La raison suffit-elle à nous garantir le bonheur ?
Publié le 08/02/2004
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Qu'est-ce que le bonheur ? Les Anciens le définissaient comme l'état de celui qui vit en accord avec sa nature et avec la Nature, autrement dit dont les désirs sont assez sages pour ne jamais être contrariés. Selon les stoïciens, c'est un entendement sage (sachant distinguer ce qui dépend de moi et ce qui n'en dépend pas) qui permet d'atteindre le bonheur. Chez eux, le fait d'être raisonnable est bien la condition de possibilité même du bonheur.
La source de tout bien et de tout mal que nous pouvons éprouver réside strictement dans notre propre volonté. Nul autre que soi n'est maître de ce qui nous importe réellement, et nous n'avons pas à nous soucier des choses sur lesquelles nous n'avons aucune prise et où d'autres sont les maîtres. Les obstacles ou les contraintes que nous rencontrons sont hors de nous, tandis qu'en nous résident certaines choses, qui nous sont absolument propres, libres de toute contrainte et de tout obstacle, et sur lesquelles nul ne peut agir. Il s'agit dès lors de veiller sur ce bien propre, et de ne pas désirer celui des autres ; d'être fidèle et constant à soi-même, ce que nul ne peut nous empêcher de faire. Si chacun est ainsi l'artisan de son propre bonheur, chacun est aussi l'artisan de son propre malheur en s'échappant de soi-même et en abandonnant son bien propre, pour tenter de posséder le bien d'autrui. Le malheur réside donc dans l'hétéronomie : lorsque nous recevons de l'extérieur une loi à laquelle nous obéissons et nous soumettons. Nul ne nous oblige à croire ce que l'on peut dire de nous, en bien ou en mal : car dans un cas nous devenons dépendants de la versatilité du jugement d'autrui, dans l'autre nous finissons par donner plus de raison à autrui qu'à nous-mêmes. Enfin, à l'égard des opinions communes comme des théories des philosophes, ou même de nos propres opinions, il faut savoir garder une distance identique à celle qui est requise dans l'habileté du jeu, c'est-à-dire qu'il faut savoir cesser de jouer en temps voulu. Dans toutes les affaires importantes de la vie, nul ne nous oblige en effet que notre propre volonté.
Les Modernes, en faisant de cette notion la condition de l'homme dont les moindres désirs sont réalisés, l'ont réduite à un idéal suspect et chimérique: un pur idéal de l'imagination. Pour Kant, la raison n'est pas la condition du bonheur mais bien la faculté nous amenant à renoncer à la félicité au nom de la morale.
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-La raison en tant qu'elle est une faculté de calcul s'accompagne de conscience.
En ce sens, elle ne nous conduitpas au bonheur parce qu'elle connaît ses limites et son impuissance à maîtriser le monde pour nous faire atteindre lebonheur.
La raison s'accompagne donc nécessairement d'une conscience malheureuse qui nous fait prendre acte denos insuffisances et de notre finitude.
C'est précisément quand on atteint l'âge de raison que l'on sait de manièreclaire que nous sommes mortels et que la condition humaine est une triste condition.
-La raison est une faculté qui en tant que calculante exige du sérieux et refuse tout dépassement et toute folie.Ainsi, être toujours raisonnable ne conduit pas au bonheur dans la mesure où on s'interdit alors de dépasser toutemesure.
Dans la raison, il n'y a aucune fantaisie possible, aucun recours au rêve qui pourrait nous faire éprouver uneforme de bonheur résidant dans le plaisir.
De ce point de vue, la raison stérilise l'accession au bonheur dans lamesure où elle exige que l'on soit toujours raisonnable et rationnel, c'est-à-dire mesuré et fidèle au réel tel qu'il est.
II La raison cependant n'interdit pas le bonheur.
-Personne ne voudrait être heureux à la manière des animaux ou de l'imbécile heureux.
Ce bonheur en effet est unbonheur que l'homme n'envie pas parce que c'est un bonheur qui ne se sait pas, c'est un bonheur innocent qui nepeut nous apporter de jouissance.
Ainsi posséder la raison peut rendre l'homme heureux car quand il met en œuvreune stratégie, un calcul pour être heureux, il peut déjà profiter de ce bonheur qu'il vise.
La raison, qui par les calculsqu'elle met en œuvre, peut nous permettre d'atteindre le bonheur nous rend d'autant plus heureux que c'est unbonheur que nous aurons gagné et mérité.
C'est un bonheur vrai parce qu'il n'est pas immédiat comme celui desanimaux.
Si la raison s'accompagne nécessairement de conscience elle peut nous permettre d'atteindre un bonheur vrai qui nesera pas entaché de regrets ou de remords.
Ces sentiments sont en effet des sentiments malheureux dont on peutfaire l'économie en utilisant notre raison.
En effet quand nous aurons utilisé notre raison et même si nousn'atteignons pas le bonheur escompté, nous saurons de manière certaine que nous aurons fait tout ce qui était ennotre pouvoir.
Nous saurons donc certainement que le bonheur visé était inaccessible, nous en prendrons acte etéviterons le malheur du regret et du remords.
(Descartes, le bonheur comme absence de malheur)
- La raison en tant qu'elle entraîne la mesure nous économise le regret et le remords et nous permet deprendre acte du réel.
Etre raisonnable en effet permet d'être heureux dans la mesure où on ne vise que le possibleet ce que nous pouvons atteindre de manière certaine.
C'est ainsi que nous évitons de nous épuiser dans larecherche de satisfaction de désirs dont la réalisation est vouée à l'échec.
Le bonheur que la raison permet alorsd'atteindre est un bonheur simple qui consiste à se rendre content en changeant « ses désirs plutôt que l'ordre dumonde »
III La raison est-elle un guide infaillible pour trouver le bonheur ?
- La raison est une faculté qui nous distingue des animaux puisque ceux-ci ne disposent que de l'instinct.Ainsi, la raison nous inscrit dans l'humanité.
On peut donc alors définir le bonheur comme consistant à se réalisercomme être humain par le développement de cette faculté qu'est la raison.
Dès lors, le bonheur réside dans la raisonelle-même qui nous fait atteindre le vrai et le bien pour peu que l'on décide de la suivre effectivement.
La raison estdonc ici ce qui fait de nous des hommes et c'est là que réside le bonheur car par la raison nos participons à uneréalité qui nous élève au-dessus de notre animalité.
De plus, la raison qui nous permet de mettre en œuvre une stratégie pour viser et atteindre le bonheur doit, quandnous la suivons, nous éviter le regret et le remords puisque nous aurons fait au mieux pour atteindre le vrai et lebien.
Ainsi, la raison développe en nous la conscience morale d'avoir fait du mieux que nous pouvions.
Elle nous faitdonc éprouver de l'estime de soi et elle nous rend dignes d'être heureux comme le dit Kant.
Ce n'est donc pasdirectement le bonheur que nous atteignons mais la conscience de le mériter en en étant digne du fait du bien quenous aurons produit en suivant notre raison.
Pour autant, le bonheur n'est pas systématiquement atteint par la raison.
Cela tient au caractère du bonheur lui-même pour lequel nous ne possédons aucun concept que la raison nous permettrait de caractériser et de spécifier.Ainsi, le bonheur est un idéal de l'imagination qui est relatif à notre expérience.
En ce sens, le bonheur ou lareprésentation que nous en avons change en fonction des circonstances de notre existence.
Dans cette mesure, laraison est impuissante à nous conduire toujours au bonheur parce qu'elle inapte à nous donner des commandementsqui nous y conduiraient.
Elle peut en effet au mieux nous donner des conseils.
L'accession au bonheur, même en suivant la raison, est hypothétique et cela n'est pas le fait de la raison mais celui du bonheur..
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