La politique est-elle la guerre continuée par d'autres moyens ?
Publié le 18/03/2009
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Dans l’Histoire de la Guerre du Péloponnèse, III, 82, rapportant les événements survenus à Corcyre lors de la décision de la bonne alliance, lorsqu’il s’agit de savoir s’il est opportun de rester fidèle à Athènes pour combattre Corinthe ou s’il est préférable de renverser l’alliance et de passer du côté de Sparte dont la victoire semble proche, Thucydide déclare que les cités sont les lieux d’affrontement d’une violence inouïe qui semblait le triste privilège des relations entre les cités et dont semblait prémunir les cités la détermination de règles civiles. C’est dire que la guerre civile est une expression bien formée et qu’elle ne serait pas sans la guerre tout court. Elle enveloppe également une valeur révélatrice, à savoir de comprendre ce qu’il en est des rapports des hommes au sein des cités. L’accord est fragile parce qu’il n’est pas le dépassement de la tendance au conflit mais seulement sa neutralisation momentanée. L’usage du concept de guerre n’est pas intempestif pour examiner la politique même si la réalité de la guerre ne va pas sans la constitution des cités. Que voulons-nous dire en renversant la célèbre formule de Clausewitz selon laquelle la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Garde-t-elle l’usage de la force sous des formes douces eu égard à la mort et aux dommages corporels ? De la force est-il fait un usage politique en tant qu’est en cause la direction de la cité ou que par l’usage de la force sont concernés les rapports concrets des concitoyens ? Que nous entendions par la continuation la concentration ou l’expansion, que nous fassions de la tête de la cité l’enjeu de l’usage de la force ou que nous pensions qu’il est caractéristique de la vie politique, nous donnons à la guerre une valeur heuristique. Elle est le modèle grâce auquel nous comprenons ce qu’il en est de la politique. Mais si la politique continue la guerre, quel service lui rend-elle ? La continuation, ne faut-il pas l’entendre comme le prolongement au sens où la politique procède de la guerre, en est une dérivation ? Dans ce cas nous rapportons la politique à la guerre en lui conférant une valeur productive. Quels sont alors les moyens proprement politiques ? Sont-ils ce qui permet à la guerre d’être satisfaite en rendant réelle la victoire ou la défaite, ou bien est-ce neutraliser la menace de la guerre ? La politique se retourne-t-elle contre la guerre ? En convoquant la guerre pour éclairer la politique, nous définissons un double intérêt : concernant la vie politique qui exprimerait la guerre mais d’une manière singulière, concernant l’ordre politique qui découlerait de la guerre mais d’une manière remarquable. Est-il opportun d’abaisser les différences entre la guerre et la politique ? Avons-nous raison de sauver la politique ou les valeurs de la politique sont-elles fallacieusement élevées ? Permet-elle de nouer des relations qui échappent au modèle polémique ?
«
moyens.
La politique est comprise comme établissement et maintien de rapports entre membres d'unecommunauté de détermination.
Est-elle concernée par l'usage de la violence physique ? On peut retenir laviolence répressive, instauratrice, extérieure et directive.
La violence répressive est à penser selon la distinctionde la violence publique et privée.
Weber définit l'Etat moderne comme « une communauté humaine qui dans leslimites d'un territoire déterminé […] revendique avec succès le monopole de la violence légitime ».
Il s'agit d'unepratique ancestrale qui est la prise en charge par une instance médiatrice de l'usage de la violence.
Elle vise àneutraliser la violence privée comme engrenage inextinguible de la vengeance.
L'emploi codifié de la violencebrise la spirale de la violence privée.
La légitimation de la violence publique signifie que la violence privéeperpétuellement menaçante est irréductible et que les membres d'un corps politique se reconnaissent liés parl'acceptation de répondre devant le corps politique.
Pour ce qui est de la violence instauratrice, il est difficile detrouver dans l'Histoire un régime qui n'en ait pas fait usage pour s'établir.
La légitimation a posteriori n'occulte pas la violence originaire.
C'est ce que Pascal nomme « la vérité de l'usurpation ».
Il faut cacher lecommencement si on ne veut pas que l'usurpation prenne bientôt fin.
Cela ne signifie pas que le recours à laviolence soit neutralisé.
De l'origine violente d'un établissement, on pourra toujours prendre argument pourjustifier son renversement.
Le risque est celui de l'institutionnalisation de la violence ne serait-ce que pourprévenir un retour en force du régime abattu.
La référence à un idéal de justice ne saurait innocenter l'emploi dela violence.
Ce n'est pas parce qu'elle se pare de l'éclat de mobiles nobles qu'elle est métamorphosée.
Saint-Just lorsqu'il envisage la violence révolutionnaire a conscience d'un possible détournement de la Terreur.
Dansses Ecrits posthumes , il déclare : « la Terreur peut nous débarrasser de la monarchie et de l'aristocratie mais qui nous débarrassera de la corruption ? Des institutions.
[…] Les institutions ont pour objet de […] substituerl'ascendant des mœurs à l'ascendant des hommes.
» Et plus loin : « La révolution est glacée […] il ne reste quedes bonnets rouges portés par l'intrigue.
» Que veut dire faire le partage entre violence juste contre lesoppresseurs du peuple et violence injuste contre le peuple ? Est-il possible de discriminer deux usages de laviolence ? L'établissement d'un régime politique passe certes par la violence mais ne faut-il pas distinguer lasubstitution d'une autre violence de l'établissement qui permet à la souveraineté populaire de s'exercer ? LaRévolution est passée par la Terreur mais pour exercer la souveraineté populaire alors que c'est la décisionpopulaire appelant Hitler à la tête de l'Allemagne qui mettra en place une violence inédite.
Si par la violence estinstauré un régime qui met fin à la violence en rendant réelle la souveraineté populaire, pourquoi pas ? Mais ilfaut s'assurer que la souveraineté populaire n'est pas de l'ordre du semblant.
Il faut examiner comment estexercée la direction d'une cité et si la thèse du peuple souverain est plus et autre qu'une fiction pour abuser lepeuple.
Quant à la violence extérieure, elle peut demeurer de l'ordre de l'appel mais aussi passer à l'acte, c'est laguerre proprement dite.
Enfin, qu'en est-il de la violence directive : est-elle réelle ? Est-elle intelligible par lemodèle guerrier ? Elle concerne la tête d'une cité.
Nous sommes invités à nous demander si elle n'est pas unestylisation de la violence guerrière.
C'est à cette violence directive que Machiavel s'intéresse dans Le Prince .
Il s'agit de la figure du prince nouveau qui prend le pouvoir.
Le problème continuel est celui du maintien.
De quelmoyen user pour permettre à la direction politique d'être durable ? Le chapitre 17 demande si un prince doit faireconfiance aux membres d'un corps politique.
Non, car la faveur est versatile.
Il est donc préférable d'être craint.C'est une question qui intéresse le conseiller du prince en tant qu'il est au service d'un être qui ne pense qu'à sonintérêt particulier.
Mais justement pour Machiavel il est aussi guidé par le souci de la perpétuation du corpspolitique.
Nous pouvons dire que la question intéresse un pouvoir que Weber nommerait charismatique, à savoircomment obtenir un consentement dont il s'est originairement passé.
Toute direction politique est concernée parla violence dont use le prince nouveau.
Il est cynique, non pas au sens où il chercherait à être habile pour leurremais au sens où il a compris ce qu'est la vie d'un corps politique et à quelles conditions elle se maintient.
SelonMachiavel, le prince doit être guidé par une exigence proprement politique de responsabilité.
L'épisode auquel ilfait référence dans le chapitre 17 est rapporté dans les Discours sur la première décade de Tite-Live III, 27.
Le peuple florentin a refusé de neutraliser deux factions qui attisaient les dissensions à Pistoia et en cherchant àréconcilier des ennemis, Pistoia fut détruite.
D'un autre côté, César Borgia s'est employé à mettre au pas lespetits seigneurs de Romagne qui s'adonnaient à de petits larcins.
Il a utilisé une « méthode expéditive ».
Lacruauté a permis à la Romagne d'être unifiée alors la clémence des florentins est une faute et non unemaladresse.
La cruauté de César Borgia n'est pas seulement habile mais aussi elle est juste.
« Le peuple seretrouva tout à la fois satisfait et stupide ».
La rigueur du prince concerne des particuliers alors que lesdissensions, si libre cours leur est laissé, atteignent tout le corps politique.
La violence doit être concentrée surdes êtres qui servent de point de fixation.
Est-ce par l'usage sans doute rusé de la violence que la cité peutcontinuer de vivre ? Si le prince doit être craint, il est suffisant que le peuple vive avec cette crainte.
Il doit user dela violence avec ruse.
La logique de l'opinion et du paraître invite à comprendre de manière inédite l'action duprince.
Le peuple n'a pas les lumières qui lui permettent de décider.
Il se tient à ce qui paraît.
« Les hommes engénéral jugent plutôt aux yeux qu'aux mains ».
Le peuple vit dans l'opinion.
Il se laisse capter parce qu'il ne sedétache pas du présent.
Ce qui manque au peuple est la conscience.
Le prince doit composer avec la.
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