LA POLITIQUE DANS LES PENSEES DE BLAISE PASCAL
Publié le 12/07/2011
Extrait du document
Ce n'est pas d'aujourd'hui que la politique de Pascal « déplaît aux conservateurs pour ce qu'il met l'usurpation à l'origine de l'autorité, et aux révolutionnaires pour ce qu'il prêche la soumission « (G. Ferreyrolles). Pendant la Fronde, Pascal « résistait à tout le monde « en reprochant aux frondeurs de se révolter contre le Roi ; mais lorsqu'il a fallu s'opposer, il n'a pas hésité à se lancer dans la campagne des Provinciales.
«
Ainsi la société humaine n'est rien d'autre qu'une organisation des forces de la concupiscence d'une manière
aussi peu nuisible, et aussi avantageuse que possible.
C'est pourquoi Pascal remarque après Montaigne que les
lois civiles doivent être respectées non parce qu'elles comportent une justice essentielle, mais parce qu'elles
sont lois : leur avantage est qu'ayant été jadis établies par la force, elles limitent les désordres, les séditions et
les massacres, ce qui les rend à la longue légitimes.
Remarquons au passage que c'est un problème posé par
le Cinna de Corneille : les années durant lesquelles Auguste s'est conduit comme un gangster sont -elles
rachetées par l'ordre qu'il a rétabli à Rome après les guerres civiles qui déchiraient l'empire ? Le citoyen doit
donc obéir loyalement à son roi pour préserver la paix.
Il en résulte qu'il ne faut pas dévoiler indiscrètement au
peuple cette origine des lois : comme il ne leur obéit généralement que parce qu'il les croit intrinsèquement
justes, cette révélation pourrait le jeter dans la sédition.
On trouve toujours alors des révolutionnaires pour le
persuader qu'ils le conduiront vers un ordre meilleur, mais l'affaire tourne régulièrement à la domination
tyrannique des Grands et à la ruine du peuple révolté.
Il peut être nécessaire de protester contre certains abus du pouvoir politique, ainsi lorsque l'Etat intervient là
où il n'a que faire, comme dans les discussions de théologie (c'est le cas dans l'affaire Arnauld).
Mais même
dans ce cas il faut éviter la sédition : Y appel comme d'abus, procédure légale de protestation, est la seule voie
juste ; c'est celle que Pascal suit lorsqu'il ouvre la campagne des Provinciales.
Il en résulte qu'en un certain
sens les lois et l'ordre politique sont essentiellement légitimes, car ce sont les produits de la volonté de Dieu,
auquel il est toujours juste de se soumettre.
LES DEVOIRS DU PRINCE
Les Trois Discours composés par Pascal pour l'instruction du jeune fils du duc de Luynes en tirent les
conséquences pour les Grands.
C'est une véritable leçon contre la tentation de la tyrannie.
Pascal disjoint
fortement la personne des princes de leur condition sociale.
Par lui- même, un Grand n'a rien qui le place au -
dessus de ses sujets : « Votre âme et votre corps sont d'eux -mêmes indifférents à l'état de batelier ou à celui
de duc.
» Sa grandeur est affaire d'établissement, c'est-à-dire qu'elle dépend des hasards des mariages et des
règles passablement arbitraires de la succession.
Le peuple n'en sait rien, qui « considère presque les grands
comme étant d'une autre nature que les autres» ; le souverain peut laisser cours à cette illusion, mais à
condition de ne pas en abuser : prince en vertu de l'établissement, il a droit à un respect d'établissement et
peut exiger qu'on plie le genou devant lui ; mais il n'a aucun droit à sortir de ces limites, à prétendre se faire
passer pour un « génial grand guide » de ses peuples, ni à exiger une estime intérieure pour des qualités
intellectuelles ou morales qu'il n'a pas nécessairement.
Sa position en fait un « roi de concupiscence », c'est-à-
dire un homme que Dieu a placé en position de satisfaire les désirs et les besoins de ses sujets.
En usant des
biens dont il dispose avec bienfaisance et discernement en faveur du peuple, il se conduit en roi chrétien, en
figure du Roi de charité.
LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE SUJETS
L'attitude des sujets est présentée dans le chapitre « Raison des effets » des Pensées.
Pascal distingue cinq
catégories, selon une gradation ascendante.
Au bas de l'échelle se trouve le peuple.
En général, il n'entend
guère finesse en politique : il croit fermement que les lois de son pays sont essentiellement justes (en général
il n'en connaît pas d'autres), et que les « personnes de grande naissance » sont d'un caractère véritablement
supérieur à la masse.
Il est naïf au sens exact du mot, c'est-à-dire qu'il ne fait pas de différence entre les
apparences et la réalité effective.
Au second degré, les demi -habiles sont des « esprits déniaisés », qui ont compris qu'entre être et paraître il
n'y a pas de liaison nécessaire.
Persuadés que « la naissance n'est pas un avantage de la personne, mais du
hasard » (ce en quoi ils ont raison), ils refusent d'honorer les grands, et sont aussi portés à contester les lois
établies, au nom de lois plus justes, les lois primitives et fondamentales de l'Etat, ou plutôt celles qu'ils
imaginent telles : ce sont eux qui fomentent des révoltes pour renverser l'ordre politique et social.
Mais ils ne
sont qu'à moitié habiles, parce qu'ils ne voient qu'un côté du problème : ils ignorent ou ne veulent pas savoir
que ces lois qu'ils veulent établir sont tout aussi arbitraires que celles qu'ils veulent supprimer ; et lorsqu'ils en
établissent de nouvelles, le gain est la plupart du temps loin d'être évident, parce que la réalité ne se plie pas
à leur fantaisie.
Bref « ils jugent mal de tout », alors qu'au fond le peuple qu'ils méprisent (ceux qui prétendent
guider le peuple ont pour lui le plus profond mépris dès qu'il ne suit pas leurs idées) en juge mieux, parce que
son illusion sur la nature des lois préserve la paix.
Le troisième degré est celui des habiles, qui ont en commun avec les demi -habiles de savoir que les lois sont
vides de justice effective, et les princes de grandeur naturelle.
Mais ils savent reconnaître la force qui soutient
les institutions : les demi -habiles ont beau dire qu'on n'a pas à saluer « un homme vêtu de brocatelle, et suivi
de sept ou huit laquais.
Eh, quoi ! il me fera donner les étrivières, si je ne le salue.
Cet habit, c'est une force »
(L.89, S.
123), à laquelle convient un respect extérieur.
Cette concession d'établissement a l'avantage de.
»
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