La recherche du bonheur et les exigences morales sont-elles conciliables ?
Publié le 17/03/2004
Extrait du document
On comprend dès lors comment le bonheur ainsi défini peut être identifié avec le souverain et avec la vertu ou la sagesse.
B. - LE BONHEUR SENSIBLE.
De cette conception, il faut distinguer celle des empiristes modernes, pour lesquels le bonheur est une somme de plaisirs. Cette façon d'entendre le bonheur est beaucoup plus proche de la conception vulgaire, qui admet difficilement qu'on puisse être heureux dan a souffrance. Mais cette conception empiriste se mêle parfois, comme chez Épicure, à la conception métaphysique, et, à l'intérieur même de celle-là, bien des distinctions sont encore possibles. 1° Il y a lieu de distinguer d'abord les plaisirs physiques et les plaisirs de l'âme et de l'esprit. En général, les eudémonistes ont privilégié ces derniers. Mais ils n'ont pas nécessairement exclu les premiers : « Je ne saurais, dit ÉPICURE, quelle idée je pourrais me faire du Bien, si je supprimais les plaisirs du boire et du manger, de l'ouïe et de la vue, et ceux d'Aphrodite «, ce qui ne l'empêchait pas de soutenir que le sage peut être heureux avec un peu de pain et un peu d'eau et de mener lui-même une vie très tempérante, presque austère. 2° Tandis que certains n'ont tenu compte, comme BENTHAM, que de la quantité des plaisirs...
Le bonheur est bien le fondement de la morale et de toute la philosophie. L'expérience commune montre qu'il faut poser le bonheur comme la fin ultime à laquelle toutes les autres sont subordonnées.
MAIS...
La quête du bonheur ne suffit pas à fonder les exigences morales parce que le bonheur n'est pas un idéal de la raison mais de l'imagination. Ce n'est qu'un rêve illusoire qui, propre à chacun, n'a pas de portée universelle qu'exige les impératifs catégoriques de la morale.
«
II.
Bonheur et moralité.
Que penser maintenant du bonheur pris comme but de la vie ? Tout dépend évidemment de la conception quenous en faisons.
A.
— Reconnaissons toutefois que, de même que l'intérêt avec lequel on l'a d'ailleurs parfois confondu, lebonheur représente déjà un objectif supérieur au plaisir.
Tous les philosophes eudémonistes l'ont reconnu :pour être heureux, il faut savoir renoncer à certains plaisirs ou tout au moins établir entre eux une hiérarchie.La notion du bonheur introduit ainsi une certaine unité dans la conduite, par opposition à l'impulsivité del'instinct qui ne recherche que le plaisir immédiat.
B.
— Il va de soi, d'autre part, que, si le bonheur est conçu sous la forme de la béatitude, il s'identifie alorsavec les fins morales elles-mêmes.
Mais cette conception est elle-même fonction de toute une conception dela vie humaine et même de l'univers.
La notion du bonheur se trouve ici valorisée au point de départ.
C.
— Même chez les philosophes empiristes, cette valorisation intervient tôt ou tard.
On l'a remarqué avecraison (M.
MARSAL, in Vocabulaire de Lalande, 7e éd., p.
116) : il s'agit beaucoup moins chez eux du «bonheureffectif, fait psychologique, souvent presque animal » que de «l'idée ou de l'idéal du bonheur, produit del'imagination, condamné à demeurer inaccessible », et cet idéal est « aussi différent du bonheur qu'on peutgoûter en réalité, que le cercle mathématique d'un rond tracé à main levée ».
Épicure lui-même - BROCHARD(Ouv.
cité, p.
298-299) l'avait déjà noté — admet un monde idéal qui n'est pas sans analogie avec le «mondeintelligible » des Idées de Platon : « Dans l'un et dans l'autre système, c'est en se réfugiant dans ce mondeidéal, soit qu'il existe de toute éternité [Platon], soit qu'il résulte de la fantaisie individuelle, que le sage peutéchapper aux souffrances du temps présent et chercher un refuge contre le mal.
» STUART MILL, lui aussi,lorsqu'il distingue les plaisirs selon leur qualité et lorsqu'il place le bonheur général au-dessus du bonheurindividuel, idéalise le principe eudémoniste et y introduit des jugements de valeur qui n'y sont pas contenus.
D.
— Mais il y a lieu d'insister surtout sur la distinction que nous avons indiquée, entre le bonheur statique ounégatif et le bonheur dynamique, inséparable de l'action et de l'effort.
Autant le premier risque d'aboutir à uneconception égoïste et limitative, mutilante de la vie, autant le second peut être conçu de façon noble etgénéreuse.
Qu'est-ce en définitive que la joie de l'héroïsme et du sacrifice si ce n'est cette exaltation de l'âmequi s'est haussée à un plan supérieur ? Encore convient-il d'ajouter que l'héroïsme lui-même n'est authentiqueque s'il est un don de soi à certaines valeurs.
Conclusion.
Il appert de cette analyse que le bonheur ne peut devenir le but de notre vie qu'à condition qu'il se valorise en s'identifiant avec la joie morale.
Encore convient-il, comme J.
S.
Mill le remarqua un jour, de nepas le rechercher pour lui-même : nous risquerions de le manquer.
Pensons plutôt qu'il nous sera donné « parsurcroît » si nous faisons le bien.
« L'homme, dit BERSOT (Ouv.
cité, p.
27), n'est pas né pour être heureux ; ilest né pour être un homme à ses risques et périls.
».
»
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