisirs qui s'offrent à lui.
Epicure va même jusqu'à prôner une certaine austérité.
Il faut dit-il « savoir se suffire à soi-même » ; cela veut dire savoir se contenter de peu.
Car « Tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, mais tout ce qui est vain est difficile à avoir.
»
L'habitude de vivre simplement met à l'abri des coups du sort, tandis que l'habitude de vivre richement y rend plus vulnérable.
De plus l'habitude, par exemple, d'une bonne table, de mets précieux, transforme ce qui était audépart un plaisir (manger tel plat raffiné) en habitude voire en besoin.
Privé de ce superflu dont je me suis rendudépendant, je vais en souffrir par ma propre faute.
Par contre, le sage épicurien se réjouira d'une tablesomptueuse, mais ne souffrira pas de son absence ; car il a compris que ce n'est pas l'objet qui crée le plaisir, maisla cessation du désir, du manque.
Naturellement, ce n'est pas tel grand vin qui me fait plaisir, mais de ne plus avoirsoif.
S'habituer aux grands crus, c'est se condamner et à y trouver moins de plaisir, et à souffrir si pour une raisonou pour une autre on ne peut plus s'offrir ce produit et à ne plus être capable d'apprécier une boisson plus« ordinaire ».
Ce souci d'autarcie, d'une vie simple qui nous rende le plus indépendant possible du hasard, des coups du sort, des autres, s'explique en partie par l'époque troublée, instable pendant laquelle Epicure écrit ; une époque où les solidarités traditionnelles de la cité grecque se défont, où la politique est instable, où l'économie ne l'est pasmoins.
Mais cela n'invalide en rien le raisonnement d' Epicure , lequel dément l'interprétation déjà présente à son époque de sa doctrine : « Quand nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n'entendons pas par là le plaisir des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notredoctrine, ou qui sont en désaccord avec elle ou qui l'interprètent dans un mauvais sens.
Le plaisir que nous avonsen vue est caractérisé par l'absence de souffrances corporelles et de troubles de l'âme.
Ce ne sont pas lesbeuveries et les orgies continuelles des jeunes garçons et des femmes, les poissons et les autres mets qu'offre unetable luxueuse, qui engendrent la vie heureuse, mais la raison vigilante qui recherche minutieusement les motifs dece qu'il faut rechercher ou éviter, et qui rejette les vaines opinions grâce auxquelles le plus grand trouble s'emparede l'âme.
»
Ceux qui vivent en cédant à l'attrait du plaisir immédiat, qui cultivent les désirs vains, qui accordent une importanceextrême aux objets de leurs désirs, ceux-là n'ont rien compris au plaisir, et se condamnent à la souffrance.
La vraie philosophie du plaisir est celle, apparemment austère, d' Epicure .
Celle qui prône le plaisir, mais guidé par la.
»
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