La raison peut-elle nous servir de guide ?
Publié le 27/02/2008
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Animal politique " selon Aristote, l'homme se distingue avant tout des autres êtres vivants par la faculté qui lui estpropre : la pensée.
Or penser fait de nous des êtres doués, entre autres, d'entendement et de raison.
" Et de raison" parce que, pour peu que l'on prête attention aux deux termes, on est amené à les distinguer.
L'entendement est lafaculté intellectuelle de juger le vrai d'avec le faux : il est alors clair que nous nous servons de notre entendementcomme d'un guide.
Mais la raison est, bien plus que l'entendement, un principe de détermination du sujet pensant,principe qui porte presque toujours en lui la moralité.
Or la raison prescrit un ordre, celui de se comporter en êtreraisonnable.
Etre " raisonnable " n'est jamais un acquis : soumis aux passions et à leur excès, à l'imagination "maîtresse d'erreur et de fausseté ", nous sommes amenés à nous déterminer en vertu de principes jugés contraires àla raison.
Face à eux, la raison peut-elle nous servir de guide montrant les bons chemins ? N'est-elle pas tropsouvent impuissante ? Ne fait-elle pas entendre, souvent, sa voix trop faiblement ? Pourtant, nous entendonstoujours cette voix.
Mais alors si la raison nous parle, ne nous parle-t-elle pas en juge qui me dit " Tu dois " plutôtqu'en guide, ami bon conseiller ? Si la raison est juge, peut-elle être un guide, et mieux, " servir " de guide ?Toutefois, à bien observer les êtres raisonnables, on conçoit bien que la raison ne dit plus " Tu dois " mais " Tudevrais " et que dès lors elle n'est plus juge mais guide.
Mais comment ce rôle est-il possible ? La question " Laraison peut-elle nous servir de guide ? " appelle donc une réflexion sur les rapports mêmes du sujet pensant avec sapropre faculté de raison.
Vivre selon la raison, s'en servir comme d'un guide, marque sans doute mon autonomie au sens kantien du terme, maliberté de sujet pensant.
Pourtant vivre guidé par les lumières de la raison est un choix difficile.
Un choix, parcequ'être raisonnable est un mode d'être et que je puis en choisir d'autres.
Un choix difficile, parce qu'il m'impose dem'élever au-dessus de mes intérêts personnels, de mes penchants sensibles et de mes passions qui sont le faitd'une nature humaine à laquelle je ne puis néanmoins me soustraire.
Un choix difficile, parce qu'il suppose uneintériorité, et non l'extériorité dans laquelle je suis lorsque je nourris mon esprit des images trompeuses del'imagination ou du préjugé.
La raison me prescrit donc de m'ôter des pièges des passions et de l'imagination.
Mais ai-je vraiment un pouvoir sureux ? Dans son Ethique, Spinoza nous montre que l'homme, en tant qu'il est un être fini, est nécessairement soumisà des affections.
Et ces affections sont passions bien souvent parce qu'à leur égard je ne forme que des idéesmutilées et confuses, celles que me donne précisément l'imagination.
L'homme, qui n'est pas un empire dans unempire, qui ne tire pas de lui-même sa propre détermination, n'a pas selon Spinoza, le pouvoir de se libérer de sespassions en leur opposant la raison comme telle : " la connaissance vraie du bon et du mauvais, ne peut en tant quevraie, réduire aucune affection, mais seulement en tant qu'elle est elle-même considérée comme une affection ".
Orcomment considérer la raison pour qu'elle devienne une affection ? Elle qui m'impose une conduite à tenir, n'est-ellepas ce qui m'empêche de me livrer à la réalisation de tous mes désirs, réalisation dans laquelle se trouve sans doutele bonheur ? Quand je suis les chemins que me montre la raison, n'est-ce pas souvent par contrainte, bien plus quepar bonne volonté ? Dès lors la raison peut-elle vraiment nous servir de guide ? Car si l'homme peut sans aucundoute faire confiance à la raison comme on fait confiance à un guide, il ne suit pourtant pas les chemins qu'ellepropose, ou plutôt impose, car ces chemins sont ardus.
Prendre les passions, les sens ou l'imagination comme guide,c'est au contraire, pour la plupart des hommes, se donner la possibilité de marcher sur des chemins en apparenceplus agréables, ceux où je peux oeuvrer suivant mes intérêts, ceux où je n'ai pas à offrir une résistance pensantequi marque une liberté d'esprit exigée par la raison.
Il apparaît alors que nous entendons la raison, mais ne nous en servons pas comme d'un guide.
Cette difficultérencontrée par l'homme à se déterminer en fonction de la raison est d'ailleurs, en matière de politique par exemple, àprendre en compte selon Spinoza.
Les hommes agissant par intérêt, mus par la crainte et l'espérance, ce ne sont niles gouvernants ni les gouvernés qui doivent être raisonnables, mais le système politique lui-même.
Cetteconception de la politique énoncée dans le Traité politique, qui suppose une connaissance vraie de la naturehumaine et non des chimères, des rêves fous d'hommes raisonnables, semble, ici encore, montrer une impuissancede la raison chez l'homme.
Alors comment la raison pourrait-elle nous servir de guide ?
La raison, par les choix et l'attitude qu'elle suppose, s'oppose aux passions, à l'adhésion sans comprendre, auxintérêts personnels, mais, si l'on observe avec Spinoza la nature humaine telle qu'elle est, et non telle qu'on voudraitqu'elle fût, on se rend compte que la raison, bien souvent impuissante, n'est pas guide.
Pourtant, j'entends toujoursla voix de la raison.
Cette voix, morale, n'est-elle pas celle d'un juge plutôt que d'un guide ?
L'homme qui n'est pas guidé par la raison n'est pourtant pas complètement déraisonnable.
Pour ne donner qu'unexemple, il a conscience que, même s'il agit en ne se déterminant pas par rapport à la raison, ses rapports avec lesautres doivent être régis par des principes raisonnables, condition même d'une vie en société.
En tant qu'elles'oppose à une spontanéité sans principe - dans laquelle j'ai l'illusion d'être libre -, la raison peut alors apparaîtrecomme un juge.
La raison ne me conseille pas une conduite, elle m'impose une conduite, même si j'ai ensuite la possibilité de ne pasm'y conformer.
La raison est bien ce qui me dit " Tu dois ".
Elle se distingue de l'entendement parce qu'elle porte enelle-même la moralité.
La raison pure pratique, chez Kant, est celle qui me dicte les impératifs catégoriques qui semanifestent sous la forme du " Tu dois ", et commandent absolument ma volonté.
Or je ne me sers pas de cescommandements, je suis soumis à eux.
Si, en me montrant, par la voie de la recherche de l'universalisation duprincipe subjectif de mon action, quelle est la meilleure conduite, où se situent les chemins de la moralité, la raisonpeut contraindre ma volonté, elle ne " guide " pas ma volonté en tant que, pour obéir au devoir, je dois me.
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