La politique se réduit-elle à l'art de la domination ?
Publié le 11/12/2009
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Celui qui exerce une autorité politique est celui qui commande à un groupe, donne et fait respecter ses ordres de manière à ce que les autres agissent selon sa volonté. Ainsi, la politique est une technique, un art, qui permet d’imposer à différents individus d’une collectivité une conduite. Or comment appelle-t-on un tel art, qui est celui du général sur ses troupes ou du maître sur l’esclave ? C’est un art de dominer. La politique serait donc bien un art de la domination.
Mais ces exemples de domination sont précisément des exemples en dehors de la politique : le général n’a pas sur le soldat une autorité politique, ni l’un ni l’autre ne sont des civils, c’est-à-dire des citoyens dotés de tous leurs droits. S’il y a bien une forme de direction de conduite en politique, rien n’assure que cela soit pour autant une forme de domination. En effet, lorsque je me soumets à la loi, je ne m’y soumets pas comme à un maître : j’y trouve aussi mon intérêt personnel. En payant mes impôts je ne fais pas que donner de l’argent sous la pression de la force publique comme à un brigand : il m’est redistribué sous forme d’éducation, de sécurité, de logement, de soins médicaux, etc. Alors que la domination se fait au profit de celui qui l’exerce, au contraire le pouvoir politique semble s’exercer au profit de celui qui le subit : ce serait une forme d’autorité et non de domination.
Mais on reconnaît rarement son propre intérêt, et l’on peut se révolter contre ce qui peut nous être bénéfique : ne pouvant gagner l’approbation de tous, il semble donc que pour pouvoir s’exercer, ce pouvoir doit toujours en premier lieu s’assurer que les particuliers agiront selon ses ordres. Ainsi même s’il peut prendre différentes formes il se pourrait bien qu’il se réduise à la domination, c’est-à-dire que celle-ci soit nécessaire dans tous les cas à la politique, et soit donc essentielle. Le problème auquel il faut répondre concerne ainsi non seulement la nature mais aussi la valeur de politique : n’est qu’une technique de soumission de la volonté des autres, ou vise-t-il aussi autre chose, gagner et servir la volonté des autres et l'intérêt général ?
«
la loi non par peur de la force publique mais parce qu'ils comprennent son bien fondé.
Ainsi,la politique ne semble pas pouvoir se réduire à l'art de la domination : elle comprendtoujours une part de persuasion faisant appel à la raison des citoyens, persuasion qui fait dupouvoir politique une autorité plutôt qu'une domination.
Platon va même plus loin et montre, dans le même livre des Lois , qu'une Cité où la politique se réduirait à l'art de la domination ne serait pas à proprement parler une Cité.
Eneffet, dans le cas où le pouvoir est pris au terme d'une lutte et que les vainqueurs ne sepréoccupent que de le conserver "tels qu'ils ne laissent pas la moindre parcelle de pouvoir niaux vaincus eux-mêmes, ni à leurs descendants", alors "les gens passent leur vie à s'épiermutuellement" de peur que la lutte reprenne.
" Ce ne sont pas là des régimes politiques , pas plus que ne sont des lois à proprement parler celles qui n'ont pas été établies en fonction del'intérêt commun à la cité tout entière." La politique n'est alors pas distincte de l'art derégner sur des esclaves ou des animaux : elle consiste juste à utiliser la force pour étouffertoute rébellion et faire servir les autres à ses propres intérêts.
Mais en réalité, la politique apour spécificité, comme le montre l'exemple du médecin libre, de faire appel à la parole et àla raison de ceux qu'elle gouverne, et d'interagir avec eux dans la constitution desrèglements, afin que ceux-ci servent l'intérêt de tous et non uniquement de ceux qui dirigent.Non seulement donc, l'art de la domination n'est pas nécessaire à la politique, mais il estmême incompatible avec cette activité : il appartient à d'autres domaines. Cette conception de la politique décrit bien ce qu'elle devrait être en droit : mais décrit-elle réellement ce qui se passe en fait ? Concrètement, toute forme de pouvoir politique semble préférable à l'absence de pouvoir politique qui se solde par une guerre civile.
Ainsi, lespeuples accepteraient la domination parce qu'elle représente le moindre mal, et lesdirigeants, avant même de songer à réaliser l'intérêt commun, devraient apprendre à dominerpour acquérir et conserver le pouvoir.
Dans les faits, celui qui détient le pouvoir politiquen'est-il pas celui qui manie le mieux les techniques de domination? II. L’art du Prince Dans les faits, il y a un intérêt commun à tous les hommes à vivre sous la direction d’un seul : éviter la guerre civile. Peu importe le contenu des règlements tant qu’il y a des ordres donnés et un chef à la tête de la communauté politique.
Autrement dit, dans certains cas, ladomination est le moindre mal.
C’est ce que remarque Machiavel au chapitre 8 du Prince lorsqu’il affirme qu’il y a des différences « dans l’emploi bon ou mauvais des cruautés.
Les cruautés sont bien employées (si toutefois le mot bien peut être jamais appliqué à ce qui estmal), lorsqu’on les commet toutes à la fois, par le besoin de pourvoir à sa sûreté, lorsqu’onn’y persiste pas, et qu’on les fait tourner, autant qu’il est possible, à l’avantage des sujets.Elles sont mal employées, au contraire, lorsque, peu nombreuses dans le principe, elles semultiplient avec le temps au lieu de cesser.
» Ainsi, appliquer une domination violente et intense mais ramassée dans le temps n’est pas la même chose que le faire sur le long termeet qu’elles augmentent progressivement. Si l’on peut admettre un usage tyrannique du pouvoir il faut qu’il soit court, comme ce fut le cas pour Octave, le premier empereur romain,qui fut un sanglant dirigeant jusqu’à ce qu’il obtienne les pleins pouvoirs, à partir de quoi ilfit de la clémence la principale vertu de son pouvoir et ne se fit plus inquiéter.
La domination est donc bien employée en politique, mais pas n’importe comment : il fautqu’elle soit précisément une « technique », un « art » qui s’effectue selon certaines règles,regardant notamment sa temporalité .
Comme l’écrit Machiavel au début du chapitre XV du Prince : « [en politique] celui qui veut en tout et partout se montrer homme de bien ne peut manquer de périr au milieu de tant de méchants.
Il faut donc qu’un prince qui veut semaintenir apprenne à ne pas être toujours bon, et en user bien ou mal, selon la nécessité.
»Dans le domaine politique, il faut considérer que les hommes sont méchants, et pour cela nepas agir selon une règle morale ou un bien commun, mais selon ce que requièrent lescirconstances .
A cette fin, il ne doit pas simplement user de tous les moyens en vue de ses fins (formule par laquelle on résume traditionnellement Machiavel) mais surtout agir demanière être toujours loué.
Ainsi il doit apprendre à paraître moral sans l’être réellement.Voilà pourquoi il « tâchera d’être tout à la fois renard et lion : car, s’il n’est que lion, iln’apercevra point les pièges ; s’il n’est que renard, il ne se défendra point contre les loups ;et il a également besoin d’être renard pour connaître les pièges, et lion pour épouvanter lesloups.
» Tout l’art du Prince, c’est-à-dire celui qui détient le pouvoir exécutif, que ce soit un.
»
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