La philosophie prémunit-elle contre l'illusion ?
Publié le 07/09/2005
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Le désir de philosophie prend donc sa source dans la prise de conscience que nous vivons dans l'illusion, prise de conscience que les dialogues menés par Socrate provoquent. La connaissance philosophique prémunit contre cette illusion en donnant accès à l'essence véritable de chaque chose et au bien, qui rend impossible le désir de se tromper soi-même.
2° La philosophie qui combat l'illusion est la plus asservissante des illusions
La pensée de Nietzsche opère un renversement des valeurs attachées à la philosophie et à la morale traditionnelles depuis Platon, et parmi elles, de la philosophie comme recherche d'une vérité transcendante. Une telle philosophie, en affirmant qu'il existe une vérité unique au-delà des apparences, maintient l'homme dans une illusion affaiblissante et asservissante, celle de l'existence d'un « arrière monde « fondant une morale du renoncement à l'affirmation de la vie et du corps. La véritable philosophie, celle du surhomme, consiste à mettre fin à cette illusion métaphysique pour la remplacer par des illusions positives : il n'y a pas de vérité unique, seulement des interprétations, des apparences, au sein de ce monde sensible qui est le seul à exister. La volonté de puissance, qui est affirmation des valeurs authentiques de la vie et du corps, va de pair avec l'affirmation du pouvoir créateur de l'illusion: l'art est ainsi le fruit d'une illusion qui s'affirme comme illusion. La véritable philosophie prémunit contre l'illusion qu'est la philosophie de la vérité, et affirme donc la positivité de ce qui était pour cette philosophie des illusions négatives. 3° La philosophie admet certaines illusions, ancrées dans un besoin humain La philosophie de Nietzsche veut mettre fin à l'illusion d'un arrière-monde transcendant et affirmer la valeur des apparences, mais l'ampleur de cette illusion ne montre-t-elle pas qu'elle a sa source dans un besoin de l'homme de ne pas se contenter du monde sensible ? La perspective critique de Kant, qui s'interroge sur les conditions de possibilités et les limites des facultés humaines, met en avant l'existence d'illusions constitutives de la Raison : nous ne pouvons connaître que les phénomènes sensibles, et non les choses en soi, mais la Raison a pour nature de vouloir connaître ces choses dont on ne peut prouver l'existence : Dieu, le monde comme totalité et l'âme. La Raison forme ainsi des Idées, qui sont des concepts qui ne correspondent à aucune intuition sensible : elle s'illusionne donc si elle pense connaître ces objets, alors qu'elle ne peut que les penser.
L’illusion est une méprise qui consiste à prendre l’apparence pour la réalité et la vérité. Contrairement à la connaissance fausse qu’est l’erreur, l’illusion ne semble pas seulement s’expliquer par notre rapport avec l’objet à connaître, mais impliquer égalem ent un rapport à nous-mêmes. Si l’illusion consiste alors dans une certaine mesure à se duper soi-même, elle semble plus difficile à rectifier que l’erreur : on peut prendre par nous-mêmes conscience d’une erreur, alors que l’on résiste à reconnaître comme telle une illusion. Faut-il alors penser que la philosophie nous prémunit contre l’illusion, en garantissant à la fois un rapport adéquat aux choses, nous permettant d’appréhender la vérité sans nous laisser piéger par les apparences, et un rapport adéquat à nous-mêmes, dans lequel nous n’aurions plus besoin de chercher à nous tromper nous-mêmes ? la philosophie n’amène-t-elle pas au contraire à mettre en doute l’idée qu’il existerait une vérité indépendante, qui pourrait nous défendre de toute illusion, voire à douter du fait que l’illusion soit par essence négative et doive être corrigée ? Nous verrons tout d’abord que la philosophie nous permet de sortir des illusions par la connaissance d’une réalité transcendante, avant de se demander si cette recherche de la vérité n’est pas elle-même une illusion. On pourra alors affirmer que la philosophie reconnaît la valeur constitutive et pratique de certaines de nos illusions.
«
principe fondamental, qui est celui du dualisme du vrai et du faux, du réel et de l'apparent, du noumène et duphénomène, etc.
«C'est pourquoi l'exigence de renverser la Métaphysique impliquera, aux yeux de Nietzsche,l'obligation impérieuse pour la pensée de se situer résolument par-delà le vrai et le faux, ces termes ne signifiant pasla proclamation d'un scepticisme universel, mais ayant pour seule fonction de démembrer le cadre dogmatique danslequel la tradition métaphysique prétendait enfermer la réflexion sur l'Être» (J.
Granier).
La métaphysiquecomme œuvre de la raison est pour Nietzsche une illusion non pas parce qu'elle prétend, comme l'affirmait Kant,connaître le monde vrai du noumène alors qu'elle ne peut l'atteindre, mais par le fait même qu'elle pose cet être.
Enrenversant toute métaphysique, Nietzsche peut s'exclamer « Nous avons aboli le monde vrai : quel monde restait-il ?Peut-être celui de l'apparence ?...
Mais non ! En même temps que le monde vrai, nous avons aussi aboli le mondedes apparences ! »
b) La vérité ? une sorte d'erreur• Selon Nietzsche, en effet, « la vérité est une sorte d'erreur, faute de laquelle une certaine espèce d'être vivantsne pourraient vivre.
Ce qui décide en dernier ressort, c'est sa valeur pour la vie » (La Volonté de Puissance, t.
I, 1.II, § 308).
La vérité, est une erreur dans la mesure où elle ne dévoile pas la Vérité originaire, la Vérité propre del'Être, qui est «le flux éternel de toutes choses».
Cette Vérité originaire n'est pas à proprement parler puisqu'elle estdevenir, elle est l'Abîme où s'abîment toutes choses, elle est donc incompatible avec la vie : « on ne peut pas vivreavec la Vérité» (id., t.
II, 1.
III, § 557); «il serait possible que la véritable nature des choses fut tellement nuisible,tellement hostile aux conditions mêmes de la vie, que l'apparence fût nécessaire pour pouvoir vivre» (id., I, 212).La vie, expression de la Volonté de Puissance, a donc besoin, pour être, de voiler cette Vérité.
Elle a besoind'organiser le devenir, d'affirmer l'être contre le devenir, elle a besoin de Y illusion.
C'est cette illusion nécessairequ'elle se donne pour «vérité».
Une telle vérité est ainsi une création de la vie.
• Dans ces conditions il n'y a pas de vérité impersonnelle, et ce qui fonde la vérité d'une chose c'est sa conformitéavec les exigences vitales de chaque être.
C'est la Volonté de Puissance qui est à l'œuvre dans les jugements devérité : « A l'origine, le jugement ne signifie pas seulement «ceci et cela est vrai», mais bien davantage: «je veuxque ceci soit vrai de telle ou telle manière» (Œuvres posthumes, § 302).
Toute connaissance, même laconnaissance «objective», scientifique, sera ainsi l'expression d'un instinct de domination puisqu'elle ne tend pas àdécouvrir le réel, à le dévoiler, à le laisser se montrer tel qu'il est dans sa Vérité originaire, mais à l'organiser, à lecontraindre à se plier aux valeurs, aux normes définies par la Volonté de Puissance du sujet, à ses options vitales.Connaître, c'est mettre autoritairement en forme le réel, c'est instituer des « vérités » qui n'ont qu'une valeurutilitaire, celle de répondre au désir de conservation et à l'augmentation de la puissance d'une espèce ou d'un êtrevivant : « Comment se prouve la vérité ? Par le sentiment d'une puissance accrue, par son utilité, par sa nécessité,bref par ses avantages » ( Vol.
de Puis., t.
I, 1.
I, § 190).
Quelques formes d'illusion selon Nietzsche
Cette illusion nécessaire à la vie prend de multiples formes.
a) L'illusion du savoirComme nous l'avons vu, aucun savoir n'est jamais « objectif», neutre, impersonnel.
Il reflète toujours les exigencesvitales de ses auteurs.
À travers ce savoir s'expriment des dispositions physiologiques, une certaine relation ducorps et de la volonté à la réalité.
Ainsi, le projet philosophique (ou scientifique) tout entier, qui est projet deprivilégier la connaissance, d'affirmer la supériorité du savoir sur le non-savoir, sur l'illusion, etc., constitue un pointde vue, une évaluation qui sont rendus nécessaires par l'état de ceux qui le forment (l'état de leur Volonté dePuissance).
Nietzsche nomme idiosyncrasie cette disposition des êtres qui entraîne leurs réactions propres.
b) L'illusion du langage« L'importance du langage dans le développement de la civilisation, observe Nietzsche, réside en ce que l'homme y asitué, à côté de l'autre, un monde à lui, un lieu qu'il estimait assez solide pour, s'y appuyant, sortir le reste dumonde de ses gonds et s'en rendre maître.
Dans la mesure même où l'homme a cru aux concepts et aux noms deschoses comme à autant de vérités éternelles, il a vraiment fait sien cet orgueil avec lequel il s'élevait au-dessus del'animal : il s'imaginait réellement tenir dans le langage la connaissance du monde.
L'artiste du verbe n'était pasassez modeste pour croire qu'il ne faisait qu'attribuer des dénominations aux choses, il se figurait au contraireexprimer dans ses mots le suprême savoir des choses; le langage est en fait la première étape dans la quête de lascience.
» ( Humain, trop humain, I, 11.) Le langage est ainsi, comme l'art ou la science, une illusion qui cache lavéritable nature des choses.
c) L'illusion de l'artLes illusions de l'art peuvent jouer un rôle comparable à celui des illusions du «savoir» : «celui-ci est captivé par leplaisir socratique de la connaissance et l'illusion de pouvoir guérir par ce moyen l'éternelle blessure de l'existence,celui-là s'embarrasse dans les plis séduisants du voile de la beauté.
» {Naissance de la Tragédie, coll.
Médiations p.116).
L'art, en ce sens, est voile d'illusion ; il nous donne quiétude ou euphorie parce qu'il nous divertit de l'abîme, lerend, parfois, invisible.
Ici, l'art est un narcotique au même titre que le « savoir».
3° La philosophie admet certaines illusions, ancrées dans un besoin humain La philosophie de Nietzsche veut mettre fin à l'illusion d'un arrière-monde transcendant et affirmer la valeur.
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