La raison permet-elle de mettre les hommes d'accord ?
Publié le 27/02/2008
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Cependant on peut douter que la raison soit susceptible de produire cet accord universel.
La raison est unefaculté dont jouissent tous les individus.
En effet chacun, lorsqu'il désire obtenir l'accord des autres en réduisantleurs opinions à la sienne, prétend avoir la raison pour lui.
Aussi la tentative même de produire un accord par laraison serait par nature vouée à l'échec.
II La raison ne permet pas de mettre les hommes d'accord _ On peut douter de la possibilité de sortir du désaccord par la raison.
La raison est en effet une instance supraindividuelle, mais il n'est pas certain qu'elle vainc les résistances que lui opposent les individus.
Les hommes sontdes êtres rationnels, cela signifie qu'ils se distinguent des autres êtres par la raison.
Néanmoins la raison ne faitpas le tout de leur nature.
Les hommes sont des êtres rationnels qui ne sont constitués qu'en partie par la raison.Pour le reste, ils sont des être sensibles et surtout passionnels.
La passion qui les domine la plupart du temps estl'orgueil, c'est à dire l'excès de l'amour de soi.
Ainsi les hommes sont tellement déterminés par l'orgueil qu'ilspeuvent reconnaître en leur for intérieur la vérité d'une opinion, mais la nier ouvertement parce qu'elle nes'accorde pas avec celle qu'ils ont eux-mêmes professé.
Mais c'est peut-être encore faire preuve de tropd'optimisme que de penser que ce qui empêche les hommes de s'accorder se réduit à leur mauvaise volonté.
Eneffet la plupart du temps, la détermination de la raison par les passions comme l'orgueil n'est même pas aperçuepar la raison.
Ainsi au fragment 983 de ses Pensées en édition Lafuma, Pascal écrit : « les raisons me viennent après, mais d'abord la chose m'agrée ou me choque sans en savoir la raison ».
Si la raison est en retard sur lespassions, elle peut être déterminée par l'orgueil sans même le savoir.
Ainsi même les hommes de bonne volontépeuvent se croire en désaccord pour de bonnes raison quand leur désaccord résulte de l'orgueil inaperçu._ Plus encore que l'investissement affectif plus ou moins conscient déterminant les opinions, c'est l'usage même dela raison qui empêcherait l'accord entre les hommes.
En effet, quand chacun cherche à défendre son opinion, ilclame pour lui avoir la raison.
Qu'est-ce à dire ? Les hommes sont souvent conscients que d'avancer leur opinionsous un aspect personnel et singulier est une stratégie défectueuse qui ne peut que provoquer le désaccord desautres individus.
Il s'agirait alors d'adopter une stratégie oblique en parant son opinion individuelle du voiled'universalité dont jouit la raison.
L'utilisation malhonnête de la raison jette alors le discrédit sur elle et nousamène à douter qu'elle puisse nous faire accéder à la vérité.
Nous pensions que la raison était capable de mettreles hommes d'accord parce qu'elle permettait un accès à la vérité, surpassant par nature les contradictions desopinions individuelles.
Néanmoins est-il certain que la raison puisse nous faire accéder à une quelconque vérité ?C'est ce que nie Montaigne qui dans ses Essais (II, 12) l'appelle « couche pleine de fausseté, d'erreur, de faiblesse et de défaillance ».
La raison prétend connaître les choses, mais les choses sont dans un mouvement et un chaosperpétuel qui empêche leur connaissance.
De plus aucun homme ne peut prétendre connaître les choses car onignore si la connaissance fait partie de la définition de l'homme.
L'homme ne se connaît pas lui-même : « qui nes'entend en soi, en quoi se peut-il entendre ? ».
En ce sens la raison se réduit à une prétention de l'espècehumaine, un « cuider » illégitime provoquant le désaccord des hommes entre eux._ La raison, loin de mettre les hommes d'accord entre eux, est l'origine fondamentale de leur désaccord.
C'estparce que les hommes ont une confiance aveugle dans le pouvoir de la raison qui leur donnerait un accès privilégiéà la vérité qu'ils la revendiquent tous pour eux-même.
Ils prétendent alors illégitimement obtenir l'accord desautres hommes sans qu'aucune instance leur permette de produire cet accord.
En l'absence d'une vérité quimettrait d'accord les hommes entre eux, les opinions se contredisent et provoquent un désaccord entre leshommes et la raison fait office de masque derrière lequel se cachent des entreprises de légitimation de soi ?Chacun cherche au fond au nom de la raison à absolutiser sa propre singularité en vérité, et c'est par là que toutaccord est impossible.
Si c'est l'utilisation de la raison qui est au fondement du désaccord, il s'agirait alorsd'abandonner la prétention à emporter l'adhésion des autres individus pour annuler ce désaccord.
Ainsi Montaigneécrit « nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes périgourdins ».
Si la confession a la même origineque la provenance géographique, elle ne peut prétendre constituer une vérité religieuse absolue.
Ainsi la conditiond'un accord entre les hommes ne serait pas la raison, mais au contraire la connaissance de la faiblesse de la raisonet de la possibilité d'avoir une opinion contraire à la mienne.
C'est parce qu'on a renoncé à la raison en tant quepouvoir d'accéder à la vérité que l'on pourra s'accorder sur la possibilité d'une pensée plurielle, infiniment variée etdiverse sans qu'elle produise un désaccord.
On voit par là que l'universel n'est plus du côté de la raison, mais de lacondition humaine fondée sur la faiblesse de la raison : « Chaque homme porte en lui la forme entière de l'humainecondition » (III, 2) La raison, loin de mettre les hommes d'accord, provoquerait le désaccord entre eux.
Mais peut-on se contenter derenoncer à cet accord en invalidant la légitimité de la raison ? S'il est possible d'accepter un désaccord dans lathéorie, il est cependant nécessaire de trouver un accord minimal en pratique pour permettre la vie en commun :en quoi la raison permet-elle un accord des conduites entre elles, garantissant une communauté de l'agir ? III La raison permet un accord détourné fondant la société politique _ Dans le dialogue, le désaccord peut subsister sans que s'ensuivent des conséquences fâcheuses.
Tout au plus,les participants au débats partiront chacun de leurs côtés, frustrés de ne pas avoir réussi à convaincre les autreset les suspectant tous autant qu'ils sont d'être de mauvaise foi.
Les conséquences du désaccord persistantn'auront alors qu'un faible impact sur la vie pratique des individus.
Néanmoins, il en va tout autrement si ledésaccord persiste au sein de la vie pratique commune.
En effet, si les conduites individuelles ne s'accordent pasentre elles, alors toute vie en commun devient impossible.
C'est ce que soutient Hobbes au chapitre XIII duLeviathan intitulé « de la condition du genre humain à l'état de nature concernant sa félicité et sa misère ». L'état de nature désigne l'état fictif qui aurait précédé l'établissement de la vie en société.
Dans cet état de.
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