La raison s'oppose-t-elle à l'expérience ?
Publié le 21/01/2004
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Comment prouver qu'il n'y aura pas un matin où le jour ne se lèvera pas ? Questions qui ont pour effet de fragiliser la valeur rationnelle des propositions scientifiques. A côté des sciences de pure raison, les plus nombreuses sont relatives à des faits. Celles-ci, parce qu'elles ne relèvent pas de la pure logique, ne peuvent pas être démontrées : « Le contraire d'un fait quelconque est toujours possible, car il n'implique pas contradiction et l'esprit le conçoit aussi facilement et aussi directement que s'il concordait pleinement avec la réalité. « Hume montre donc que l'induction ne conduit pas à une opération intuitive : le moyen terme sous-entendu (cela se passera toujours comme cela s'est passé) n'est pas une évidence logique. Il faut que l'esprit induisant que « le pain m'ayant nourri hier il me nourrira demain « fasse un saut ne relevant pas de la logique. Or l'induction est indispensable dès qu'on a affaire à des relations de faits. Aussi les vérités empiriques ne sont-elles nullement nécessaires : outre qu'il peut y avoir des inférences fausses, parce ce qu'on n'a pas encore rencontré le contre-exemple qui les démentira, il n'existe aucun moyen de démontrer absolument, par la pure logique, que la conclusion d'une induction est nécessairement vraie. Du point de vue de la logique, elle ne lest pas. Si l'on s'en tenait là, il faudrait en conclure que les sciences de faits, même si elles sont provisoirement acceptables, demeurent en partie incertaines.
HTML clipboard On oppose souvent la raison, comprise comme faculté théorique d'enchaîner droitement des idées afin de parvenir au vrai, à l'expérience empirique, qui renvoie à la sensibilité au sens kantien du terme. Il y aurait dans la première une méthode, rigueur et une universalité qui ne figureraient pas dans l'autre, immédiate et variable en fonction des individus. Concernant ses sens, l'homme n'est-il pas la mesure de toute chose ? Mais peut-on se satisfaire d'une conception aussi rigide de la raison et d'une description aussi subjectiviste de l'expérience? Raison et expérience ne peuvent-elles pas nouer des rapports dialectiques et féconds. Que seait une raison sans expérience et une expérience sans raison ?
«
Bachelard considérait l'expérience immédiate comme le premier obstacle à la connaissance scientifique.
Les informations fournies par les sens, le vécu sontsource d'erreurs.
Ainsi, par exemple, de ce que cette pierre tombe plus viteque ce morceau de liège, j'en viendrai à établir une distinction entre «lord» et«léger» et à conclure que la vitesse de la chute des corps est liée à leurmasse.
Or les scientifiques ont établi que, dans le vide, tous les corpstombent à la même vitesse.
La formule scientifique par Galilée de la loi de la chute des corps e= ½ gt 2 contredit les données communes de la perception.
L'épistémologie de Bachelard réactualise l'idée essentielle du platonisme : la science se constitue par ce geste intellectuel qui récuse l'expérience.
PourBachelard (comme pour Platon ) le savoir scientifique commence par une rupture avec l'expérience ; par se méfier des synthèses spontanées de laperception.
Car l'expérience première est un obstacle et non une donnée.C'est même le premier obstacle que la science doit surmonter pour seconstruire.
C'est que la science est ennuyeuse : le réel auquel elle a affaireest filtré, classé, ordonné selon des relations intelligibles, quantifié, prêt à lamesure.
Au contraire, l'expérience première, spontanée, parle à l'imaginaire.
L'« observation première se présente comme un libre d'images : elle estpittoresque, concrète, vivante, facile.
Il n'y a qu'à la décrire ets'émerveiller ».
Devant elle, nous sommes au spectacle.
Entre l'expérience spontanée du feu par exemple et la connaissance des lois de la combustion, quel écart ! D'un côté un universqualitatif et affectif : le feu qui crépite dans l'âtre, le bien-être, les couleurs, la fascination, le feu qui « chante » et qui « danse » ; de l'autre un processus physico-chimique dépouillé de toute poésie, une simple modification quantitative des éléments.
La première leçon de l'épistémologie de Bachelard est donc bien platonicienne : l'anti-empirisme.
L'expérience est d'abord du domaine du préscientifique.
L'esprit scientifique doit se constituer contre elle, contre la nature et sesenseignements immédiats.
L'empirisme est la pente la plus naturelle et la plus paresseuse de l'esprit ; son axe etcelui de la science sont inverses l'un de l'autre.
Cela suppose bien, chez Platon , une conversion intellectuelle, un détournement des habitudes spontanées de l'âme, une pédagogie de la rupture : « L'esprit scientifique ne se forme qu'en se réformant ».
La connaissance objective mérite une psychanalyse au cours de laquelle l'esprit scientifique pourra se constituer en inhibant et en refoulant les pulsions expansives de l'observation spontanée.
Pour parvenir à l'esprit scientifique, il est donc indispensable d'éliminer de la connaissance les projections psychologiques spontanées et inconscientes, d'opérer ; comme le dit Bachelard une « psychanalyse de la connaissance ».
Cette psychanalyse est bien difficile, peut-être jamais achevée.
Elle est en tout cas l'oeuvre des siècles et nous ne devons jamais oublier que la science est une aventure récente.
Il y a des ho sur terre depuis plusieurscentaines de milliers d'années et la physique scientifique date de XVII ième, la chimie du XVIII ième, la biologie dusiècle dernier.
En effet, la connaissance spontanée du réel est antiscientifique.
C'est une connaissance « non psychanalysée » où nous projetons nos rêves et nos passions.
C'est ainsi que la « physique » d' Aristote est encore toute mêlée de psychologie.
La cosmologie céleste fait appel à la psychologie de l'âme bienheureuse, la physiqueterrestre d' Aristote s'éclaire par la psychologie de l'âme inquiète.
Aristote distingue deux sortes de corps, les lourds et les légers.
Les corps légers (la fumée) vont spontanément vers le haut alors que les graves (une pierre) semeuvent d'eux-mêmes vers le bas.
Le haut et le bas représentent respectivement le « lieu naturel » des corps légers et des graves.
Les corps inertes sont donc involontairement assimilés à des hommes qui s'efforcent deretrouver leur « chez-soi ».
L'accélération de la pesanteur s'explique par le fait que le pierre « désire le bas » et presse son mouvement comme les chevaux qui, dit-on, vont plus vite lorsqu'ils « sentent l'écurie » .
En langage psychanalytique, on pourrait dire qu' Aristote projette sur sa dynamique un « complexe du home », autrement dit qu'il prête aux corps inertes un goût particulier pour leur domicile pour leur domicile d'élection.
« Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis » dit Eluard .
Mais précisément je vois spontanément le monde comme je suis, et il faut tout un travail pour le voir comme il est ; ce travail est le travail de la science.
L'idéal estde parvenir à poser des relations objectives qui ne soient plus le reflet de mes dispositions subjectives.
Pour lascience, le ciel cesse d'être un sujet grammatical, une substance dont le bleu serait l'attribut : le bleu du ciel n'estque l'effet de l'inégale diffusion des rayons du spectre solaire.
Ce qui complique la tâche de l'activité scientifique et de l'éducation scientifique, c'est que je ne projette pas seulement sur le monde mes sentiments personnels mais encore toutes les dispositions que je tiens de la traditionsociale.
« L'esprit naïf n'est pas jeune, il est même très vieux » ( Bachelard ) Nous projetons spontanément sur le monde tout ce que qu'on nous a enseigné.
C'est ainsi que les gens du moyen-age voyaient des diables cornus àtous les détours de chemins.
Aujourd'hui nous projetons sur le ciel une culture pseudoscientifique mal assimilée :nous voyons des « OVNI ».
Comment parvenir à l'objectivité scientifique ? Si nous n'avons aucune vraie culture scientifique, nous serons tentés de répondre ; il suffit d'éliminer ce qui vient de nos passions, de la tradition, de l'imagination.
Il faut revenir à.
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